L'antre du silence

Et lutte contre les pseudo-sciences et les obscurantismes

Message par Matrok » 14 Déc 2007, 19:43

C'est ici...

a écrit :L’antre du silence

Observatoire. Sur le plateau d’Albion, l’ancien poste de tir des missiles nucléaires est devenu un laboratoire souterrain. Là, à l’abri de tout bruit, physiciens et géologues effectuent des mesures d’une extrême précision.

Envoyé spécial au plateau d’Albion (Vaucluse) SYLVESTRE HUET
QUOTIDIEN : mardi 11 décembre 2007

Du sommet de la Grande Montagne sur le plateau d’Albion (Vaucluse), dans un soleil couchant, la beauté coupe le souffle. Au sud, le Mourre Nègre, sommet du Luberon, aligne son élégante ligne de crête. A l’ouest, les Cévennes, de l’autre côté du Rhône, écorchent le ciel d’un contre-jour rugueux. A l’est, de vigoureux escarpements, au-dessus de Sisteron, annoncent les Alpes. Au nord, majestueux, le Ventoux offre son sommet pierreux aux derniers rayons de l’astre. Dans cette nature où l’automne fait éclater les couleurs, difficile d’imaginer que se dissimulait, sous nos pieds et 500 mètres de calcaire, la furie humaine. L’un des postes de tir des missiles nucléaires, nichés dans les 18 silos du plateau d’Albion, capables d’aller vitrifier Varsovie et ses millions d’habitants sur un ordre du président de la République. Un étrange dôme vert en résine, doux au toucher, incongru, signale pourtant ce que fut, de 1971 à 1997, ce magnifique coin de Provence. Il abrite un relais de communication, alors branché sur l’Elysée via le Ventoux, et se poursuit par une goulotte creusée verticalement sur 500 mètres où circulait une fibre optique transportant l’ordre fatal. Mais que fait là Christophe Sudre, physicien de son état ?

C’est que nous sommes, rigole-t-il «en haut du laboratoire bas». Au bout de la goulotte, la capsule de métal où veillaient les officiers de tir est toujours là. Métamorphosée en l’une de ces installations souterraines si prisées de certains scientifiques, dites «à bas bruit». D’où le nom de ce lieu hors norme : laboratoire souterrain à bas bruit de Rustrel-Pays d’Apt (LSBB), la communauté des communes propriétaire des lieux depuis que l’armée a plié bagages.

Ambiance James Bond. On y pénètre simplement. A quelques centaines de mètres du village, la montagne est ornée de béton et de métal. Une porte, qu’une banale clé ouvre, donne sur une sorte de ligne Maginot. Quelques pièces de béton peint vert clair ou gris bleuté. Une cuisine, des meubles en formica. Une salle où dormaient, en uniforme et armés, les commandos de l’armée de l’air. Puis, un labyrinthe de béton parcouru par de petites voiturettes électriques. Ambiance James Bond. Enfin, au plus profond, sous 500 mètres de roche, une caverne. Là, protégée de tout, même d’une bombe nucléaire qui aurait explosé devant l’entrée, une sorte de sous-marin. Une capsule de métal de 26 mètres de long entièrement soudée, accrochée par huit points au plafond de la caverne et supportée par des vérins hydrauliques.

On y accède par une chatière, la lourde porte ne s’ouvrant que de l’intérieur. Là s’installaient pour quarante-huit heures deux officiers de tir. Devant leurs pupitres, chacun attendait l’ordre de taper la moitié du code déclenchant le feu nucléaire. Le Désert des Tartares version spéléo. Aujourd’hui, les militaires ont fait place à la science. Sismologues, hydrogéologues, physiciens. Que sont-ils venus chercher ?

«Mesurer des ultrapouièmes», s’amuse Georges Waysand, le fondateur de ce labo vraiment spécial, dans un langage pifométrique. Autrement dit, d’infimes variations de champ magnétique, d’ondes sismiques, de radioactivité, de gravité, de mouvements du sol, de dégradation de la mémoire d’un composant électronique… bref, d’à peu près n’importe quoi dès lors qu’on s’intéresse à des variations si minuscules qu’elles sont masquées ailleurs par le «bruit», cet ennemi intime du scientifique.

Quand l’armée signale au CNRS, en 1997, qu’elle souhaite donner cette installation à la science, c’est Waysand qui a l’intuition de son potentiel. Quand il pénètre dans la capsule, il découvre un espace de 1 200 m3, une cage de Faraday isolée de toute perturbation. Le rêve de nombreux scientifiques. La plupart des labos souterrains utilisent d’anciennes mines ou des annexes de tunnels routiers. Des lieux protégés des rayons cosmiques, mais pas toujours calmes. Ici, rien de rien. L’idéal pour mesurer… des ultrapouièmes.

Sans attendre, Waysand en cite un exemple faramineux : «Ici, le magnétomètre le plus précis possible peut mesurer une variation de champ magnétique cent fois inférieure à celle produite par votre cerveau lors de votre sommeil le plus profond !» Théorie ? Non. Placé bien au froid dans sa bonbonne d’hélium liquide, à près de 4 kelvins (moins 269 °C), le magnétomètre supraconducteur fait des miracles. Son «écoute» des variations du champ magnétique frise la poésie. Il perçoit la houle lointaine, le mistral, une éclipse de Soleil au droit du site et ses orages magnétiques. Mais aussi les interactions entre les éclairs et l’ionosphère (entre 60 et 800 km d’altitude, elle réfléchit les ondes électromagnétiques et permet leur propagation autour de la Terre). Et même les microcourants électriques induits dans le massif calcaire humide par les déplacements dus aux séismes. Par-dessus tout, une première mondiale époustouflante : la mesure des ondes électromagnétiques émises par l’ionosphère en réponse à son excitation par un séisme ! «Dès lors que le séisme est plus loin que 2 000 km de Rustrel, je peux capter le signal magnétique avant que l’onde sismique n’arrive ici», précise Waysand. Ces relations entre séismes et ionosphère, c’est l’objet du satellite Demeter du Cnes (Centre national d’études spatiales), qui, depuis 2004, les observe à 670 km d’altitude. «La comparaison avec des mesures au sol est très intéressante», souligne Michel Parrot, son responsable scientifique.

Gélatine de porc. Lorsqu’il visite le site, Waysand pense d’abord à y installer sa «manip» de recherche du côté obscur de l’Univers. La matière dite «manquante», «sombre» ou «noire», dont les astrophysiciens estiment qu’elle représente cinq fois la matière ordinaire. L’expérience s’y trouve toujours, alimentée en détecteurs «comestibles mais pas casher», plaisante-t-il. Faits de gélatine de porc lardée de gouttelettes de fréon, ils sont fabriqués sur place, dans une «salle blanche». Mais le physicien se dit qu’il «ne va pas garder ça» pour lui. Et invite des collègues de diverses disciplines. Heureuse idée, permettant de valider les instruments les uns par les autres, et de vérifier ce qu’ils mesurent vraiment.

Parmi les premiers à répondre, les hydrogéologues. L’un deux, Christophe Emblanch (université d’Avignon), ouvre la porte de la galerie antisouffle. Très haute, aux parois floquées d’un voile de béton, elle était destinée à amortir l’effet d’une bombe nucléaire ayant explosé devant l’entrée. A la lumière des lampes frontales, Emblanch désigne un entonnoir en zinc placé sous une microfissure du plafond, dans une zone débarrassée de son béton, puis passe la main sur la roche à nu. «Ici elle s’effrite : une zone de broyage, effet du jeu entre deux blocs de milliards de tonnes qui s’affrontent. Alors que juste à côté elle se tient bien, lissée par le frottement. Nous sommes sur un point de faiblesse de la roche, là où de l’eau va circuler.»

Le massif du plateau constitue un «aquifère karstique» : des roches calcaires où les eaux circulent par des chemins difficiles à pister et selon des rythmes très variables. «Sur le pourtour méditerranéen, 70 % des réserves d’eaux souterraines sont en karst. L’enjeu de leur gestion - une ressource rare, menacée par les pollutions, capricieuse et mal connue - grandit avec la croissance de la population au Sud et les évolutions climatiques», précise Christophe Emblanch. L’eau s’infiltre par mille points dans le karst et ressort pour l’essentiel à Fontaine-de-Vaucluse. Les scientifiques avaient l’entrée du système - la mesure des pluies. La sortie - le débit de la résurgence. Maintenant, ils pénètrent la «boîte noire», le massif de 1 000 km3.

Coups de marteau. Emblanch a installé des points de captage à différents endroits du labyrinthe de béton. Il récupère l’eau, multiplie les analyses (matière organique, chimie, isotopes) susceptibles de lui révéler d’où vient l’eau, combien de temps elle réside dans le massif. Dans la galerie de secours, il montre un goutte-à-goutte et note que, «d’après nombre de collègues, il ne devrait pas y avoir d’eau dans cette zone non saturée, elle devrait la traverser vite pour rejoindre la zone noyée, plus bas. Or il y en a». Dans la galerie antisouffle, le captage a récupéré pas mal d’eau en 2003, année bien arrosée. Depuis, «presque rien, et zéro jour d’écoulement en 2007, signe de l’intense sécheresse qui sévit depuis plusieurs années. Le débit de Fontaine-de-Vaucluse, à 2,3 m3/s, est au plus bas depuis cent quarante ans». Emblanch espère percer le mystère du massif karstique, car les galeries permettent de disposer des sismomètres à l’intérieur et non seulement sur son pourtour. Le calme permet des expériences délicates : une multitude de pointes fixées dans deux galeries en V, frappées à coups de marteau donnent lieu à une analyse par «renversement temporel», une technique… renversante, développée par le physicien Mathias Fink. De quoi établir l’image en trois dimensions du massif et d’y suivre l’évolution de l’eau.

Dans une niche de béton, Christophe Sudre présente des circuits microélectroniques, disposés là par l’industriel américain Xilinx dans le cadre d’une recherche du laboratoire matériaux et microélectronique de Provence (CNRS-université Aix-Marseille-III). La très basse radioactivité du site permet d’y mesurer l’autodestruction des bits de mémoire par la radioactivité intrinsèque du composant. Des expériences identiques ont été installées par Christophe Sudre en altitude (aiguille du Midi et pic du Midi) afin de les comparer.

Lancé grâce à la détermination de Georges Waysand et aux compétences de trois anciens sous-officiers du site dont la requalification en ingénieurs d’étude de l’université Nice Sophia Antipolis fut un long combat, le LSBB se voit promis un bel avenir. Aujourd’hui intégré dans une structure sous tutelle du CNRS, de l’université de Nice et de l’Observatoire de la Côte d’Azur, il vise «l’Europe», selon son directeur, Stéphane Gaffet. Et la «longue durée», puisque la qualité du lieu et des instruments permet d’y constituer un «observatoire permanent, de longue durée, sismique, magnétométrique, géodésique…» apte à fournir un référentiel précis, indispensable à toute expérience.


Je précise tout de suite pour le convive que je n'ai aucune idée de la relation entre matière noire et gélatine de porc :33:
Matrok
 
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