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[center]Les cordes de la discorde agitent les cosmologistes[/center]
LE MONDE | 07.06.07 |
c'est une dispute scientifique à l'ancienne. Une controverse comme l'époque n'en offre plus guère. Mercredi 6 juin, à la Cité des sciences, devant plusieurs centaines de chercheurs, d'étudiants ou de simples curieux, deux savants de haut vol débattaient de l'une des plus fascinantes - et des plus inaccessibles pour le commun des mortels - constructions de la physique : la théorie des cordes. Pour l'accusation, l'Américain Lee Smolin, chercheur à l'Institut Perimeter d'Ontario et signataire du pamphlétaire Rien ne va plus en physique (Dunod, 2007). Pour la défense, le Français Thibault Damour, professeur à l'Institut des hautes études scientifiques et auteur de Si Einstein m'était conté (Cherche-Midi, 2005).
Pour camper le décor, on rappellera que la physique vit, depuis bientôt un siècle, une forme de schizophrénie. Elle repose sur deux piliers, l'un et l'autre maintes fois éprouvés, mais jusqu'ici antagoniques. D'un côté, la relativité générale d'Einstein, qui s'applique à la structure à grande échelle de l'Univers, celle des astres et des galaxies, soumis à la gravitation. De l'autre, la mécanique quantique, qui décrit le comportement des particules élémentaires à l'échelle de l'infiniment petit. Cette dernière a bâti un "modèle standard" qui stipule que la matière se résume à 12 particules (6 quarks et 6 leptons) liées par des forces portées par 4 autres particules. Mais ce modèle n'intègre que 3 forces (électromagnétique, nucléaire faible et nucléaire forte) agissant à l'échelle atomique ou subatomique, en laissant de côté la gravitation, qui domine aux grandes échelles. D'où la quête d'une "grande unification" : la gravité quantique.
C'est à quoi prétend la théorie des cordes. Les constituants ultimes de l'Univers seraient de minuscules cordelettes d'énergie dont les modes vibratoires donneraient leurs propriétés aux différentes particules, dont un graviton, porteur de la force de gravitation. Cela suppose un monde vertigineux, doté de pas moins de 10 ou 11 dimensions !
Ancien cordiste aujourd'hui repenti, Lee Smolin n'y voit qu'une "collection de calculs approximatifs" et de "conjectures" jamais confirmées par l'expérience. Avec des "conséquences tragiques", la domination exercée par cette théorie rendant "suicidaire pour un jeune physicien" toute velléité d'explorer une voie alternative, comme la gravitation quantique à boucles dont il est l'un des tenants.
Cordiste convaincu, Thibault Damour estime au contraire que cette théorie, si elle "n'explique pas tout", n'en décrit pas moins "des classes possibles de phénomènes vérifiables expérimentalement", par exemple dans le grand collisionneur d'hadrons (LHC) dont la mise en service est espérée en 2008 au CERN de Genève. Et, surtout, qu'elle offre "une richesse conceptuelle" incomparable.
Il va sans dire que les deux débatteurs n'ont pas tranché la querelle. Et qu'ils ne se sont accordés que sur l'idée, très stimulante, que "le désaccord sera toujours nécessaire à l'avancée de la science".
Pierre Le Hir