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[center]Un effort mondial est requis pour le dernier des accélérateurs géants[/center]
LE MONDE | 15.02.07 |
Ce sera le prochain mastodonte, et sans doute le dernier de son espèce. Une équipe internationale vient de présenter, à Pékin, l'architecture de la nouvelle grosse machine à faire avancer la physique des particules, alors que la possibilité d'user un jour d'outils beaucoup plus modestes commence à se dessiner. Ce collisionneur linéaire international (ILC) doit succéder, mais pas avant 2016, au grand collisionneur de hadrons (LHC) du CERN, qui n'entrera lui-même en action, à proximité de Genève, qu'en novembre 2007. Le gigantisme de ces instruments de recherche leur interdit en effet d'attendre les résultats de leur prédécesseur. L'inertie des projets est telle qu'il faut, au plus vite, valider les choix technologiques et, surtout, convaincre les financeurs de toute la planète en leur présentant un devis point trop effrayant.
Pour l'ILC, ces orientations sont désormais définies. La première phase du projet prévoit la construction souterraine de deux accélérateurs, sur une longueur totale de 31 km, qui enverront, 14 000 fois par seconde, 10 milliards d'électrons se fracasser à des vitesses proches de celle de la lumière contre autant de positons, leurs antiparticules. L'énergie générée par ces chocs reconstituera des conditions extrêmes qui n'ont existé que quelques milliardièmes de secondes après le Big Bang. Leur puissance sera toutefois nettement inférieure à celle produite par la boucle de 27 km du LHC.
Mais cette faiblesse relative est une force. Les protons qui vont s'entrechoquer au LHC ressemblent à des sacs pleins de particules plus petites. L'énergie de leurs collisions se divise entre les parties qui les composent, et laisse des traces complexes à analyser. Beaucoup plus légers, les électrons du futur ILC sont des particules élémentaires qui produiront des collisions plus intenses et plus propres.
"Le LHC sera un instrument de découverte qui pourra nous indiquer qu'une particule postulée par la théorie, comme le boson de Higgs, existe bien, explique Guy Wormser, directeur du laboratoire de l'accélérateur linéaire du CNRS. Seul l'ILC pourra en mesurer les propriétés et déterminer son rôle précis." Il devrait ainsi apporter une contribution cruciale à la connaissance de la composition de l'Univers.
Encore faut-il en convaincre les puissances mondiales, seules capables de supporter un tel effort. Pour cela, le plus efficace est encore de présenter un chiffrage réaliste et raisonnable. Les équipes qui travaillent depuis longtemps sur un accélérateur linéaire ont donc d'abord entrepris de se fédérer en un projet mondial. En 2004, une technologie d'accélération, conçue par des équipes allemandes et françaises, a été sélectionnée.
Depuis, la collaboration internationale s'est efforcée de simplifier l'épure pour tenter de réduire les coûts. Plusieurs révisions lui ont permis de présenter une estimation d'environ 5,5 milliards d'euros. Ce coût serait à peu près équivalent à celui du LHC et du tunnel dans lequel il a été implanté.
Le pays hôte de l'installation, qui sera désigné vers 2010, supportera la moitié du coût de construction, en plus des frais de fonctionnement. Cet effort conséquent ne semble pas, pour l'heure, dissuader les Etats-Unis. Ils regarderont le LHC tourner de loin et aimeraient se replacer en nation majeure de la physique des particules en assumant l'équipement suivant.
Le dernier ? Des physiciens américains viennent de démontrer que d'autres techniques, potentiellement plus économiques à défaut d'être moins complexes, pourraient offrir une suite raisonnable à la course aux grands accélérateurs. Dans Nature du 15 février, ils rapportent avoir réussi à doubler l'énergie de certains électrons du faisceau produit par l'accélérateur linéaire de Stanford (Californie) en lui faisant traverser les turbulences d'un plasma, un gaz dans un état très particulier.
Ils ont ainsi obtenu, en moins de 1 mètre, de hautes énergies que les accélérateurs classiques mettent des kilomètres à rassembler. Cette technique des plasmas avait récemment démontré sa pertinence grâce à une équipe française qui a conçu un mini accélérateur, efficace sur 1 millimètre (Le Monde du 8 décembre 2006).
Peut-elle se substituer rapidement aux équipements actuels ? De l'avis même de ses concepteurs, elle est encore trop balbutiante et doit franchir nombre d'étapes avant d'ouvrir un accès durable et fiable au domaine des très hautes énergies. "C'est une chose d'accélérer des particules et une autre de créer les bonnes conditions pour une collision, dit M. Wormser. L'énergie obtenue à Stanford ne concerne que 1 % des électrons, alors que les physiciens ont besoin de mobiliser la totalité du faisceau. La technique n'en est pas moins prometteuse, et elle pourrait apporter des solutions à une échéance encore lointaine, entre 25 et 50 ans." L'extinction inéluctable des mastodontes n'est pas encore imminente.
Jérôme Fenoglio