Cytotec

Et lutte contre les pseudo-sciences et les obscurantismes

Cytotec

Message par Plestin » 20 Oct 2017, 09:42

Alors là, voici encore une affaire impliquant un médicament, mais celle-ci est pleine d'hypocrisie.

Le CYTOTEC (nom commercial du médicament) a pour principe actif le misoprostol. C'est un produit qui a été développé dans les années 1980, par le laboratoire américain Searle (aujourd'hui dans Pfizer, mais c'était à l'époque une filiale de Monsanto), pour le traitement des ulcères de l'estomac. A l'époque, on disposait déjà depuis quelques années d'autres traitements efficaces, les antihistaminiques H2 (TAGAMET / cimétidine, AZANTAC / ranitidine...) qui avaient eux-mêmes révolutionné le traitement de cette maladie.

Le CYTOTEC pouvait représenter une alternative en cas d'impossibilité d'utiliser les autres produits. Mais cela représentait un tout petit marché, car les anti-H2 étaient généralement bien tolérés. Et, peu de temps après, une autre famille encore mieux tolérée est arrivée, celle des inhibiteurs de la pompe à protons (IPP), qui a détrôné même les anti-H2 : MOPRAL / oméprazole, etc. (tous ceux dont le nom de molécule se termine par "prazole").

La place du misoprostol était donc devenue extrêmement réduite, d'autant que ce produit a une particularité : c'est une substance hormonale de la famille des prostaglandines avec des propriétés abortives (il provoque des contractions de l'utérus pouvant déclencher des fausses couches) et aussi susceptible de provoquer des malformations du foetus, donc hors de question de le donner à des femmes enceintes, ni à des femmes en âge de procréer sauf à s'être assuré d'une contraception efficace. Le laboratoire était parfaitement au courant et, d'ailleurs, dans son usine de Morpeth (Nord-Est de l'Angleterre), les femmes en âge de procréer étaient totalement exclues des ateliers de fabrication, activité réservée aux hommes et aux femmes ménopausées.

Le misoprostol a trouvé un débouché de niche en association à un anti-inflammatoire, le diclofénac (celui qu'on connaît mieux sous le nom de VOLTARENE). L'association des deux molécules, sous le nom d'ARTOTEC (du même laboratoire), est indiquée pour le traitement des ulcères provoqués par l'anti-inflammatoire chez les personnes âgées souffrant de rhumatismes. Sauf que selon la Haute Autorité de Santé, ce produit a un service médical rendu (SMR) faible, voire carrément insuffisant chez les patients à risque cardiovasculaire car il augmente ce risque ! (Ce type de patient est quand même assez nombreux chez les personnes âgées...) Et son efficacité préventive sur les ulcères n'est vraiment établie que pour des doses d'au moins 800 microgrammes, celles où le maximum d'effets secondaires apparaissent (troubles digestifs, problèmes cardiovasculaires). Ce qui a poussé les autorités à ne rembourser ARTOTEC qu'à 15 %. Et à faire de même pour le CYTOTEC. (C'est étrange cette stratégie : pourquoi rembourser à 15 % ? Si un médicament est utile même faiblement il faut le rembourser mieux, s'il est inutile ou nuisible il faut le retirer du marché, non ?) Selon la Haute Autorité de Santé, l

Donc, on connaît les effets abortifs et cardiovasculaires du misoprostol, il n'a pas grand-chose à faire sur le marché, mais on le maintient malgré tout.

En parallèle, les propriétés abortives du misoprostol sont largement utilisées hors autorisation de mise sur le marché (AMM) (c'est légal, mais ça engage la responsabilité du médecin) par les médecins gynécologues et obstétriciens dans deux indications :

- L'interruption volontaire de grossesse (soit pour l'interruption médicamenteuse, soit pour la préparation du col utérin à une interruption chirurgicale).
- Le déclenchement de l'accouchement.

La deuxième indication représente le gros du marché et des ventes de CYTOTEC. Les deux indications, ou la première, auraient pu être développées officiellement par Searle (puis Pfizer), mais ceux-ci ne l'ont pas fait. La seule explication plausible est qu'ils n'ont pas voulu se retrouver être la cible des ligues anti-avortement (voire, qu'ils comptaient eux-mêmes dans leurs rangs des gens anti-avortement) ; ces labos sont très liés aux Républicains, ils donnent aussi aux Démocrates mais moins, et d'ailleurs il y a aussi des Démocrates anti-avortement...

Donc, ils se sont contentés de fermer les yeux sur les utilisations détournées, et d'encaisser l'argent.

Seulement voilà, l'utilisation dans les accouchements s'effectuait selon un protocole non validé par des essais cliniques, en introduisant par voie vaginale, au moment d'accoucher, un huitième de comprimé à 200 microgrammes de façon à ne pas dépasser 25 microgrammes. Il semble que cette utilisation "empirique" du produit se soit répandue, au point de représenter le gros des utilisations du CYTOTEC. Sauf qu'elle a déclenché quelques catastrophes, dues aux effets secondaires et au côté aléatoire du dosage d'un comprimé non sécable que l'on coupe en 8...

Il y a donc eu des accidents, par exemple des accidents cardiovasculaires (infarctus, spasmes coronariens, AVC) et aussi, des contractions utérines trop violentes conduisant à endommager parfois définitivement l'utérus d'une part, l'enfant d'autre part (handicaps parfois majeurs). Sans compter que bien souvent les victimes ne sont pas prévenues du risque. C'est pourquoi une association de victimes s'est créée ! Selon elle, il arrive même que des femmes qui refusent le CYTOTEC se voient proposer d'aller dans un autre hôpital...

Pourquoi cette utilisation pour l'accouchement ? Parce qu'elle est peu coûteuse par rapport aux alternatives, et fait gagner du temps, or le temps c'est de l'argent ! Et malgré les mises en garde des pouvoirs publics en 2013, la pratique s'est poursuivie.

Extrait d'un article du Monde datant... du 21 février 2013 !

Puisqu’il existe des alternatives, pourquoi le Cytotec ?

D’après le Dr Bruno Carbonne, responsable de l’unité obstétrique de l’hôpital Trousseau, on peut limiter les risques du Cytotec en suivant un protocole très strict : “Avec un dosage à 25 microgrammes, le rapport bénéfice/risque est assez similaire à celui des autres produits utilisés pour le déclenchement et qui ont l’AMM.” Mais il nuance : “Le problème, c’est que l’utilisation de ce produit est assez répandue, tandis que les dosages ne sont pas réglementés ; un comprimé de Cytotec, c’est huit fois la dose nécessaire pour déclencher un accouchement. Il faudrait donc découper en huit le comprimé, ce qui est insensé. Le surdosage est donc la règle.” De fait, rien ne justifie ce “bricolage”, puisque pour déclencher l’accouchement sur un col défavorable, il existe des alternatives qui ont, elles, été conçues et testées spécifiquement pour cet usage, comme le Propess ou le Prépidil.

Pour lui, le seul intérêt du misoprostol réellement indiscutable tient avant tout à la réduction du délai entre le début du travail et l’accouchement. Mais cela n’est pas une raison suffisante pour utiliser ce médicament. Dans un article publié en 1999, il affirme ainsi : “Les quelques heures gagnées sur le travail autorisent-elles à ignorer les effets délétères sur le fœtus (augmentation des hypertonies utérines (…) démontrés par les études suffisamment puissantes ?

Toutefois, en dépit des risques unanimement reconnus par les obstétriciens, beaucoup d’entre eux continuent à l’utiliser, à l’image du gynécologue P.Rozenberg du CHI de Poissy : “Le raccourcissement significatif du délai séparant l’induction du travail de l’accouchement (…) associé à une réduction des coûts de santé (liée non seulement au coût modique du misoprostol, mais probablement aussi à la réduction des délais d’hospitalisation antepartum) justifient l’introduction du misoprostol en pratique clinique.”


L'évolution de certains hôpitaux et maternités vers les gros volumes d'actes et toujours plus de rapidité, bref des "usines à accoucher", va donc dans le sens de l'utilisation de ce produit dangereux.

Aujourd'hui, le scandale s'amplifie et Pfizer annonce le prochain retrait du CYTOTEC : il n'a visiblement pas souhaité maintenir le produit en indication officielle dans l'IVG. Ce risque (de se faire attaquer par les ligues anti-avortement), seules deux PME l'ont pris, et heureusement, car ça permet de maintenir cette indication très utile. Il existe donc deux produits à base de misoprostol pour l'IVG :

- GYMISO 200 microgrammes du (tout petit) laboratoire LinePharma, utilisé dans l'IVG médicamenteuse, au plus tard au 49 ème jour de grossesse, et dans la préparation du col utérin avant IVG chirurgicale au cours du premier trimestre de grossesse.

- MISOONE 400 microgrammes du (tout petit) laboratoire Excelgyn, venant juste d'être mis sur le marché, et uniquement pour l'IVG médicamenteuse, au plus tard au 49ème jour de grossesse.

Ces deux labos vendent aussi la mifépristone, autre substance abortive que certains camarades connaissent de réputation sous le nom de "RU486" (trouvé par l'ex-Roussel-Uclaf, mais aucun grand labo n'avait voulu assumer son lancement à l'époque). En général une IVG médicamenteuse utilise les deux produits, mifépristone puis misoprostol.
Plestin
 
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Re: Cytotec

Message par Plestin » 20 Oct 2017, 13:02

Et donc, l'affaire du Cytotec est un reflet de la pression croissante pour faire des économies et pour aller vite dans les hôpitaux !
Plestin
 
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