dans le journal du CNRS d'avril:
a écrit :
[center]CO2 : dans quel camp sont les plantes ?[/center]
En avril, dans le Sud-Ouest de la France, des chercheurs vont mesurer les échanges de carbone entre sol et atmosphère. L'objectif ? Distinguer avec précision dans les écosystèmes les puits et les sources de ce gaz nocif.
Branle-bas de combat dans les Landes ! Des avions en survol sur la forêt, des hommes perchés dans les arbres, des appareillages déployés sur les champs… la trentaine de chercheurs venus de toute l'Europe ne seront ni en villégiature ni en séjour gastronomique. « Même si la région est particulièrement agréable… » reconnaît Joël Noilhan, du Groupe d'étude de l'atmosphère météorologique (Game)1 de Météo France. Ils se préparent en effet en avril et en septembre 2007 à affiner des mesures déjà obtenues en 2005 lors d'une précédente campagne.
L'objectif de cette mission européenne, intitulée « Carbo Europe2» ? Mieux comprendre et quantifier, à partir des mesures effectuées dans cette région du Sud-Ouest de la France, les échanges de gaz carbonique entre le sol et l'atmosphère. Car, à l'heure où la planète entière s'inquiète de l'évolution du climat et où le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) annonce une hausse de 2 à 4 degrés à l'horizon 2100 due à l'augmentation du gaz carbonique de l'atmosphère, les chercheurs ne comprennent toujours pas les détails des flux de ce gaz, et particulièrement le rôle de certains écosystèmes dans son absorption et dans son rejet.
À la surface de la Terre, quelques écosystèmes se comportent comme des puits de CO2, c'est-à-dire qu'ils absorbent, dans certaines conditions, ce gaz, et compensent ainsi en partie les émissions anthropiques. C'est, par exemple, le rôle joué par l'océan, habituellement. Les végétaux sont aussi considérés généralement comme des puits de carbone. Sauf que – observés individuellement et de très près – ils ont des comportements différents : prairie, forêt ou surface cultivée n'ont pas le même bilan de carbone… « Nos résultats de 2005 ont montré que les deux premières ont tendance à absorber le CO2 alors que les terres agricoles se comporteraient plutôt comme une source de gaz carbonique. » Or, il est très important de connaître le flux de carbone net pour améliorer la compréhension du climat.
Pour cela, nos chercheurs vont donc reprendre leur enquête. Et toujours avec les grands moyens : trois avions capables de traîner des instruments de mesures sur de grandes distances ; trois tours, perchées entre 40 et 50 mètres du sol, bien au-dessus des arbres, et des stations de flux, à quelques dizaines de centimètres au-dessus des cultures, capables de fournir la quantité de CO2, la température, l'humidité, le rayonnement et la direction du vent.
Ces indications précieuses viendront compléter les résultats issus de la première vague de campagnes. Après un traitement des données de plusieurs mois, l'équipe a en effet déjà constaté une grande variation du taux de CO2 liée à différents niveaux d'assimilation du carbone par les plantes : par exemple, d'importantes différences d'émission ont été constatées entre les forêts et les cultures d'hiver. En outre, elle a mis en évidence un flux de carbone en provenance de l'océan et apporté par la brise de mer pendant le jour : en effet, la solubilité du gaz carbonique dans l'eau varie en fonction de la température diurne. Mais les échanges entre le sol et l'air renferment d'autres subtilités, qui devront être élucidées à l'issue du programme Carbo Europe fin 2008 : en effet, un sol labouré n'émet pas de la même manière qu'un champ cultivé, et les différentes espèces végétales semblent ne pas dégager la même quantité de carbone. Il y a aussi une variation selon les saisons, d'où l'idée de mener deux campagnes de mesures cette année : au printemps et en automne…
À terme, on espère donc en apprendre beaucoup sur les échanges de carbone de cette région. Un savoir qui servira aussi à l'échelle européenne : « Nous pensons optimiser les méthodes de mesures et les modèles de transport atmosphérique afin de concevoir une méthode d'estimation des puits et sources de CO2 que l'on pourrait utiliser partout en Europe à l'échelle d'une dizaine de kilomètres », explique Joël Noilhan. Une précision à comparer à celle du modèle climatique qui représente actuellement les variations de carbone et à ses « mailles de 10 000 km2 », c'est-à-dire environ dix fois plus grandes. Impossible alors de faire la part de ce qui revient à l'agriculture et de ce qui reste redevable aux forêts. La nouvelle carte permettra au contraire de distinguer par exemple les surfaces cultivables des prairies. Complétée par une carte d'émission des villes, notamment ici les deux grandes métropoles régionales Toulouse et Bordeaux, elle constituera à coup sûr un instrument important de décision en matière d'agriculture et d'aménagement du territoire…
Azar Khalatbari
1. Laboratoire CNRS / Météo France Centre national de recherche météorologique.
2. Qui regroupe de nombreuses universités européennes, le Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement (LSCE, CNRS / CEA/ Univ. Versailles St Quentin), le Cesbio (CNRS / IRD / Univ. Toulouse-III / Cnes), l'Inria de Bordeaux et Météo France.