neurobiologie de la personnalité, c'est l'autre bouquin de ledoux apres le cerveau des émotions. et ce livre traite plus particulierement justement de ces rapports entre personnalité et conscience
neurobiologie de la personnalité
(abounouwas @ dimanche 11 février 2007 à 16:16 a écrit : Le même texte objecte ainsi:
"En fait, c'est une conscience redoublée : je vois une table — ce qui est une conscience perceptive de la table ; j'ai conscience que je vois une table — ce qui est une conscience de soi. C'est donc la conscience d'un état de conscience."
J'ai été voir les conférences et exposé plus haut mes réserves. En somme, Cabanac lie sensation et conscience et embraie sur les qualités des objets de conscience or, je me demande si en l'espèce ce ne sont pas des objets de sensation.
En tout cas, merci pour les références, je m'empresse de lire l'article que tu as mis en ligne. Et je tiens à préciser que loin de tout idéalisme (qu'ici personne ne professe), je m'interroge pour lier la conscience au langage c'est-à-dire en définitive au travail car Bakhtine fait du mot le siège des luttes de classes.
:wavey:
en fait il ne faut pas confondre la conscience et la conscience de la conscience. Monsieur jourdain faisait de la prose sans le savoir.
la aussi on ramene la conscience à ce qu'on peut nommer, à ce qu'on peut décrire avec le language ce qui me parait à la fois singulierement réducteur et anthropocentriste...
il est vrai que cette capacité d'abstraction, de description par le language, est le plus de la conscience humaine par rapport à la conscience animale mais un chimpanzé est parfaitement capable de comprendre ce qu'est une chaise, , ce qu'est une banane, et à quoi elles servent meme si il ne possede pas de mots pour nommer ces catégories.
une chaise pour un chimpanzé observateur, ça sert à s'asseoir, ça peut aussi servir à acceder à un endroit haut si on la porte au bon endroit et si on s'équipe d'un baton. à restructurer l'espace comme diraient les paigetistes...
et si on apprend à un chimpanzé le language des signes ou un language par cryptogramme il sait associer des symboles pour décrire une action.
quand à l'association de la conscience au travail, méfions nous des faux amis languagiers. la notion de travail est indissociable de la société de classe....il serait plus efficient de parler de maitrise des techniques permettant d'utiliser de plus en plus efficacement leur environnement, ces techniques incluant outre les outils proprement dits l'ensemble des observations et des savoir faire sociaux, ce que j'appelerai l'intelligence sociale, tout un savoir faire qui n'a pas cessé de se developper progressivement depuis les grands singes et dont on peut observer l'embryon dans les sociétés de primates actuelles.
à mon avis d'ailleurs notre capacité à maitriser des abstractions mathématiques ou à anticiper, à se projeter dans le futur à comprendre par exemple la notion de mort sont des notions issues d'évolution tres tardives du language, evolutions purement culturelles et bien posterieures à l'apparition d'homo sapiens. Certaines tribus amazoniennes comme les mundurucu ne connaissent pas les nombres...et les premieres traces d'art et de sépultures apparaissent il y a moins de 100 000 ans alors que sapiens existe depuis 200 000 ans.
- canardos
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- Inscription : 23 Déc 2005, 16:16
a écrit :Il existe des formes d'intelligence et de conscience non verbales. Nous nous représentons physiquement y compris dans nos différences avant de nous représenter verbalement.
a écrit :mieux, certains singes sont capables de théorie de l'esprit, c'est à dire qu'ils sont capables d'imaginer ce que les autres membres du groupe croient et de baser des tactiques la dessus, pour les duper par exemple, meme quand ils savent que ce n'est pas vrai.
a écrit :quand un singe dupe des partenaires en lançant un cri d'alarme afin de s'approprier leurs réserves pendant qu'ils se cachent, il sait que ces partenaires ne savent pas que l'alarme n'est pas réelle, il sait donc qu'ils ne savent pas la meme chose que lui, il commence à maitriser la théorie de l'esprit et à supposer que les autres ont d'autres croyances que les siennes.
a écrit :à partir de quand la communication par signes des primates devient-elle un language....avec le developpement de la syntaxe qui démultiplie les possibilités de communications...avec l'usage d'abstraction aussi, la capacité d'exprimer le futur, par exemple, donc avec le developpement du cerveau des hominidés. mais tout ça s'est fait tres progressivement sur des millions d'années.
a écrit :mais je voulais simplement dire que la conscience s'est developpée progressivement sur la base d'une communication par signes de plus en plus élaborée, qu'elle n'est pas fondée que sur le language.
70 ans de psychologie cognitive et d'étude de l'enfant et des primates le montrent assez.
a écrit :la conscience s'est developpée progressivement sur la base d'une communication par signes de plus en plus élaborée, qu'elle n'est pas fondée que sur le language.
a écrit :et si on apprend à un chimpanzé le language des signes ou un language par cryptogramme il sait associer des symboles pour décrire une action.
a écrit :Pour la theorie de l'esprit (savoir ce que les autres pensent pour pouvoir les tromper) chez certains singes, j'imagine que d'autres ont pu formuler l'objection suivante: n'est-ce pas simplement l'observation de séquences stimuli-réactions qui amènent à pouvoir anticiper et tromper. Après tout, les leurres sont monnaie courante dans la nature.
a écrit :Ce que cache le miroir :
La reconnaissance de soi chez l'animal
Les animaux ont-ils une conscience ? Question éminemment difficile que l'on peut aborder en étudiant si des animaux manifestent des comportements de reconnaissance d'eux-mêmes. Dès les années 1970, on a pu montrer que les chimpanzés sont capables d'utiliser un miroir pour explorer leur corps. Plus surprenant peut-être, les dauphins et les orques sont eux aussi capables, comme l'expliquent Fabienne Delfour et Pascal Carlier, de comportements cognitifs aussi élaborés.
Poser la question de l'existence de la conscience de soi chez les animaux nécessite de considérer l'animal comme un (vrai) sujet. Or la culture occidentale porte l'héritage de la pensée dualiste de René Descartes (1596-1650) qui opposait le corps, parfait automate dénué de pensée, à l'âme, émanation du divin et siège de la vie psychique. De tous les êtres vivants, seul l'homme possédait une âme et se trouvait donc placé, intouchable, au sommet de la pyramide de l'évolution. La question de la conscience chez un « animal-machine » ne se posait donc pas. Cette vision mécaniste de l'animalité, en faisant l'économie des phénomènes non observables, a facilité l'établissement des bases de la biologie moderne sur des faits d'observation et d'expérimentation.
L'éthologie n'est devenue véritablement cognitive que dans les années 1970-1980 en s'intéressant notamment à la question de la conscience (voir l'encadré 1). L'analyse de la conscience de soi, question particulièrement complexe, concerne principalement les grands singes anthropoïdes, mais aussi les mammifères marins, qui ont des cerveaux bien développés, une vie sociale complexe et des capacités cognitives proches de celles des grands primates.
Cependant, démontrer l'existence d'une conscience chez un individu est très difficile : le concept de la conscience est fondamentalement réflexif ; on ne peut en effet être sûr d'être conscient d'un moment ou d'une action que lorsque l'on est, à l'instant présent, « conscient d'être conscient ». Autrement dit, nous sommes ici dans un processus de « second ordre », une « métaconscience » qui n'a pas besoin d'être démontrée car elle fait l'objet d'un consensus intersubjectif au sein de l'espèce humaine.
L'existence de la simple conscience est, elle, difficilement démontrable ; on peut même penser que c'est cette conscience de « premier ordre » qui est recherchée dans certains types de méditation traditionnelle. Dans le bouddhisme zen, par exemple, on prescrit à l'individu de ne pas « s'accrocher » à ses pensées, et il lui est préconisé d'atteindre un état « d'intense présence ».
La question qui nous préoccupe se rapporte donc plutôt à un « Soi », entité unifiée, qui se reconnaît. Notre question, que l'on soumettra plus aisément à l'épreuve des faits que celle de la conscience, devient : « que signifie être capable de se reconnaître ? ».
La conscience de soi : bref historique
L'étude d'un animal-sujet est devenu d'actualité dans les années 1920 avec l'émergence du courant phénoménologique impulsé par l'Autrichien Franz Brentano (1838 - 1917) et son élève Edmund Husserl, qui montrait les limites du dualisme cartésien. Dans leur sillage est apparue une « psychologie phénoménologique » qui garde encore actuellement son pouvoir de questionnement lorsque l'on s'intéresse à la dimension subjective du vivant. On peut citer E. Strauss (1935), Jakob Von Uexküll (1956), Frederik Jacobus Buytendijk (1952, 1958) qui ont posé les jalons d'une psychologie comparée homme-animal.
Mais ce courant n'a exercé qu'une influence marginale sur la connaissance psychologique de l'animal car l'environnement scientifique de la fin du XIXe au XXe siècle a évacué la question d'un animal-sujet. Ainsi Charles Darwin (1809-1882), qui rétablissait une continuité entre l'homme et les autres espèces, n'avait pas « besoin » de s'intéresser à la subjectivité animale dans la mesure où les aspects physiques et morphologiques étaient plus accessibles pour rendre compte de l'évolution des espèces. De même la psychologie behaviouriste (avec notamment John Watson autour de 1920), qui plaçait les organismes à égalité face à l'apprentissage (les rats, jugés représentatifs, étaient très utilisés), revendiquait l'absence de prise en compte des processus non observables (la « boîte noire ») et s'attachait à expliquer le comportement essentiellement par des processus d'association et de conditionnement.
De façon plus surprenante, l'éthologie initiée par Konrad Lorenz dans les années 1930-40, qui a mis au premier plan les caractères spécifiques des différentes espèces animales, a adopté un point de vue extérieur sur l'animal en mettant l'accent sur les invariants comportementaux (les instincts) produits en relation avec des contextes environnementaux et des stimuli spécifiques.
L'approche cognitive contemporaine tend quant à elle à fragmenter le psychisme pour l'étudier empiriquement (ce qui détermine en grande partie ses méthodes). Elle postule des processus cognitifs sans nécessairement s'intéresser aux aspects subjectifs ou de conscience qui leur sont associés.
L'éthologie cognitive de Griffin
On peut citer toutefois la démarche originale d'éthologie cognitive de Donald Griffin (1915-2003), dans les années 1980 (1). Faisant fi du principe de parcimonie (l'hypothèse la plus simple est la plus probable), elle n'hésite pas à attribuer à des organismes « inférieurs » des états de conscience. Cet a priori théorique offre l'avantage de pouvoir poser la question d'une conscience ; cette conscience du corps, voire conscience de soi, ne se manifesterait pas par « tout ou rien », mais aurait des degrés différents.
La primatologie tient là, historiquement, une place particulière. À partir de la deuxième partie du XXe siècle, elle s'est située dans une perspective de psychologie comparée en s'interrogeant sur la continuité des fonctions mentales entre l'homme et l'animal. Cette perspective s'explique autant par la proximité de l'homme avec les espèces étudiées que par l'origine des chercheurs qui la défendent, issus à la fois de la biologie et de la psychologie.
Ainsi dans une expérience célèbre de 1970, Gordon Gallup (State University of New York) a montré que certains primates non humains possèdent une représentation de soi (2). Des chimpanzés (Pan troglodytes), que l'on endort et sur le front desquels on trace une marque de couleur, y portent la main dès qu'ils se réveillent et se voient dans un miroir. Ils sont par ailleurs capables d'utiliser un miroir pour explorer des parties cachées de leur corps. Gallup avait d'abord interprété ce résultat en termes de conscience de soi ; puis en réponse à des critiques, il a postulé que ces sujets étaient en mesure de traiter leur image dans le miroir comme le reflet d'eux-mêmes et non comme un congénère : il s'agissait d'une représentation de soi.
Par la suite, le concept de Theory of mind proposé par David Premack et Guy Woodruff en 1978 (3), c'est-à-dire la capacité à attribuer et à comprendre les états mentaux tels que les désirs ou les intentions, est devenu un cadre générateur de nombreuses études empiriques chez les primates.
(1) D.R. Griffin (1976) The Question of Animal Awareness, Rockefeller University Press.
(2) G.G. Gallup et al. (2001) « The mirror test », In: M. Bekoff et al. (éd) The Cognitive Animal: Empirical and Theoretical Aspects of Animal Cognition, Cambridge, M.I.T. Press, 325-333.
(2) D. Premack & G. Woodruff (1978) « Does the chimpanzee have a theory of mind? » Behavioral Brain Sciences 1: 515-526.
Certains mammifères marins se reconnaissent
Les chercheurs disposent de différents outils pour étudier les phénomènes de reconnaissance de soi. Le plus évident est la réaction d'un sujet face au miroir (image spéculaire). Le test de la tache est un autre classique : un animal, marqué à son insu, est placé devant un miroir. Enfin, des séquences filmées peuvent être utilisées : un individu est filmé et on lui présente cette séquence comportementale en temps réel ou en différé.
Le psychanalyste et psychiatre Jacques Lacan a identifié chez les jeunes enfants âgés de 18 mois environ une phase d'émergence de la conscience de soi, appelée « stade du miroir » [1]. Au cours de cette phase, les enfants confrontés à leur reflet dans le miroir manifestent des comportements auto-dirigés (ils effectuent un auto-examen) et réussissent le test de la tache en explorant la partie de leur corps qui a été marquée.
Dans les années 1990, des expériences du même ordre ont été menées sur des mammifères marins [2,3,4]. Ken Marten, du Long Marine Laboratory (Université de Californie, Santa Cruz), a travaillé sur des lions de mer (Zalophus californianus), puis, avec Suchi Psarakos et l'un d'entre nous (Fabienne Delfour), sur les dauphins souffleurs (Tursiops truncatus) et les pseudorques (Pseudorca crassidens) au Sea Life Park (Hawaii). L'un d'entre nous (F. Delfour) a étudié les orques (Orcinus orca) au Marineland (Antibes, France).
Dans tous les cas, était recherchée la présence de comportements suggérant un auto-examen à partir de l'image spéculaire (dans le miroir) : bouger rythmiquement la tête, tirer la langue, émettre des bulles, jouer avec des objets, etc. Ces comportements étaient comparés à des situations sociales (confrontations à des congénères connus ou inconnus), afin de distinguer les comportements auto-dirigés des comportements sociaux.
Les résultats sont hétérogènes (voir le tableau 1) : si les orques et les dauphins, face au miroir, ont des comportements auto-dirigés et contingents (ils s'examinent en utilisant le miroir), la réponse est moins claire pour les pseudorques, et les lions de mer échouent catégoriquement.
Le test de la tache
Pour pratiquer le test de la tache, les animaux doivent être marqués à leur insu, durant leur sommeil ou après anesthésie. Cependant, l'anesthésie des mammifères marins, dont la respiration n'est pas automatique, peut être hasardeuse. Nous avons donc leurré les animaux en procédant tout d'abord à de faux marquages. Dans le cas des orques, par exemple, nous avons appliqué sur leur gueule de la vaseline incolore. Leur épiderme était stimulé mais elles ne pouvaient pas voir de marque colorée. Par la suite, nous avons appliqué deux antiseptiques dont la couleur tranchait avec leur pigmentation cutanée.
Une femelle marquée s'est dirigée vers le miroir, est ensuite allée frotter la partie de son corps marquée contre la paroi du bassin puis est revenue s'observer dans le miroir. Elle a ainsi effectué plusieurs allers-retours avec chaque fois moins de substances colorées sur son corps.
Dans ces tests, les comportements des dauphins et des orques apparaissent très proches. S'ils attestent d'une capacité à se reconnaître à partir de leur image spéculaire, il n'en va pas de même pour les pseudorques et les lions de mer qui, a minima, n'auraient pas une représentation stable et distanciée de leur apparence physique.
La vidéo, en direct ou en différé
Ken Marten et Suchi Psarakos ont réalisé différentes expériences utilisant des vidéos sur quatre dauphins souffleurs [2, 5]. Soumis à leur image télévisuelle, ils ont manifesté des comportements auto-dirigés en temps réel mais pas en différé (lorsqu'ils voyaient une image préenregistrée d'eux-mêmes). Ces mêmes dauphins se sont positionnés de façon à pouvoir observer la partie de leur corps marquée et ont utilisé l'angle de prise de vue (frontal et latéral) de façon à poursuivre leur examen lorsqu'ils étaient soumis à leur image en direct.
L'absence de comportements sociaux et la présence de comportements auto-dirigés et contingents ont permis de conclure que les dauphins percevaient leur image télévisuelle comme une représentation d'eux-mêmes et non comme celle d'un congénère.
Vidéo et signature sifflée
On peut encore aller plus loin. Les dauphins possèdent en effet une signature sifflée individuelle. Avec Ken Marten, l'un d'entre nous (F. Delfour) a testé leur capacité à associer une signature sifflée à la représentation visuelle du dauphin émetteur du sifflement [3]. Nous avons demandé à des sujets d'associer d'une part un sifflement de dauphin avec la séquence vidéo de ce dauphin, d'autre part une voix humaine avec la séquence vidéo de cette personne. Pour cela, nous avons utilisé pour la première fois un écran tactile sous-marin qui permet de projeter des images.
Les dauphins ont montré un vif intérêt et une aptitude à utiliser de façon adéquate ce nouvel outil en associant le bon son à la bonne séquence vidéo. Ces premiers résultats valident l'utilisation du dispositif. Ils ouvrent de grandes perspectives car c'est la première fois que l'on démontre que les dauphins sont capables de se reconnaître sur des sequences vidéo et d'associer la bonne signature sifflée à l'animal qui la produit.
Que cache le miroir ?
Ainsi, les études empiriques des chercheurs ont démontré que certains mammifères marins (dauphins, orques et peut-être pseudorques) sont capables de reconnaître une partie de leur corps dans le miroir et de développer des comportements contingents (au sens de comportements développés en interaction avec leur image perçue) lorsqu'ils sont confrontés à leur image spéculaire ou télévisuelle. Ils paraissent donc posséder les pré-requis nécessaires à la construction d'une identité d'action. Cette connaissance dite « procédurale », établie chez l'homme, contribue à l'identité de la personne et est mise en évidence par la capacité à reconnaître « le style » de ses actions et de prédire plus justement quelles seront ses actions futures en ayant connaissance de ses actions passées.
Le corps tient un rôle majeur dans la construction d'une subjectivité, condition sine qua non rendant possible l'émergence d'un soi constitué. Le biologiste allemand Jakob Von Uexküll (1864-1944) en avait déjà signifié l'importance dans les années 1910-1920. D'après lui, le sujet, grâce à ses récepteurs sensitifs et sensoriels, non seulement perçoit le monde (Merkwelt), mais peut aussi exercer une action sur le monde (Wirkwelt) par ses impulsions et réactions. C'est une relation en boucle entre un sujet et un monde subjectif construit (Umwelt). Considérons par exemple un aigle et un éléphant d'Asie : tous les deux partagent un monde commun – spécifique – avec leurs congénères et différent de celui de l'autre espèce, auquel vont se superposer des particularités plus discrètes liées à leur histoire individuelle.
Les animaux ont-ils des états mentaux ?
Reste que, dès lors que l'on s'attache à analyser les phénomènes de conscience et de conscience de soi, le recours à d'autres indices que celui de la reconnaissance de soi est indispensable. Il faut ainsi comprendre si un sujet se représente ce que l'autre sait ou ne sait pas, c'est-à-dire lui attribuer des états mentaux.
Certains chercheurs qui travaillent sur les primates non humains sont encore très partagés sur les résultats obtenus, notamment pour la présence effective de certains états mentaux chez les gorilles et les singes capucins ; par exemple ces derniers ne parviennent pas à reconnaître leur image dans le miroir [6]. L'attribution d'états mentaux chez les mammifères marins demeure pour sa part encore inexplorée ; c'est un sujet très difficile qui suscite beaucoup de débats dans la communauté des cétologues et qui soulève de nombreuses difficultés expérimentales.
Comment mettre en évidence une conscience de soi ?
Comme le faisait remarquer le philosophe Maurice Merleau-Ponty (1908-1961), d'un point de vue phénoménologique, se reconnaître c'est apprendre à considérer son corps comme un objet (1). Si le toucher arrive à réfléchir « en temps réel » l'action du corps, la connaissance qu'il donne de celui-ci est encore lacunaire, et la vue sans reflet ne permet pas de distanciation. Pour Merleau-Ponty, notre propre schéma corporel est un moyen de connaître les autres corps, et en retour ceux-ci nous permettent de connaître notre corps. Il ajoute que contrairement à la main qui touche l'autre main, l'œil ne se voit que dans le miroir. Avoir un Soi signifie donc que l'on possède une construction visualisable et distanciée de son corps comme subjectivité regardée.
Etant donné que le Soi reste soi indépendamment du moment et du lieu, nous pourrions faire de cette permanence spatio-temporelle un pré-requis indispensable à l'analyse de la reconnaissance d'un Soi. Mais ne serait-il pas possible de postuler un « Soi situé » dépendant de situations locales, voire de certains états psychophysiologiques ? De la même façon, pourquoi ne pas considérer des circonstances où la reconnaissance de soi se réduirait à la reconnaissance de mouvements (identité d'action) ou de parties du corps ? Cela aurait pour conséquence de ne pas répondre à la question « un animal se reconnaît-il ? » simplement par « oui » ou par « non », mais de définir une continuité dans cette capacité cognitive parmi différentes espèces animales.
Par exemple, un animal peut échouer au test du miroir en reconnaissant néanmoins une partie de son corps dans le miroir. Mais il lui manquera une image stable de lui-même qu'il pourrait confronter à son reflet du moment. Pour simplifier : il voit « quelque chose » qui lui est lié, mais il ne se perçoit pas comme une entité globale, stable, évoluant dans le temps et l'espace.
(1) M. Merleau-Ponty (1994) La Nature, Notes de Cours du Collège de France 1956-1960, Le Seuil.
Comme nous avons pu le constater, le comportement de certains cétacés face à l'image spéculaire « place la barre très haut » sur le plan cognitif, puisqu'il semble que la reconnaissance dans un miroir implique des processus cognitifs particulièrement élevés. La réussite aux épreuves précédentes montre que les dauphins et les orques possèdent une image corporelle distanciée d'eux-mêmes ; cette image corporelle distanciée, stable dans le temps et l'espace, témoigne de l'émergence d'un Soi constitué.
De plus, cette image semble socialisée. En effet, qu'une tache de couleur déclenche une tentative pour l'effacer pourrait témoigner d'une attention à l'image renvoyée aux congénères, eux-mêmes perçus comme porteurs d'un « regard sur soi », d'une subjectivité. Cette interprétation spéculative fait implicitement référence aux théories psychologiques ou même à la conception phénoménologique qui pose que la construction du soi est subordonnée à la reconnaissance des autres. Si l'on suit ce raisonnement, l'image de soi intègre autrui en amont.
De la reconnaissance à la conscience
Par souci de scientificité, la « conscience » chez les animaux a trop longtemps été occultée. Cependant nous pensons qu'en faire l'économie pourrait être fort coûteux scientifiquement : lorsque l'on met en évidence des phénomènes aussi importants qu'une représentation de soi stable dans l'espace et le temps, il devient plus coûteux au plan scientifique de ne pas postuler l'existence de la conscience animale que de le postuler.
Nous pensons donc quant à nous qu'il est temps d'envisager et d'étudier son existence chez certains animaux, tels que les dauphins et les orques, tant ils semblent capables de se « scénariser » dans le temps et l'espace.
Fabienne DELFOUR et Pascal CARLIER
§ Laboratoire de Biologie du Comportement, Université Grenoble 2.
& Institut de Neurosciences Physiologiques et Cognitives, CNRS, Marseille.
[1] J. Lacan (1949) « Le stade du miroir comme formation de la fonction du " je " », In: Ecrits, Le Seuil, 1966. [2] K. Marten, S. Psarakos (1994) « Evidence of self-awareness in the bottlenose dolphin (Tursiops truncatus) », In: S.T. Parker et al. (éd) Self-awareness in animals and humans, New York, Cambridge University Press, 361-379 ; en ligne ici. [3] F. Delfour, K. Marten (2001) « Mirror image processing in three marine mammal species: killer whales (Orcinus orca), false killer whales (Pseudorca crassidens) and California sea lions (Zalophus californianus) », Behavioural Processes 53:181-190. [4] D. Reiss & L. Marino (2001) « Mirror self-recognition in the bottlenose dolphin: A case of cognitive convergence », PNAS 98:5937-5942 ; version pdf. [5] K. Marten, S. Psarakos (1995) « Using Self-View Television to Distinguish between Self-Examination and Social Behavior in the Bottlenose Dolphin (Tursiops truncatus) », Consciousness and Cognition 4(2): 205-224 ; en ligne ici. [6] J.R. Anderson & J.J. Roeder (1989) « Responses of Capucin Monkeys to different conditions of mirror-image stimulation », Primates 30: 581-587.
Pour aller plus loin
Project Delphis, EarthTrust
Encyclopédie Stanford de la philosophie, Animal Consciousness.
David Chalmers, Online papers on consciousness.
Donald R. Griffin (2001) Animal Minds: Beyond Cognition to Consciousness. Extrait.
F.J. Varela et al. (1993) L'inscription corporelle de l'esprit. Sciences cognitives et expérience humaine, Paris, Le Seuil, La Couleur des Idées.
J. Keenan, G.G. Gallup, D. Falk (2003) The Face in the Mirror: The Search for the Origins of Consciousness, Ecco/Harpercollins, New York.
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