la pédagogie cognitiviste

Et lutte contre les pseudo-sciences et les obscurantismes

Message par Wapi » 13 Fév 2005, 12:46

Issu du fil sur le cognitivo-comportementalisme.

a écrit :Etes-vous d'accord pour qu'on parle à présent à des prétentions de la pédagogie cognitiviste ou psychocognitivisme ou comment qu'on l'appelle, car c'est celle ci qui va devenir, au fil des années, de plus en plus l'horizon quotidien des enseignants dans la façon dont on va leur demander de travailler ?

Toutes les contributions sur les pratiques d'enseignement, sur la pédagogie en général et son histoire et ses "nouvelles" orientations sont les bienvenues !



Un article un peu complet pour commencer. L'auteur commence par faire le résumé d'un ouvrage produit par un pédagogue cognitiviste, puis il apporte des éléments de critique.

http://www.csse.ca/CJE/Articles/FullText/C...-3-11Tardif.pdf

Si c'est un peu long... on peut regarder par exemple le haut de la page 321 parmi d'autres (rassurez-vous il n'y a pas 321 pages !).

Je ne sais pas comment on fait pour mettre des petits bouts de texte qui sont en PDF...
Wapi
 
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Message par delrina » 13 Fév 2005, 14:57

J’ai lu rapidement le texte sur le livre de Tardif et sa critique me semble assez intéressante, notamment ce passage :

a écrit :À notre avis, seule l’élaboration de conduites réflexives, tant chez l’enseignant que chez les apprenants permettra à tous de mieux cheminer dans leurs itinéraires cognitifs et de se constituer une conception procurant du sens à leurs expériences.
Ceci implique, d’une part, que l’enseignant accepte d’exercer sa profession comme un “reflective thinker” sur sa pratique pédagogique (Schön, 1987) au lieu d’être un simple transmetteur de stratégies.

Dans les « pédagogies nouvelles », c’est souvent complexe de se faire une opinion car d’un côté on trouve toujours des idées intéressantes (même par exemple quand on donne cette définition de la métacognition : « une compétence à se poser des questions pour planifier ses interventions, s'évaluer constamment avant, pendant et après une tâche et se réajuster au besoin ».) mais d’un autre côté on voit qu’il y a une tendance à aller vers « l’utilitarisme » en terme d’éducation. L’éducation stratégique me semble être une carricature dans ce sens, genre gagneur-décideur.
delrina
 
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Message par Wapi » 14 Fév 2005, 11:11

Bonjour Delrina, et bienvenue sur ce forum.

a écrit :mais d’un autre côté on voit qu’il y a une tendance à aller vers « l’utilitarisme » en terme d’éducation. L’éducation stratégique me semble être une carricature dans ce sens, genre gagneur-décideur.


Je suis parfaitement en accord avec ce que tu as écrit. D'ailleurs "l'utilitarisme" que tu mentionnes est un concept essentiel du cognitivisme, en éducation comme dans les autres champs où s'applique cette idéologie. C'est un concept qui vient de la philosophie de John Stuart Mill, une autre de leurs références fondtrices, avec celle de William James, pour ne parler que de la philo.


a écrit :« une compétence à se poser des questions pour planifier ses interventions, s'évaluer constamment avant, pendant et après une tâche et se réajuster au besoin »


Si cela veut dire qu'il faut réfléchir sur ses pratiques et éventuellement les modifier en fonction des besoins et des résultats obtenus, il est certain que c'est indispensable. Mais ceci ne me paraît pas être une idée neuve...

Le gros problème est que ce type d'enseignement fait seulement la part trop belle à l'évaluation (aux notes pour être clair), qui ont pour finalité de produire une hiérarchie entre bons et moins bons...

Mais jugeons par nous : même. Maintenant que j'ai compris comment on faisait avec les textes en PDF, je vais mettre l'article par petits bouts.

Jacques Cardiff est une des "têtes pensantes" du comportementalo-cognitivisme. Les auteurs de l'article sont moins illustres... mais loin d'être inintéressants.

On commence. Je vais mettre petits bouts par petits bouts pour ne pas alourdir le fil... commentaires et remarques sont les bienvenus !

a écrit :L’idéologie cognitiviste et l’éducation

Pour un enseignement stratégique, l’apport de la psychologie cognitive
par Jacques Tardif

Québec: Éditions Logiques, 1992. 474 pages

RECENSION PAR MAURICE TARDIF, UNIVERSITÉ LAVAL;
NATHALIE BÉLANGER, UNIVERSITÉ DE PARIS V;
DANNY GRENIER, UNIVERSITÉ LAVAL



Cette étude critique comporte deux parties. La première partie dessine à très
larges traits la conjoncture idéologique dans laquelle intervient le travail de
l’auteur. Cette conjoncture est celle de l’essor des sciences cognitives et des
relations qu’elles entretiennent avec les autres champs du savoir et de la pratique,
plus particulièrement avec le champ des sciences de l’éducation et des pratiques
pédagogiques. L’analyse de cette conjoncture permettra de mieux comprendre
certaines thèses de l’auteur, que nous discuterons plus loin, mais aussi de
relativiser son propos. Dans la seconde partie, nous abordons la question des
enjeux conceptuels, scientifiques, éducatifs et pédagogiques du travail de l’auteur,
notamment sa conception de l’enseignement, ses prétentions à fonder une science
de l’enseignement et à fournir aux enseignants une “stratégie scientifique” visant
à orienter leur activité professionnelle. Par la même occasion, nous allons nous
référer, dans notre discussion critique, à d’autres travaux qui, soit épousent un
point de vue similaire à celui de présent ouvrage, soit s’en démarquent et
permettent, par conséquent, d’offrir une alternative critique aux thèses défendues
par l’auteur.

Précisons dans quel esprit dans nous avons rédigé cette discussion critique. À
notre avis, l’ouvrage de Jacques Tardif est important, car il présente pour la
première fois au Québec une vision générale et suffisamment élaborée d’une
conception cognitiviste de l’enseignement. De plus, cet ouvrage intervient dans
une conjoncture particulière et fort pertinente. En effet, la formation des maîtres
à l’université subit actuellement une révision en profondeur, avec la définition
de nouveaux standards de formation, qui débouchera éventuellement sur une
refonte importante des programmes universitaires. Cette refonte n’est pas
simplement une entreprise administrative; elle répond à des motifs politiques et
idéologiques importants concernant la “qualité” et la “pertinence” de la formation
professionnelle dispensée aux étudiants en formation des maîtres à l’université.
En fait, c’est tout le mandat de formation des facultés d’éducation qui est remis
en cause actuellement. À la lumière de cette situation, il semble donc que les
propositions de cet auteur puissent être considérées comme des alternatives aux
conceptions établies depuis une vingtaine d’années.

L’ESSOR DES SCIENCES COGNITIVES: DYNAMISME ET HÉTÉROGÉNÉITÉ

Très récentes, puisqu’elles remontent à peine à une quarantaine d’années, les
sciences cognitives n’en constituent pas moins aujourd’hui l’un des champs de
recherche connaissant le développement le plus intense et le plus accéléré. Ce
développement s’explique en partie par la fécondité du programme scientifique
cognitiviste, celui-ci s’efforçant de donner une base empirique aux problèmes
traditionnels de la connaissance et de l’esprit (mind). Ces problèmes, fort
complexes au demeurant, étaient jadis du ressort à peu près exclusif de la
spéculation philosophique, ou encore de psychologies dont les principes étaient
soit trop étroits (béhaviorisme), soit invérifiables par le biais de procédures
expérimentales (psychanalyse). Le développement des sciences cognitives
s’explique aussi par la production, très rare dans les sciences humaines, d’une
technologique efficace et très puissante, dont l’intelligence artificielle (IA)
constitue le fer de lance. Cette technologique, qui ne provient pas exclusivement
des sciences cognitives, mais qui est de nos jours largement identifiée à elles,
permet d’entrevoir pour la première fois la production de modèles et d’artefacts
techniques capables d’engendrer, de contrôler et de manipuler des connaissances,
ce qui était reconnu traditionnellement comme le privilège exclusif de l’esprit
humain. Issu de sources très diverses (cybernétique, théorie de l’information,
logique mathématique, philosophie analytique, psychologie, linguistique, etc.), ce
champ conserve de nos jours une forte empreinte multidisciplinaire (Adler,
1992). Il ne s’agit donc pas d’un champ homogène; certains chercheurs refusent
même de parler de cognition ou récusent “l’étiquette” de cognitivisme (Varela,
1989).

Ce qu’on appelle les sciences cognitives renvoie en fait à une large variété de
méthodes, de problèmes, de recherches, de théories et d’intérêts dont il est assez
difficile de voir l’unité. Cette unité, si elle existe, n’est pas celle d’une science
unifiée, fonctionnant à partir d’un paradigme unique—comme c’est le cas en
physique ou en biologie—mais s’établit plutôt grâce à une certaine communauté
de préoccupations entre des chercheurs provenant de disciplines diverses, les plus
importantes à ce jour étant la psychologie, la linguistique, l’informatique et la
logique. Cette communauté s’efforce d’étudier les problèmes relatifs à la
connaissance et à l’esprit par le biais des méthodes en usage dans les sciences
empiriques, en élaborant des modèles théoriques et technologiques et en les
soumettant à des procédures de falsification. On peut parler à cet égard d’un
programme de recherche fondé sur le principe d’une “naturalisation de l’esprit.”
Poussé à sa limite, un tel principe consisterait à réduire les phénomènes cognitifs,
interprétables en termes symboliques, à des phénomènes neuronaux, interprétables en termes d’organisation matérielle. Tel est, semble-t-il, le projet développé actuellement par les neurosciences. En ce sens, on peut dire que le programme des sciences cognitives se rapproche davantage des sciences naturelles et appliquées que des sciences humaines d’inspiration herméneutique, phénoménologique et compréhensive.

À partir de cette orientation générale et commune, les sciences cognitives
s’intéressent à l’étude des règles régissant les processus cognitifs (mémoire,
apprentissage, etc.) assimilés à des phénomènes représentationnels, c’est-à-dire
à des symboles liés par une syntaxe et possédant intrinsèquement une fonction
référentielle ou intentionnelle. Ces règles sont conçues de façon logique (au sens
que l’on donne aujourd’hui à ce terme dans le cadre de la logique formelle ou
mathématique), à savoir un système de symboles et d’opérateurs régis par des
règles de calcul. L’esprit est donc conçu selon un modèle computationnel: nous
pensons “comme” des ordinateurs, notre esprit est une “machine,” un ensemble
de processus capables de traiter des informations selon une logique booléenne.
Le concept de représentation, notion centrale du cognitivisme, mais presque
aussi vieille que la pensée occidentale, donne lieu à diverses interprétations,
notamment quant au statut ontologique de ce qui est représenté: s’agit-il d’une
réalité totalement indépendante de la représentation, à laquelle celle-ci s’ajuste,
ou bien s’agit-il, un peu à la manière du constructivisme piagétien, d’une réalité
construite par l’activité représentationnelle, par un continuel va et vient interactif
entre la représentation et le représenté, entre le sujet et l’objet? Comme l’a
montré Popper (1985) à propos du réalisme, un pareil problème n’a évidemment
pas de solution empirique, mais détermine plutôt, à partir des solutions qu’on y
préconise, des programmes de recherche divergents. Enfin, un courant plus récent
mais puissant (le connexionnisme ou néoconnexionnisme), porte sur l’étude des
processus sous-jacents à la cognition et qui ne font pas appel aux représentations.
Ces processus se situerait donc à un niveau plus “profond,” éventuellement
réductible à l’organisation du cerveau. Cependant, cette organisation neuronale
n’obéirait pas à une logique computationnelle. Elle serait plus près des processus
biologiques (ceux-ci étant non linéaires), impliquant certains principes d’autoorganisation et une certaine contingence dans la gestion de la complexité.

Bien sûr, ce très bref tour d’horizon ne prétend pas cerner l’ensemble des
recherches qui se développent présentement dans ce champ de connaissance. Il
vise avant tout à montrer qu’il s’agit d’un champ en pleine effervescence,
extrêmement dynamique, mais en même temps traversé par diverses tendances,
diverses conceptions, dont il est impossible pour le moment de prédire laquelle
finira par s’imposer comme le paradigme dominant. Par ailleurs, nous laissons
de côté la recherche en psychologie sociale (Moscovici, 1984), qui utilise
également la notion de représentation, mais dans une optique différente. Quoi
qu’il en soit, il est évident que l’essor même de ce champ déborde aujourd’hui
le cercle étroit des spécialistes. Comme tout champ en émergence possédant un
fort dynamisme interne, on pourrait dire que les sciences cognitives, après une
première période de développement et de stabilisation, traversent actuellement
une phase d’expansion caractérisée, d’une part, par le fait qu’elles prétendent
apporter des solutions ou des indications visant à résoudre des problèmes
appartenant traditionnellement à d’autres disciplines ou qui sont suffisamment
généraux pour intéresser plusieurs disciplines, et d’autre part, par le fait que les
chercheurs oeuvrant dans les autres champs de recherche sont confrontés de plus
en plus au cognitivisme et à ses conceptions. Soulignons cependant que cette
expansion ne se limite pas à la circulation des théories. Elle se traduit
concrètement par de nouveaux regroupements de chercheurs, l’octroi de subventions, la création de nouvelles filières de formation universitaire, l’aménagement de nouvelles structures d’accueil institutionnelles, l’apparition de revues et de publications. La psychanalyse en Europe et le béhaviorisme aux États-Unis ont connu en leur temps une expansion similaire.

C’est l’ensemble de cette situation, qui se réfère à la fois au développement
interne et hétérogène des sciences cognitives, à leur impact sur les autres champs
du savoir et à leur intégration dans des réseaux institutionnels, que nous avons
appelé plus haut la conjoncture idéologique dans laquelle intervient le travail de
l’auteur, que nous allons analyser par la suite. Nous parlons de “conjoncture
idéologique,” car le développement même des sciences cognitives nous semble
porteur d’une certaine idéologie, au sens d’une vision de la réalité reposant sur
un certain nombre de représentations ou d’idées, de certitudes et de croyances.

En schématisant, l’idéologie cognitiviste nous semble reposer sur les principes
suivants:

(1) Un scientisme

Parmi tous les systèmes de représentation de la réalité, la rationalité scientifique est non seulement supérieure à tous les autres, elle est également le seul système de représentation valable, c’est-à-dire le seul qui traduise adéquatement la nature de la réalité. Cette idée, qui a l’âge de la pensée occidentale puisqu’elle se retrouve déjà chez Platon, est réactivée par le cognitivisme dans le cadre de ce qu’on peut appeler le scientisme moderne, c’est-à-dire l’idéologie professant que la science apporte les vraies réponses aux vrais problèmes. À cet égard, l’ambition du cognitivisme semble être de traiter les phénomènes
humains et symboliques comme des phénomènes naturels, obéissant à des lois analogues aux lois naturelles. Cette ambition n’est sans doute pas partagée par tous les cognitivistes, mais elle semble néanmoins dominante. L’une des conséquences de ce scientisme est d’aborder les problèmes relatifs à la pratique, en les réduisant à des problèmes techniques ou stratégiques, c’est-à-dire relevant d’un calcul rationnel. Une autre conséquence réside dans la dévaluation des connaissances quotidiennes, des savoirs pratiques ou d’expérience développés par les acteurs sociaux, au profit de la valorisation de la connaissance scientifique et technologique. Nous verrons plus loin en quel sens l’auteur souscrit à cette
idéologie.

(2) Un naturalisme

Ce scientisme est un naturalisme ou physicalisme (ou encore, un matérialisme), dans la mesure où il emprunte aux sciences naturelles (à la physique et à la biologie), non seulement leur méthodologie, mais également leur présupposé de base, à savoir que l’ensemble des phénomènes sont régis par des processus matériels sous-jacents, dont l’organisation est déterminée par des lois ou des règles. Appliqué à l’étude de la réalité humaine, ce naturalisme conduit à un réductionnisme, qu’on peut présenter comme suit:

réduire les macro-phénomènes tels la culture, les langues, les systèmes de représentation, les pratiques sociales, etc. à des phénomènes issus de la cognition humaine et produits par elle, réduire enfin ces phénomènes cognitifs à des phénomènes neuronaux ou matériels.

À la base de ce réductionnisme, il y a donc l’idée que les phénomènes symboliques
(connaissance, communication, culture, etc.) renvoient à des transformations matérielles (par exemple, dans le cerveau) qui les causent ou permettent de les expliquer. Des travaux comme ceux de Sperber (1987), Minsky (1986) et Changeux (1983) illustrent bien cette position. Par contre, certains cognitivistes (Fodor, 1975) ne vont pas aussi loin et admettent une autonomie du symbolique par rapport à l’organisation matérielle qui lui sert de support de production. Cette dernière position, longtemps dominante, est contestée actuellement par le connexionnisme.

(3) Un logicisme

Une autre idée de base du cognitivisme est que le fonctionnement de l’esprit renvoie à des processus et à des états mentaux dont la meilleure description est logique. Tout le problème est de savoir quel est le statut de cette description. S’agit-il simplement d’une notation commode, destinée à catégoriser et à étudier les phénomènes cognitifs, ou bien ’agit-il d’une description possédant une portée ontologique, c’est-à-dire que le fonctionnement cognitif serait conçu lui-même selon un fonctionnement logique? C’est le second terme de l’alternative qui semble dominant parmi les cognitivistes. Il signifie que la cognition est un calcul qui porte sur des symboles. Dans ses procédures opérationnelles et ses règles de fonctionnement, ce calcul est matérialisable dans un support, par exemple,
une organisation neuronale ou computationnelle. Si l’on suit cette vision jusqu’au bout, on peut dire que le calcul—la manipulation des symboles—détermine ou tient lieu de signification: la sémantique est réductible au syntaxique. Cette vision logiciste est largement inspirée, d’une part, du positivisme logique, et d’autre part, des travaux de l’IA.

(4) Un instrumentalisme

Enfin, une dernière idée permettant de caractériser l’idéologie cognitiviste réside, selon nous, dans le double projet de reproduire et de simuler, par des instruments, les processus cognitifs, d’une part et, d’autre part, de considérer la technologie ou l’action instrumentale comme le modèle de l’action rationnelle. Un tel instrumentalisme conçoit la pratique comme une activité rationnelle fondée sur la coordination efficace des moyens et des buts.

Cette activité rationnelle repose sur la connaissance scientifique et technique disponible, celle-ci permettant d’analyser les situations pratiques et d’y intervenir efficacement en transposant les enchaînements causals dans des enchaînements de moyens et de buts. La pratique est donc vue comme une sorte de science appliquée, une technologie. À cet égard, l’ordinateur joue le rôle d’un symbole idéal d’une activité de traitement de l’information régulée totalement par des règles rationnelles qui tendent à éliminer toute contingence. Transposé sur le plan de l’action humaine, cet idéal revient à concevoir cette dernière comme un processus d’élimination des contingences par une gestion toujours plus efficace des informations et par une coordination rationnelle des moyens et de buts.

Gestion, efficacité, contrôle, etc., sont des termes qui reviennent continuellement sous la plume (ou plutôt dans l’ordinateur!) des cognitivistes.
De façon plus globale, nous pensons que l’idéologie cognitiviste correspond
à un rationalisme matérialiste radical, mais non critique, au sens que Popper
(1978) donne à ce terme. Cette idéologie est bien sûr irréfutable, mais sa vérité
ne peut non plus être établie. Elle fournit un ensemble de “thémata” (Holton,
1981), c’est-à-dire de croyances, de convictions fondamentales non scientifiques,
mais grâces auxquelles un programme scientifique peut se développer. Cependant,
ce qui nous intéresse ici, c’est moins la valeur de cette idéologie que ses
répercussions lorsqu’elle est transposée en éducation.

Quelle vision de l’éducation et quelle pratique éducative promeut-elle? Comment définit-elle le rôle de l’enseignement, la pédagogie, l’apprentissage? Quelle est sa conception de l’élève ?

Nous pensons que l’ouvrage de Jacques Tardif apporte un certain nombre de
réponses à ces questions. En fait, il semble exemplaire, à plus d’un titre, de
l’idéologie que nous venons brièvement de décrire.


La suite un peu plus tard...







Wapi
 
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Message par Wapi » 14 Fév 2005, 17:19

Un petit retour parmi d'autres possibles sur le texte :

a écrit :Cette activité rationnelle repose sur la connaissance scientifique et technique disponible, celle-ci permettant d’analyser les situations pratiques et d’y intervenir efficacement en transposant les enchaînements causals dans des enchaînements de moyens et de buts. La pratique est donc vue comme une sorte de science appliquée, une technologie. À cet égard, l’ordinateur joue le rôle d’un symbole idéal d’une activité de traitement de l’information régulée totalement par des règles rationnelles qui tendent à éliminer toute contingence. Transposé sur le plan de l’action humaine, cet idéal revient à concevoir cette dernière comme un processus d’élimination des contingences par une gestion toujours plus efficace des informations et par une coordination rationnelle des moyens et de buts.

Gestion, efficacité, contrôle, etc., sont des termes qui reviennent continuellement sous la plume (ou plutôt dans l’ordinateur!) des cognitivistes.

De façon plus globale, nous pensons que l’idéologie cognitiviste correspond
à un rationalisme matérialiste radical, mais non critique, au sens que Popper
(1978) donne à ce terme. Cette idéologie est bien sûr irréfutable, mais sa vérité
ne peut non plus être établie. Elle fournit un ensemble de “thémata” (Holton,
1981), c’est-à-dire de croyances, de convictions fondamentales non scientifiques,
mais grâces auxquelles un programme scientifique peut se développer. Cependant,
ce qui nous intéresse ici, c’est moins la valeur de cette idéologie que ses
répercussions lorsqu’elle est transposée en éducation.


Comment être d'accord avec ces deux affirmations et surtout la dernière ?

Car si elle était vraie, alors cela voudrait dire très clairement que toute cette science" ou cette "théorie" n'est absolument rien d'autre qu'un avatar actuel du neo-kantisme, critiqué et démonté depuis bien longtemps par le marxisme, et même par Lénine en prime, car il repose "en dernier ressort" sur une "croyance", c'est à dire, pour les marxistes, sur quelque chose d'eminemment social...

On en reparle si vous voulez sur l'autre fil, et on s'en tient ici au bien fondé "théorique seulement" des réformes de la pédagogie déjà en cours au Québec (après les Etats-Unis) qui vont bientôt arriver ici, et que la psychiatrie publique est déjà en train d'expérimenter sous la contrainte.

Mais ça traîne encore un peu tant il est vrai que la France est pour beaucoup le pays de tous les conservatismes.

Il y aurait déjà beaucoup à dire sur cette première partie... mais je continue encore un petit extrait de l'article :

a écrit :PERSPECTIVES CRITIQUES ET FONDEMENTS THÉORIQUES DE L’OUVRAGE

Soulignons d’entrée de jeu qu’il s’agit d’un ouvrage très bien fait, fort explicite
et comportant une documentation sérieuse: il est clair, précis, écrit d’une façon
parfaitement accessible au non spécialiste de la psychologie cognitive et, enfin,
ce qui ne gâte rien, d’une lecture aisée et agréable. De plus, l’auteur possède l’art
d’alterner de manière heureuse les explications théoriques et les exemples venant,
soit les illustrer, soit les expliciter. Il s’agit en fait d’un ouvrage didactique (qui
échappe, par sa qualité, aux travers de la plupart des ouvrages de vulgarisation),
s’adressant d’abord aux enseignants et, plus globalement, à l’ensemble des
personnes s’intéressant à l’enseignement dans le but d’améliorer son “efficacité”
et d’accroître la valeur de l’apprentissage. Partant de l’idée que l’enseignement
est une “science autonome,” la “science de la construction du savoir, de la
construction de la connaissance” .Le propos central de l’auteur est de
situer et de préciser les diverses contributions de la psychologie cognitive à cette
“science.” En ce sens, comme le précise l’auteur, cet ouvrage ne se veut pas “un
traité de psychologie cognitive au service de l’enseignant,” mais un “livre axé sur
l’enseignement et l’apprentissage,” utilisant les apports de la psychologie
cognitive dans le but de rendre “les démarches d’enseignement [. . .] les plus
signifiantes et les plus efficaces possibles pour l’élève”.

L’ouvrage comporte six chapitres:

(1) Introduction à la psychologie cognitive;
(2) Motivation scolaire;
(3) Mémoire et représentation des connaissances;
(4) Résolution de problème et transfert;
(5) Caractéristiques et pratiques del’enseignement stratégique;
(6) Fondements de la communication pédagogique stratégique.

Tous les chapitres débutent par des pistes de lecture, celles-ci
correspondant à de brèves notes ou commentaires au sujet des idées principales
du texte; ils se terminent par des énoncés au sujet des “conséquences pour
l’enseignement” qu’on peut tirer de chacun des chapitres. Ces notes et ces
conséquences, également claires et précises, facilitent la lecture du texte et son
assimilation. Par ailleurs, l’organisation même de l’ouvrage vise, selon l’auteur,
à “provoquer et faciliter chez le lecteur la construction graduelle de connaissances”.

Soulignons enfin que chacun des chapitres se termine par une liste
de références des ouvrages cités dans le texte. À la fin, on trouve également un
index analytique, outil toujours utile dans ce genre de livre.

À travers ces développements, l’auteur s’efforce de montrer que la connaissance
est une construction dynamique dépendante à la fois des connaissances
acquises antérieurement et de l’activité de l’apprenant. Nous pensons que l’auteur
a su faire une bonne synthèse des récents développements de la psychologie
cognitive et de ses applications aux situations d’enseignement et d’apprentissage.

Cependant Tardif nous semble déborder constamment les limites d’une telle
synthèse, en s’appuyant sur des postulats et des thèses méritant d’être discutés,
d’autant plus qu’ils ne lui sont pas propres, mais rejoignent actuellement un large
champ de recherches au sujet de l’enseignement. C’est pourquoi nous consacrons
la suite de cette étude à la critique des postulats et des thèses de l’auteur quant
à la nature de l’enseignement.

Compte tenu des limites du présent texte, il n’est pas question ici de
développer une argumentation critique systématique des principales thèses de
l’auteur. Nous voudrions plutôt nous limiter à quelques considérations sur des
problèmes et des questions très complexes que l’auteur, à notre avis, évacue tout
simplement, un peu comme s’ils n’existaient pas. Mais peut-être est-ce là le
principal problème de Tardif: ayant mis sur son nez les lunettes théoriques de la
psychologie cognitive, il contemple toute la réalité à travers elles, ne voyant que
ce qu’elles peuvent lui montrer, écartant ainsi tout le reste.
Notons d’abord un malaise général que nous avons ressenti à la lecture de cet
ouvrage, face au ton assuré de l’auteur et face surtout au système de croyances
régissant son propos lorsqu’il traite de l’enseignement. L’auteur ne se pose même
pas la question de savoir si l’enseignement peut être une science: il l’affirme tout
simplement, mais sans jamais prendre la peine de discuter les difficultés
inhérentes à une telle affirmation. [B]L’auteur se contente de souligner que les
enseignants ont vu se succéder, au cours des dernières décennies, plusieurs
“modes” prétendant fournir une base scientifique à l’enseignement, mais que
maintenant il s’agit vraiment d’autre chose, puisque son ouvrage apporte au fond
la solution finale à tout ce problème: il y existe enfin une science de l’enseignement ! [B/]

Rappelons que les difficultés que rencontrent une telle affirmation
constituent la substance même des débats qui se poursuivent depuis au moins un
siècle, tant en Europe qu’en Amérique du Nord, débats qui se sont amplifiés et
complexifiés depuis une vingtaine d’années (Shulman, 1986). Rappelons également
qu’ici même au Québec et plus largement au Canada, alors qu’on assiste
présentement à un large mouvement de restructuration de la formation universitaire des enseignants, ces débats sont au coeur des enjeux de la formation des maîtres (Conseil supérieur de l’éducation, 1991). Or ce qui ressort de ces débats et que l’auteur soit ignore, soit veut ignorer, c’est que l’enseignement n’est pas une science, mais une activité sociale et, plus spécifiquement, une pratique
professionnelle.

Comme toute activité sociale, comme toute pratique professionnelle, l’enseignement peut bien sûr incorporer et utiliser diverses connaissances scientifiques et divers savoirs techniques. Tel est notamment l’un des buts poursuivis par les sciences de l’éducation lors de la formation initiale des enseignants: leur fournir une base scientifique de connaissances et des techniques d’intervention. Cependant, et cette distinction est décisive, l’incorporation et l’utilisation de connaissances scientifiques et de technologies en enseignement ne transforment pas cette pratique professionnelle en “science autonome,” dans la mesure notamment où les buts poursuivis par les enseignants n’ont rien de scientifique: ils sont éducatifs, c’est-à-dire idéologiques au sens large et non péjoratif du terme. Par exemple, viser le “développement intégral de la personne” n’a rien de scientifique, mais participe d’une idéologie liée à la culture de la modernité. Il en va de même pour toutes les professions.

À cet égard, contrairement à ce qu’affirme l’auteur en s’y référant tel un
modèle idéal, la médecine n’est pas une science, mais une activité professionnelle
qui incorpore bien sûr certaines connaissances scientifiques mais aussi bien
d’autres types de connaissances ou de savoirs: sens commun, culture, normes,
valeurs, art, expérience, etc. (Freidson, 1986; Schön, 1983). Il suffit, par exemple,
de penser aux questions actuellement si controversées du “suicide assisté,”
de “l’avortement,” de la “surconsommation des médicaments,” de “la distribution
et de l’utilisation des ressources financières” dans le monde médical, pour saisir
que la pratique professionnelle des médecins est traversée, structurée et déterminée par des questions, des problèmes, des enjeux qui ne sont pas du ressort des sciences à la base de la médecine. La biologie, la chimie, la génétique ne nous diront jamais s’il faut interrompre un traitement, pratiquer un avortement,
etc. Ainsi la pratique professionnelle des médecins est continuellement confrontée
à ces questions que les praticiens doivent résoudre sans l’aide des sciences.
Jamous et Peloille (1970), en étudiant l’évolution de la profession médicale en
France, ont montré que cette profession, comme toute profession, se caractérise
par un haut degré d’indétermination dans l’exercice du jugement professionnel.
La part de la rationalité strictement scientifique et technique intervenant dans la
profession médicale n’est pas déterminée d’avance par la science médicale; au
contraire, à la différence d’un métier ou d’une technique, où toutes les opérations
peuvent être prévues d’avance et soumises à un contrôle quasi total, la profession
médicale fait constamment appel à des formes de jugement requérant une grande
autonomie chez les praticiens: tout n’est pas prévu d’avance, les situations concrètes font souvent appel à des critères de jugement non techniques.

Pour aller directement au coeur du problème, posons-nous la question
suivante: qu’est-ce qui distingue les connaissances scientifiques des savoirs des
praticiens de l’enseignement? À notre avis, la réponse tient dans le fait suivant:
les premières portent sur des objets à connaître, alors que les seconds portent sur
des actions à entreprendre et des fins à atteindre. Or, les procédures cognitives
utilisées pour la saisie objective des “objets de la connaissance” (formalisation,
univocité, protocole d’expérimentation, testing, etc.) ne sont pas transférables
telles quelles dans l’action réelle, celle-ci obéissant largement à des contraintes
non cognitives: limitation dans le temps, urgence, prise de décision en situation,
contingence, multiplicité des facteurs impliqués, dont plusieurs sont incontrôlables
ou du ressort d’un autre champ de compétence professionnelle, etc.

Certes, répétons-le pour éviter tout équivoque, cela ne signifie pas que les
praticiens ne peuvent pas ou ne doivent pas utiliser des connaissances
scientifiques, mais ces connaissances deviennent ainsi des moyens pour l’action
et elles sont dès lors soumises aux contraintes de l’action et non plus aux
protocoles de la cognition. Par exemple, le but des enseignants n’est pas de
connaître comment pensent les élèves (ce qui pourrait être un objectif poursuivi
par les psychologues de la cognition), mais disons, pour simplifier un peu, de
soutenir ces derniers dans leurs itinéraires cognitifs, tout en les orientant dans
leurs apprentissages en fonction des objectifs contenus dans les divers
programmes. Toutefois, ce but ne peut être atteint que dans une situation
concrète, avec des élèves particuliers, singuliers, à travers un cheminement
complexe et en fonction de ressources effectivement disponibles. Le contexte réel
de l’intervention pédagogique des enseignants au sein des classes est porteur de
déterminations spécifiques ne pouvant être réduites à des variables techniques
susceptibles d’un contrôle scientifique. Le simple fait que l’élève sort
périodiquement de la classe interdit en fait un contrôle des influences qu’il subit.
À cet égard, il est intéressant de voir comment l’auteur se représente la réalité
professionnelle du métier d’enseignant. Selon ce qu’on peut tirer de cet ouvrage:

(1) il faut comprendre la classe comme le lieu où se déroule une activité
uniforme et prévisible dépourvue de toute contingence, où “stratégiquement” le
maître prévoit et provoque la construction de la connaissance comme “quelque
chose d’intentionnel” (p. 23);

(2) il faut considérer l’enseignement comme étant exclusivement une science s’intéressant aux activités de traitement de l’information; (3) il faut se représenter les rôles des acteurs présents à l’école comme des rôles bien précis et définis a priori: un rôle d’administrateur et de planificateur pour le maître et un rôle responsabilisé pour l’élève, peu importe son âge, puisque l’auteur soutient la pertinence de son étude pour toute situation
d’enseignement.


On attend des instituteurs et des enseignants communistes pour les commentaires !

Personnellement, je trouve très bien le parallèle avec la médecine.

A bientôt pour la suite et fin de l'article.
Wapi
 
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Message par Wapi » 14 Fév 2005, 18:56

Moi aussi je pense que Popper est un imbécile, ça nous fait un point d'accord.

Réponse sur le fil général, ici c'est une question trop "théorique". Il s'agit des bienfaits du cognitivisme appliqué à la nouvelle pédagogie.

Je pensais que tu allais discuter du contenu de l'article.
Wapi
 
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Message par Wapi » 14 Fév 2005, 19:10

Je ne critique pas la critique... il ne faut pas trop exagérer sur ce fil dans la façon de présenter les choses, s'il te plaît.

Et bien tu peux nous trouver un texte produit par eux-mêmes, et on l'examinera avec ceux qui veulent discuter des bienfaits de la pédagogie cognitiviste.

Je trouvais que celui-ci était bien car il faisait un peu le tour du problème, que le résumé de Tardiff me paraissait satisfaisant, et que c'était un bon début pour commencer.

Si je me suis trompé, tu peux (tout le monde peut) rectifier le tir.

Merci.

Wapi
 
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