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[center]Près de Pise, le détecteur astronomique Virgo traque le passage des ondes gravitationnelles[/center]
LE MONDE | 23.05.07 |
CASCINA (ITALIE)
On peut rechercher les événements les plus brutaux de l'Univers et craindre les trottinements d'une visite d'écoliers. Depuis le début de son exploitation scientifique, vendredi 18 mai près de Pise, le détecteur géant Virgo pose les tout premiers jalons d'une astronomie de l'extrême, qui doit éliminer les plus anodins des mouvements terrestres pour discerner les traces de cataclysmes lointains.
Ce paradoxe apparent reflète celui de la gravitation, dont le pouvoir sur l'infiniment grand et sur les masses gigantesques des galaxies masque une insigne faiblesse par rapport aux trois autres forces fondamentales de la nature. "Pour la concevoir, considérez qu'il suffit d'un petit aimant pour soulever un clou tombé par terre, écrit l'astrophysicien Trinh Xuan Thuan dans Les Voies de la lumière (Fayard). Ce qui veut dire que la force électromagnétique exercée par l'aimant sur le clou est de loin supérieure à la force de gravité exercée sur lui par les 6 000 milliards de milliards de tonnes de la masse de la Terre."
Ce manque de vigueur est l'une des causes de la complexité de la tâche assignée à Virgo : la détection des ondes gravitationnelles, prédites par la relativité générale d'Einstein, et qui n'ont encore été décelées que de manière indirecte. A la manière des vaguelettes qui plissent la surface d'un étang trouée par un caillou, ces ondulations se propagent à la vitesse de la lumière en déformant la géométrie de l'espace-temps et en modifiant localement la distance entre deux points. Elles sont déclenchées par des catastrophes cosmiques, comme les explosions de certaines étoiles en supernovae ou la fusion de deux corps massifs, trous noirs ou étoiles à neutrons.
Mesurer l'amplitude de ces rides compléterait notre connaissance de l'Univers, en permettant aux astronomes de s'appuyer sur d'autres observations que celles des rayons lumineux. Mais les fluctuations provoquées par les ondes gravitationnelles sont infimes. Sur la distance de la Terre à la Lune, cette variation serait de l'ordre de la taille d'un atome.
Pour la détecter, Virgo, fruit d'une collaboration franco-italienne entre le CNRS et l'Institut national de physique nucléaire, déploie dans la plaine pisane un grand L composé de deux bras perpendiculaires de 3 km chacun. Un faisceau laser, divisé en deux, parcourt à l'intérieur de chaque bras environ 150 km, grâce à un jeu de miroirs. Toute variation du signal lumineux doit trahir une modification de la distance entre les miroirs causée par une onde gravitationnelle.
Pour obtenir cette précision de l'ordre du milliardième de milliardième de mètre, le système doit être d'une stabilité sans défaut. Le faisceau, irréprochable, doit se déployer dans un vide de qualité spatiale et être reflété par des miroirs parfaits, eux-mêmes protégés du bruit de fond sismique - causés par exemple par le fracas des vagues sur la côte toscane - par une chaîne de filtres suspendus les uns aux autres.
Ces prouesses technologiques ont construit un système particulièrement ardu à mettre au point. C'est ce qui explique que quatre années de réglage aient été finalement nécessaires, alors que le calendrier n'en prévoyait qu'une après l'inauguration de 2003. Ces trésors de précautions n'ont toutefois pas éliminé toutes les angoisses des scientifiques, et de nombreux sources parasites doivent encore être prises en compte en ce début de phase scientifique. Le passage des avions brouille le signal, comme celui de certaines masses nuageuses. Le veilleur de nuit devra, lui, renoncer à ses rondes dont la trace apparaît sur les données recueillies.
De plus, il est un paramètre crucial sur lequel les chercheurs n'ont que peu de prise : le nombre d'événement détectables. L'équipe de Virgo guette des phénomènes mal connus, dont les statistiques sont approximatives. "La capacité des supernovae à produire des ondes gravitationnelles avait été surestimée par les théories", assure Benoît Mours, porte-parole du projet. La probabilité d'un événement perceptible ne dépasse guère aujourd'hui un par an. Avec cette proportion, une découverte s'apparenterait à une divine surprise. Pour augmenter ces chances, une alliance vient d'être conclue avec les deux détecteurs du système américain LIGO, qui prennent des mesures depuis cinq ans, sans avoir encore rien vu. Renonçant à toute concurrence, les équipes mettront en commun leur données.
Les chercheurs comptent surtout sur une amélioration des capacités de Virgo, qui permettra de détecter des événements plus lointains, donc plus faibles mais aussi statistiquement plus nombreux. Un première modification est prévue en 2009 puis, surtout, une amélioration plus radicale à l'horizon 2014. Le taux d'événements détectables aura alors été multiplié par 1 000 et l'ère de l'astronomie gravitationnelle aura vraiment commencé.
Jérôme Fenoglio