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Aux origines de l’enfance[/center]
Il y a 160.000 ans déjà, nos ancêtres prenaient leur temps pour grandir. C’est ce que révèle l’étude de la dentition fossile d’un enfant âgé de seulement de 8 ans retrouvé au Maroc. Ce petit d’homme moderne aurait connu un développement long, comparable à celui d’Homo sapiens, selon les paléontologues.
Gros plan sur la zone de la mandibule de Jebel Irhoud étudiée à l'ESRF. (P.Tafforeau/ESRF)Comment définir avec exactitude la frontière entre les derniers proto-humains et Homo sapiens ? Entre nos ancêtres et nous ? Peut-être en comparant, grâce à l’étude des dents, la durée de l’enfance, ou la vitesse de croissance, comme le pense l’équipe internationale dirigée par l’anthropologue Tanya Smith (Max-Planck Institute, All.). En effet l’homme atteint sa maturité vers 14 ans tandis que notre plus proche cousin, le chimpanzé, y parvient vers 7 ans. Les paléontologues ont de même établi que les australopithèques - les frères de Lucy - et les Homo erectus avaient un développement rapide. Il suffirait donc d’estimer quand les enfants se sont mis à grandir à la même vitesse que les nôtres pour mieux dater l’émergence d’Homo sapiens.
Il a d’abord fallu choisir un candidat pour les recherches. Il se trouve que des fossiles vieux de 130.000 à 190.000 trouvés à Jebel Irhoud, au Maroc ont à la fois des traits primitifs et modernes, ne permettant pas aux archéologues de trancher quant à leur appartenance. Parmi les ossements, la mandibule d’un enfant estimé à 8 ans.
Sachant que les maladies et la malnutrition peuvent ralentir la croissance et fausser la datation, la seule méthode fiable pour déterminer l’âge biologique est l’étude des dents. Au cours de l’enfance en effet, les phases de croissance des dents forment des rainures, comme les cernes laissés chaque saison dans le tronc des arbres. Jusqu’à présent, cela nécessitait de découper finement les échantillons afin de distinguer la microstructure de l’émail et réaliser la dendrochronologie (évaluation de l’âge grâce aux cernes).
Pour éviter d’avoir à découper les précieux fossiles, Tanya Smith s’est allié les compétences de Paul Tafforeau, paléontologue français qui travaille au synchrotron européen (ESRF) de Grenoble. La dent de Jebel Irhoud a été étudiée pour la première fois à l'aide de la microtomographie à rayons X par synchrotron, qui sert à explorer la structure des métaux. « On peut l’utiliser sur l‘émail car la résolution est très haute : on peut faire une coupe virtuelle avec la précision d’un microscope, explique Paul Tafforeau. Cette finesse est possible grâce à la puissance du synchrotron».
Suite à l’étude des rainures, le verdict a été sans appel : l’enfant avait bien huit ans à sa mort. Sa vitesse de croissance était identique à la nôtre, le rapprochant de l’espèce H. sapiens. Ce n’est pas anodin car une période prolongée de développement, autrement dit une enfance plus longue, laisse plus de temps à l’éducation et à la transmission, terreau de la culture.
Ces travaux sont publiés cette semaine dans les Proceedings of the National Academy of Sciences.
Philippe Salomon
Sciences et avenir.com
(13/03/07)