Dans libé
a écrit :Autocritique de l'Inserm après l'étude sur les troubles du comportement chez l'enfant.
L'illusoire repérage des délinquants dès la crèche
Par Eric FAVEREAU
Ce fut houleux, agité. Ce fut un moment rare. Une assemblée de plusieurs centaines de chercheurs, de médecins, de pédopsychiatres, débattant tous avec force et colère. Rarement un colloque de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) n'aura été aussi vivant. Et pour cause... Cette journée, consacrée aux «troubles de conduite, de la pratique à la recherche», qui s'est tenue hier à Paris, faisait suite à l'une des polémiques les plus violentes qu'a connues ce prestigieux institut, après la publication à son initiative, en septembre 2005, d'une expertise collective sur «le trouble des conduites chez l'enfant» ( Libération du 28 février).
«Froideur affective». On était alors en plein débat sur les projets sécuritaires de prévention de la délinquance de Nicolas Sarkozy (lire ci-contre). Cette expertise, effectuée à partir de synthèses d'études de la littérature médicale, semblait prendre ouvertement partie. Elle préconisait «le repérage des perturbations du comportement dès la crèche et l'école maternelle». Les chercheurs présentaient comme pathologiques «des colères et des actes de désobéissance», et les présentaient comme «prédictifs» d'une délinquance. «Des traits de caractères, tels que la froideur affective, la tendance à la manipulation, le cynisme, l'agressivité», mais aussi «l'indocilité, l'impulsivité, l'indice de moralité bas», étaient ainsi mentionnés «comme associés à la précocité des agressions». En arrière-fond, il y avait aussi la montée en puissance des neurosciences, avec une vision comportementaliste de la maladie mentale, y compris chez l'enfant.
Très vite, une fronde a pris forme. Au point d'aboutir à une pétition, intitulée «Pas de zéro de conduite pour les enfants de 3 ans», qui a recueilli près de 200 000 signatures. Un record absolu en la matière. Le professeur Christian Bréchot, directeur de l'Inserm, a eu beau dénoncer sur le moment «l'action de groupes de pression», il a vite lancé l'idée d'un colloque pour que «tout le monde débatte sereinement». D'où le colloque d'hier. «Pourquoi pas», a ironisé un des fers de lance de la critique, Alain Ehrenberg, sociologue et directeur du centre de recherche Psychotrop. «Mais que peut-on en attendre ? Ce colloque est construit pour faire la paix et non pas pour avancer.» En tout cas, ce fut un tir groupé contre cette expertise. Tout y est passé. D'abord, le terme même de «troubles de conduite». Est-ce que cela renvoie à une pathologie clairement définie ? «C'est un cadre totalement hétérogène», a expliqué le professeur Claude Bursztejn, chef de service de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent à Strasbourg. «Dans les classements internationaux des maladies mentales, mettre sur le même pied l'acte d'agresser quelqu'un avec une arme et celui de faire l'école buissonnière pose problème.»
«On a modifié trois fois en quinze ans les définitions des troubles de conduite. Cela montre combien le concept est instable, et que les études qui sont menées n'ont pas le recul suffisant», a persiflé Jean Garrabé, figure de la psychiatrie. Alain Ehrenberg a été plus cassant : «Tout est brouillé. Ce sont des domaines où le biologique et le social se mêlent de façon inextricable. Depuis quinze ans, il y a eu des transformations profondes. On est passé de la psychiatrie à la santé mentale, il y a eu des changements dans la vie sociale, avec la mise en avant de l'autonomie, de la subjectivité. La santé mentale est au coeur de la société contemporaine. Ne pas en tenir compte est une aberration.» Ajoutant : «L'expertise collective ne peut se contenter de synthèses d'informations. L'erreur épistémologique est de croire que le point de vue médical est indépendant, comme un sous-ensemble.» Plus sournois, le professeur Bernard Golse, chef de pédopsychiatrie à l'hôpital Necker : «Je m'inquiète pour ces enfants que l'on ne dépiste pas, parce qu'ils sont repliés sur eux-mêmes. Ils sont pourtant en souffrance. Je m'inquiète aussi pour ces enfants dont l'agressivité n'est en rien pathologique, mais tonique et dynamique. Notre problème, aujourd'hui, est de mieux coordonner nos prises en charge. Et je ne parle pas de ce qui se passe, un peu plus tard, à l'école, où la pauvreté de la médecine scolaire empêche une véritable politique de prévention.» Avant de conclure : «A l'avenir, je me demande si l'Inserm est le mieux placé pour faire ce type d'expertise collective. Ou pour le moins, s'il doit le faire seul.»
Réforme. Message en partie reçu. En clôture de ce colloque, Jean-Marie Danion, directeur de recherche à l'Inserm, a annoncé une réforme de ce type d'expertise : «En amont de nos prochains travaux, nous allons travailler avec des groupes plus larges, en associant les sciences humaines mais aussi les associations de malades ou de familles. Ensuite, lorsque le rapport sera achevé, on le fera débattre dans plusieurs cercles, avant de le publier avec les critiques. Enfin, nous organiserons, comme on vient de le faire, des débats». L'Inserm se mettrait-il à l'heure citoyenne ?
Et dans le monde
a écrit :Les pédopsychiatres préfèrent la prévention au dépistage des troubles
LE MONDE
C'est quasiment à une contre-expertise collective sur la question du dépistage des troubles des conduites de l'enfant que se sont livrés les intervenants d'un colloque organisé par l'Inserm, mardi 14 novembre, à la Mutualité à Paris. Un an après la violente polémique suscitée par la publication, en septembre 2005, d'un rapport de l'institut de recherche, les pédopsychiatres ont rejeté en bloc l'idée qu'il existerait un lien prédictif entre les troubles du comportement chez le jeune enfant et la délinquance à l'adolescence.
Réaffirmant que l'enfant turbulent est "un enfant en souffrance", les professionnels de la petite enfance se sont accordés sur la nécessité d'une prévention globale des troubles, loin d'un dépistage centré sur les seuls symptômes d'agitation.
Préconisée par l'Inserm, l'idée d'un dépistage systématique des troubles des conduites dès 3 ans avait été reprise par le ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy, qui souhaitait l'insérer dans le projet de loi de prévention de la délinquance. Quelque 200 000 signataires de la pétition "Pas de zéro de conduite" avaient rejeté cette hypothèse et dénoncé l'approche réductionniste et scientiste de l'Inserm.
"AMALGAME ENTRE TROUBLES DES CONDUITES ET DÉLINQUANCE"
Lors de l'introduction du colloque, le ministre de la santé, Xavier Bertrand, a affirmé lui aussi qu'il refusait "l'amalgame entre troubles des conduites et délinquance". "J'estime qu'un tel dépistage n'a pas sa place dans un projet de loi de prévention de la délinquance", a ajouté le ministre, en rappelant qu'une surveillance médicale renforcée de l'enfant lui avait été substituée dans le projet de loi sur la protection de l'enfance.
En France, la prévention de la souffrance psychique cherche à appréhender l'enfant dans sa globalité, ont rappelé les intervenants. "Cette approche globale, pluridisciplinaire, est fondamentale, a affirmé Christine Bellas-Cabane, présidente du Syndicat national des médecins de protection maternelle et infantile (PMI). Elle permet de repérer des enfants présentant des troubles du comportement mais aussi des enfants qui sont en repli." Dans ce cadre, et contrairement à ce qu'affirmait l'Inserm, les enfants perturbateurs sont bien pris en charge. "Les troubles des conduites représentent 17 % des motifs de consultation, ils sont pris en compte par le secteur psychiatrique", a affirmé Nicole Garret-Gloanec, secrétaire générale de la Fédération française de psychiatrie.
Les réponses apportées ne sont pas pour autant standardisées. "Nous recherchons notamment une alliance avec les parents, pour les valoriser, pour qu'ils se sentent soutenus et non contrôlés socialement", a expliqué le Dr Garret-Gloanec.
Pour éviter une nouvelle controverse dans le champ de la santé mentale, les intervenants ont plaidé pour que l'Inserm n'ignore pas l'apport des sciences sociales. "La multidisciplinarité est une condition d'une démarche éthique et scientifique", a considéré Jean-Claude Ameisen, président du comité d'éthique de l'Inserm.
Parallèlement à ce colloque, l'Inserm commence à apporter des réponses aux critiques qu'elle a essuyées : depuis septembre, chaque étape importante des expertises collectives est soumise au regard du conseil scientifique et du comité d'éthique de l'institut.
Cécile Prieur