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[center]Un projet de bactérie synthétique fait l'objet de demandes de brevet[/center]
LE MONDE | 12.06.07 |
raig Venter est décidément incorrigible. Le chercheur-entrepreneur américain, qui a mené la course au séquençage du génome humain, avait été le premier à souhaiter breveter des fragments d'ADN, dès 1992, soulevant une polémique internationale. Il reste à la pointe de l'innovation et de la controverse : une équipe issue de son Venter Institute à Rockville (Maryland) vient de déposer des demandes de brevet, aux Etats-Unis et au niveau mondial, pour ce qui serait la première bactérie synthétique jamais créée. Baptisé Mycoplasma laboratorium, cet organisme devrait produire de l'éthanol ou de l'hydrogène, espèrent ses concepteurs.
L'initiative de Craig Venter et des inventeurs - parmi lesquels figure le Prix Nobel 1978 de médecine, Hamilton Smith - est vivement critiquée par l'ETC Group, une association basée à Toronto, qui exerce sa vigilance sur les technologies avancées. "Venter et ses collègues ont franchi une frontière sociétale, et le public n'a même pas eu l'occasion de débattre des implications sociales, éthiques et environnementales de la vie synthétique", proteste Pat Mooney, porte-parole de l'ETC Group, qui demande aux organismes de protection intellectuelle de rejeter la demande de brevet.
Celle-ci couvre en outre un certain nombre de gènes, qui ne sont pas essentiels à la réplication de la bactérie, ce qui pourrait avoir des implications paradoxales. "Si quelqu'un crée un autre microbe en supprimant ces mêmes gènes, le Venter Institute le poursuivra-t-il pour violation de brevet ?", s'interroge l'ETC Group.
GÉNOME MINIMAL
Mycoplasma laboratorium est l'aboutissement d'années de recherche. Dès 1999, Craig Venter évoquait son rêve de synthétiser la vie en s'inspirant d'organismes vivants. En l'occurrence, Mycoplasma genitalium, une bactérie des voies génitales, au génome très petit (517 gènes). L'idée était d'inactiver une partie de ses gènes, afin de déterminer ceux qui étaient essentiels à sa réplication. Ce génome minimal (entre 265 et 350 gènes) serait ensuite synthétisé pour être introduit dans l'enveloppe d'une bactérie dont le propre matériel génétique aurait été préalablement extrait. Un pas supplémentaire étant d'insérer quelques gènes choisis afin d'utiliser cette machine biologique pour produire, par exemple, des biocarburants.
Le Venter Institute y est-il parvenu ? C'est ce que laisse entendre la demande de brevet. La synthèse en 2003 d'un virus fonctionnel, PhiX174, par Craig Venter et Hamilton Smith, laisse peu de doutes sur leurs capacités. L'ETC Group estime cependant que les termes employés suggèrent "que les chercheurs n'avaient probablement pas obtenu un organisme fonctionnant pleinement à la date de la demande, en octobre 2006".
Dans un entretien publié par Newsweek le 4 juin, Craig Venter estimait que "si nous n'arrivons à rien de substantiel dans les cinq prochaines années, c'est probablement que nous faisons fausse route". Mais, à l'inverse, une bactérie capable de se substituer au pétrole rapporterait des milliards de dollars, suggérait-il.
"Synthétiser une bactérie fonctionnelle est un projet scientifique intéressant en soi, un objectif légitime", commente Axel Kahn (Institut Cochin). Quant à la breveter, le généticien français n'est "pas d'accord". Lui qui fut parmi les premiers à s'opposer au brevetage du vivant concède cependant que "cette croisade n'a pas fonctionné" et que, en outre, M. laboratorium répond aux critères d'inventivité requis. S'il n'a guère de compétiteurs en Europe, Craig Venter doit encore concrétiser son pari. "A un moment donné, il faudra passer de la biologie conceptuelle à la biologie expérimentale", note Axel Kahn, suggérant que cette dernière est la moins docile.
Hervé Morin