la synesthésie

Et lutte contre les pseudo-sciences et les obscurantismes

Message par canardos » 27 Nov 2006, 14:35

je ne connaissais pas....

dans Science et avenir:

a écrit :

[center]Le goût du mot sur le bout de la langue[/center]
 
Répéter à l’envi le mot ‘’phonographe’’ ne suscite chez vous aucune sensation gustative? Pas étonnant:ce type de synesthésie est rare.
 
Voir l’image d’un phonographe, et chercher désespérément le mot, a suffit à l’un des participants d’une expérience peu commune à sentir dans sa bouche le goût du chocolat. Pour cette personne, qualifiée de synesthète, les sens ne sont pas imperméables mais se croisent et se mélangent. Une lettre ou une note de musique suggère une couleur, un goût est lié à une sensation tactile, un mot entraîne une sensation gustative… Deux psychologues viennent de montrer que pour ceux associent un mot et un goût –ils sont rares- avoir le mot sur le bout de la langue suffit à déclencher l’expérience synesthétique.

Les causes et les mécanismes de la synesthésie sont encore très mal connus. Pour en savoir plus sur l’association mot-goût, Julia Simner (University of Edinburgh) et Jamie Ward (UCL, Londres) ont sélectionné des images d’objets connus mais peu communs, comme l’ornithorynque, le sextant, le belvédère ou le métronome, pour provoquer chez six volontaires synesthètes cette sensation d’avoir un mot au bout de la langue.

Sur 550 tests, 89 expériences de la sorte ont été obtenues. Et dans 17 cas les participants ont ressentis le goût associé au mot –par exemple un goût de thon avec l’image des castagnettes- sans pouvoir prononcer le mot. Cela signifie que le son n’est pas le seul déclencheur du mélange des sensations, expliquent les deux chercheuses dans la revue Nature (datée du 23 novembre), même si à l’origine la sonorité du mot détermine la nature du goût qu’il suggère.

Un test postérieur a permis de confirmer que le goût expérimenté lorsque le mot était sur le bout de la langue était le même qu’en entendant le mot. Un an après, la même question a entraîné les mêmes réponses, précisent Simner et Ward, alors que les personnes non synesthètes testées en parallèle avaient oublié au bout de deux semaines les associations d’idées qu’ils avaient énoncées.

Cécile Dumas
(27/11/06)



canardos
 
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Message par canardos » 27 Nov 2006, 14:47

le lien vers un article de l'INSERM


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Message par Louis » 27 Nov 2006, 15:37

et l'article de wikipédia ici

Cela dit les "explications" de ce phénomène me semblent bien peu consistantes Ainsi
a écrit :Sur 550 tests, 89 expériences de la sorte ont été obtenues. Et dans 17 cas les participants ont ressentis le goût associé au mot –par exemple un goût de thon avec l’image des castagnettes- sans pouvoir prononcer le mot


l'échantillon (comme souvent) me parait trop faible pour pouvoir en tirer des explication générales...

Sinon, il faut se méfier : les sectes, les mouvements "new age" et autres pseudo sciences me semblent friandes de ce genre de phénomènes inexpliqués (pour le momment)

un exemple sur le site de MENSA france
Louis
 
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Message par canardos » 27 Nov 2006, 16:31

si tu avais été sur le site de l'INSERM dont j'avais mis le lien tu saurais que cette confusion entre gout et mot existe vraiment quelle que soit l'utilisation qu'en font telle ou telle secte ou mouvement new age....
canardos
 
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Message par canardos » 27 Nov 2006, 18:25

bon, je met l'article de l'Inserm en quote:

a écrit :

[center]L'étrange monde de la synesthésie[/center]

article de Edward M. Hubbard - INSERM unité 562 - 94101 Orsay
INSERM Unité 562


La synesthésie est un phénomène dans lequel une stimulation unimodale conduit à une perception dans une autre modalité. Par exemple, des notes de musique, des lettres et des chiffres peuvent entrainer la perception de couleur, des gouts peuvent être associés à des formes tactiles. Des recherches récentes ont montré que la synesthésie est un phénomène bien réel avec des corrélats génétiques, perceptifs et cérébraux. Nous allons présenter dans cet article quelques uns de ces faits ainsi que les questions qui nécessitent encore des investigations, notamment chez l’enfant. Les prochaines générations de scientifiques et de pédiatres devront reconnaitre la synesthésie chez l’enfant pour en explorer les racines développementales et leurs conséquences.

En 1871, Arthur Rimbaud publia un sonnet intitulé voyelles qui a amené le monde artistique européen de la fin du XIXième siècle à s’intéresser au phénomène de la synesthésie qui associe, par exemple, certaines lettres avec certaines couleurs. Bien qu’il soit généralement admis que Rimbaud n’était pas synesthète lui-même, son poème demeure une description frappante de ce que cela doit être d’expérimenter cette insolite association des sens. Certains synesthètes perçoivent du bleu lorsqu’ils entendent la note Ré jouée sur un piano et du rouge pour la note Fa (audition colorée), ou même ressentent des formes tactiles lorsqu’ils goûtent différentes nourritures. D’autres synesthètes voient en couleur les lettres de l’alphabet, même lorsqu’elles sont imprimées en encre noire. Ces personnes ne sont ni folles, ni ne souffrent d’un désordre neurologique. Elles font partie du petit groupe, estimé entre 1/20 et 1/2000, de gens normaux qui sont synesthètes. Chez eux, les sens, toucher, gout, audition, vision et odorat, sont « mélangés » au lieu de rester séparés.

Nous ignorons quand ce phénomène a été remarqué pour la première fois, mais Sir Francis Galton en a conduit la première étude systématique. Ses papiers, publiés dans Nature en 1880 [1, 2], se focalisent sur les trois manifestations les plus communes de la synesthésie : dans la première forme, les sons évoquent des couleurs (audition colorée), dans la seconde les nombres sont associés avec des localisations précises dans l’espace (synesthésie nombreespace) et dans la troisième les différents nombres apparaissent teintés de différentes couleurs
(synesthésie graphème-couleur). D’autres scientifiques ont bientôt suivi et vers 1910 plus de cinquante articles avaient été publiés sur la seule audition colorée par certains des plus fameux psychologues de l’époque comme Alfred Binet, Théodore Flournoy et Edouard Claparade. Pourtant, après cette vague d’intérêt initiale, l’étude de la synesthésie s’est alanguie et ce phénomène a depuis été considéré comme une simple curiosité de la psychologie et des neurosciences (pour une revue voir [3]). Cette tendance s’est récemment inversée et une nouvelle génération de psychologues et de neuroscientifiques ont recommencé à s’intéresser à la synesthésie. Plus d’articles portant sur la synesthésie ont été publiés dans les quatre dernières années que pendant les 40 années passées.

Dans cet article, je voudrais:

1) discuter les preuves expérimentales montrant que la synesthésie est un phénomène perceptif réel. Ces sujets ne fabulent pas.
2) faire le point sur les propositions théoriques de ce qui se passe dans le cerveau des synesthètes qui les distingue des non-synesthètes
3) rapporter les faits de la littérature suggérant que la synesthésie pourrait être fréquente chez l’enfant.

Les explications historiques de la synesthésie

Une explication classique de la synesthésie est que ces personnes revivent des associations et des mémoires de l’enfance. Peut-être que le petit Charles jouait avec des lettres aimantées sur la porte du réfrigérateur et que le « 5 » était rouge et le « 6 » vert. Bien sûr, cela n’explique pas pourquoi seulement certaines personnes restent « collées » à ces mémoires sensitives saisissantes ni pourquoi seulement certains groupes de stimuli, comme les lettres,  les nombres et les notes de musique, sont les plus probables pour créer des perceptions synesthésiques.

Une deuxième explication que l’on entend souvent est que ces personnes utilisent de vagues images métaphoriques quand ils disent que la note ré est rouge ou que le poulet a un goût pointu, de la même façon que l’on parle d’une chemise criarde ou d’un fromage piquant. Cette hypothèse estime que la langue regorge de ce genre de métaphores et que les synesthètes sont simplement plus prolixes à cet égard. Toutefois, dire que la synesthésie est une histoire de métaphores n’aide pas réellement non plus à comprendre ce phénomène car personne n’a une bonne idée de comment les métaphores marchent ni de comment elles sont décodées par le cerveau.

Aucune de ces explications ne rend compte des caractéristiques que nous, et d’autres, avons observé dans les études récentes de la synesthésie. Par exemple, plusieurs études ont montré que les rapports des synesthètes sont consistants (> 90 %) à travers des séances répétées de tests, même quand les séances sont séparées par des périodes de plus d’un an [3, 4]. Des sujets contrôles, par comparaison, ne sont consistants que dans 30% des cas. De la même façon, quand on présente à un synesthète un chiffre écrit dans une couleur qui ne correspond pas à sa perception, le temps qu’il lui faut pour nommer la couleur de l’encre est plus longue que celui qu’il lui est nécessaire quand le chiffre est imprimé dans la couleur adéquate [4, 5]. Ces faits montrent bien que la synesthésie est un phénomène automatique et digne de foi mais ils ne répondent pas à la question de savoir si ces perceptions colorées sont liées à des associations mémorisées ou à des processus perceptifs particuliers.

La réalité perceptive de la synesthésie

Pour tester l’hypothèse que la synesthésie est un phénomène perceptif, nous avons utilisé un test « d’isolement perceptif ». Si vous regardez un groupe de points verts dispersés parmi une « forêt » de points rouges, les points verts vont vous sauter aux yeux (pop-out). Si vous regardez des groupes de 2 dispersés au milieu de 5 (figure 1a), ils se mélangent avec l’arrière plan. Mais si vous regardez les chiffres en couleurs, vous pouvez instantanément les séparer de l’arrière-plan rouge, et les regrouper mentalement pour former une figure séparée de triangle (figure 1b). Ils sont difficiles à distinguer sans inspecter chaque élément un à un.


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Notre question était de savoir ce qui se passe si on montre cette figure à un synesthète qui voit les 3 rouges, les 4 bleus et les 5 verts. S’il pense simplement à rouge et à vert quand il voit des 3 et des 5, alors comme vous et moi, il ne verra pas le triangle instantanément. Si par contre, la synesthésie est un vrai phénomène perceptif, et pas seulement une association mémorisée, alors le triangle lui sautera aux yeux, comme dans la figure 1b, car pour lui les nombres sont vraiment colorés. La réponse était claire comme de l’eau de roche, les synesthètes étaient bien meilleurs que les non-synesthètes (figure 2) [6, 7]. Nous avons testé un second groupe de contrôles non-synesthètes avec des figures colorées comme les perceptions des synesthètes. Dans ce cas, les non-synesthètes avaient de meilleures performances que les synesthètes, ce qui est cohérent avec le fait que les synesthètes rapportent que les couleurs qu’ils perçoivent sont réelles mais plus fades que celles du monde réel.

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Ces résultats sont une preuve évidente que les couleurs perçues par les synesthètes sont vraiment d’origine sensitive. Cette expérience montre également que les synesthètes ne sont pas fous ou mythomanes. Comment une personne folle pourrait-elle être plus efficace que des sujets normaux ? Il n’y a aucun moyen de truquer. Pour la première fois depuis Francis Galton, nous avions une preuve non équivoque que la synesthésie est bien un processus sensitif.

Dans une deuxième expérience, nous avons tiré parti d’un phénomène visuel, la saturation (crowding). Si vous fixez le petit X de la figure 3a, vous trouverez assez facile de percevoir le nombre 5 sur le côté, même si vous ne le regardez pas directement. Mais si on entoure ce 5 de quatre autre nombres (comme des 3), vous ne pouvez plus identifiez le nombre du milieu (figure 3b). Ceci n’est pas dû à une réduction de l’acuité en périphérie. Après tout, le 5 était parfaitement évident quand il n’était pas entouré de 3. Une hypothèse est que la saturation est due à des ressources attentionnelles limitées. Les 3 qui flanquent le 5 distraient l’attention du stimulus central et empêchent les sujets de le voir. Nous eûmes une grande surprise lorsque nous avons montré cette figure à nos synesthètes. Ils regardèrent la figure et firent des remarques du genre : « Je ne peux pas voir le nombre du milieu. C’est flou mais c’est un flou bleu donc je devine que cela doit être un 5 ». Ceci suggère que, malgré qu’ils n’aient pas enregistré consciemment le nombre du milieu, ce nombre était traité quelque part dans le cerveau à un niveau inconscient et évoquait la couleur appropriée. Ils pouvaient ensuite utiliser cette couleur pour en déduire intellectuellement l’identité du nombre [8]. Néanmoins, ceci n’était vrai que pour seulement 3 de nos 6 synesthètes (figure 3c),
contrairement à la tâche précédente d’isolation du triangle décrite ci-dessus où le groupe des synesthètes avaient de meilleures performances que les contrôles [7]. Cela peut vouloir dire qu’il existe différents sous-groupes de synesthètes, une question sur laquelle nous reviendrons ci-dessous.


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Les bases neurales de la synesthésie graphème-couleur

Pour comprendre pourquoi certaines personnes font l’expérience d’un tel phénomène, revenons d’abord sur les bases neurales du traitement des couleurs, des lettres et des nombres. Les signaux neuronaux en provenance de la rétine sont d’abord envoyés au cortex visuel primaire (V1) où l’image est analysée selon ses différents attributs, comme sa couleur, son mouvement, sa forme et sa profondeur. Ensuite, les informations sur ces différents éléments sont distribuées vers de nombreuses aires visuelles dans les régions temporales et pariétales. Les neuroscientifiques ont maintenant une connaissance assez précise de comment les couleurs sont analysées. Après avoir été analysée par les cônes (les récepteurs de la couleur) dans l’oeil et été ensuite traitée dans des amas (blobs) dans V1, l’information colorée de la scène visuelle est envoyée vers l’aire hV4 dans le gyrus fusiforme. De là, elle est relayée vers les aires de couleur « supérieures », qui se trouvent plus haut, prés de la région du lobe pariétal appelé gyrus angulaire. Ces aires supérieures seraient impliquées dans les aspects les plus sophistiqués du traitement de la couleur, comme la couleur typique de tel ou tel objet, ou la discrimination de couleurs ambigües.

Les représentations numériques sont également calculées en suivant plusieurs étapes. Une première étape dans le gyrus fusiforme reconnait la forme des chiffres, alors que les stades plus tardifs dans le gyrus angulaire et le sillon intraparietal interviennent dans les concepts numériques que sont l’ordinalité (l’ordre des nombres, 2 est plus petit que 3 qui est plus petit que 4, etc..) et la cardinalité (la quantité). Quand la région angulaire est détruite par un accident vasculaire cérébral ou une tumeur, le patient peut encore identifier les nombres mais ne peut plus ni diviser ni soustraire (voir revue en [9]). Les multiplications sont généralement moins affectées car les tables sont souvent apprises par coeur dans l’enfance et peuvent permettre de trouver le résultat par récitation verbale.


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Figure 4.HubbardFig4.jpg HubbardFig4.jpg

Cette configuration anatomique, la proximité des régions traitant les couleurs et les nombres dans le gyrus fusiforme et dans le gyrus angulaire, suggère que la synesthésie nombre-couleur pourrait être la conséquence d’erreurs de câblage entre ces régions spécialisées (figure 4) [8]. La synesthésie est souvent présente chez plusieurs membres d’une même famille et le schéma de transmission suggère une base génétique évidente à ce phénomène. Peut-être une mutation génétique entraînerait un déficit d’élimination de connections preexistantes entre ces régions qui sont normalement séparées au cours du développement grâce à des phases d’élagage de connections exubérantes. Si cette mutation s’exprime de façon inhomogène dans les tissus, ceci expliquerait pourquoi certains synesthètes connectent couleurs et nombres tandis que d’autres voient des couleurs quand ils entendent des syllabes ou des notes de musique. Notez aussi qu’alors que presque toutes les régions cérébrales peuvent être connectées avec n’importe quelle autre, les régions qui présentent ces erreurs de câblage, sont proches les unes des autres, expliquant pourquoi certaines formes de synesthésie sont plus fréquentes que d’autres. Chez certains synesthètes nous avons trouvé que les chiffres sous leur forme romaine (V pour 5) n’évoquaient aucune couleur. Ceci est important car cela suggère que pour ces sujets, ce n’est pas le concept numérique 5, mais la forme physique du chiffre qui est associée à la couleur. Cette observation est cohérente avec l’idée que les connections exubérantes se trouvent pour ces sujets dans le gyrus fusiforme, cette structure étant principalement impliquée dans l’analyse des formes visuelles et non pas dans la signification conceptuelle du chiffre. Ces synesthètes de « bas niveau » étaient ceux qui avaient les meilleures performances dans notre tâche de saturation.

Néanmoins, pour d’autres synesthètes, même les jours de la semaine ou les mois de l’année évoquent des couleurs. Lundi peut être vert, mercredi rose et décembre jaune. Les jours de la semaine, les mois et les nombres partagent le même concept de séquence numérique ou d’ordinalité. Chez ces personnes, c’est peut être le concept abstrait de séquence numérique qui suscite la couleur plutôt que l’apparence visuelle du signe. Quelle est la différence entre ces deux groupes de synesthètes ? Comme nous l’avons déjà rapporté, après que la forme du nombre est reconnue dans le gyrus fusiforme, le message est relayé vers le gyrus angulaire et le sillon intraparietal. Le gyrus angulaire est impliqué dans le traitement des quantités et des séquences numériques et dans le raisonnement arithmétique abstrait. Peut-être que chez certains synesthètes, l’interférence se produit entre les deux régions de traitement de haut niveau de la couleur et du nombre dans le gyrus angulaire et non pas dans le gyrus fusiforme. Dans ce cas, ceci expliquerait pourquoi chez ces personnes, la représentation abstraite du nombre ou l’idée de nombre évoquée par les jours de la semaine ou les mois de l’année suscite fortement la couleur. En d’autres termes, il y aurait différentes formes de synesthésie suivant les régions du cerveau dans lesquelles s’exprime le gène responsable. Les synesthètes de « haut niveau » seraient ceux dont l’expérience serait commandée par le concept numérique alors que les synesthètes de « bas niveau » seraient ceux dont l’expérience serait commandée seulement par l’apparence physique.

Cette hypothèse non seulement explique la connexion entre couleurs et lettres/nombres, mais aussi le rapport d’un synesthète qui dit ressentir un goût dans la bouche quand il entend des mots. Dans ce cas, cela serait dû au fait que le cortex auditif et le cortex du gout sont adjacents respectivement dans le lobe temporal supérieur et dans l’insula. De la même façon, gouter des formes pourrait être dû à des connexions entre le cortex du gout dans l’insula et la représentation adjacente de la main dans le cortex somatosensoriel. Dans le cas de la synesthésie notes de musique et couleur, les régions impliquées sont loin l’une de l’autre (le cortex auditif et V4), mais il existe des preuves que des connexions longue-distance entre ces deux régions sont présentes à la naissance. Si ces connexions demeurent en place, elles expliqueraient la possibilité de synesthésie notes de musique-couleur, même si ces régions sont éloignées.

Etudes d’imagerie fonctionnelle des synesthésies graphème-couleur

Pour tester cette théorie, nous avons mené une étude d’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle chez 6 synesthètes et 6 contrôles. Nous avons mesuré les activations dans les régions cérébrales répondant à la couleur, pendant que les sujets regardaient des lettres ou des nombres, en blanc sur un fond gris, qui alternaient avec des symboles non linguistiques appariés quant à la complexité visuelle de bas niveau. Comme le prédisait notre hypothèse, les synesthètes avaient plus d’activité que les contrôles dans toutes les régions visuelles de traitement précoce, et notamment dans V4, la région répondant sélectivement à la couleur (figure 5). De plus, les synesthètes qui avaient les meilleures performances dans les deux tâches décrites ci-dessus, avaient également la plus forte activation dans V4 (figure 6), suggérant que les synesthètes pourraient différer par l’intensité de leur coloration synesthète [7]. Ces différences pourraient également être dues à la distinction « haut et bas niveau » de traitement que nous avons soulignée ci-dessus mais ceci nécessite plus de recherche.

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Figure 5.

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HubbardFig6.jpg HubbardFig6.jpg
Figure 6.


Une étude en IRMf antérieure avait étudié la synesthésie mots entendus-couleur et avait montré une augmentation de l’activité dans V4 chez les synesthètes, similaire à celle que nous avons décrite dans la synesthésie graphème-couleur [10]. De plus dans cette étude, les auteurs avaient entrainé les sujets contrôles à imaginer les mots en couleur et avaient montré que malgré l’entrainement, les non-synesthètes n’avaient pas d’activation dans V4. Ces résultats montrent non seulement la généralité de l’implication de V4 dans la perception synesthésique des couleurs mais démontrent que cette activation ne peut pas être due simplement à des influences descendantes (top-down) comme dans l’imagerie mentale. Pris ensemble, ces résultats sont en faveur du modèle général d’activation croisée que nous avons proposé ci-dessus. Néanmoins, simplement montrer que ces régions sont actives n’explique pas totalement ni leur rôle fonctionnel et ni quelles sont les interactions entre gènes et environnement qui peuvent conduire à la synesthésie.

Les études développementales de la synesthésie

Tout ce que nous avons récemment appris sur la synesthésie provient d’études chez l’adulte. Ces résultats intrigants conduisent pourtant à toute une série de questions sur comment la synesthésie se développe. Par exemple, si l’hypothèse de l’élagage de connexions exubérantes est juste, nous devrions nous attendre à trouver plus de synesthètes chez les enfants que chez les adultes, puisque l’élimination synaptique se poursuit pendant l’enfance jusqu’à l’adolescence. De la même façon, étant donné que la synesthésie a une composante génétique mais dépend de systèmes appris comme les lettres, les chiffres et les notes de musique, quelles peuvent être les interactions entre génétique et expérience qui conduisent à la forme adulte de synesthésie ?

La question de savoir si la synesthésie est plus fréquente chez les enfants n’a pas été envisagée dans les études récentes. Néanmoins, des données obtenues dans les premiers temps de la recherche sur la synesthésie suggèrent que cela est effectivement le cas (pour une revue voir [11]). Par exemple, Galton, en 1883, a noté la tendance pour les enfants à être plus synesthètes que les adultes. Charles Meyers, en 1914, a aussi remarqué cette tendance et a suggéré qu’il s’agissait juste d’une des nombreuses « perceptions indifférenciées » communes aux enfants. Heinz Werner, en 1940, a suggéré que la synesthésie pourrait concerner un enfant sur deux, et que la prévalence de la synesthésie diminue avec l’âge après 10 ans. Néanmoins, aucune de ces études n’a utilisé les techniques expérimentales modernes pour vérifier la stabilité et le sérieux de ces associations synesthésiques. Par exemple, ils ne se sont pas assurés de distinguer entre synesthésie et possibilité de métaphore, ou autres images. Il s’agit donc clairement d’une question qui doit être ré-examinée avec les méthodologies plus fiables qui sont à notre disposition maintenant.

Une autre question développementale intéressante est la relation entre génétique et expérience dans le développement de certaines associations synesthésiques. Bien qu’il soit clair qu’il existe une composante génétique dans la synesthésie, la concordance, même parmi des jumeaux monozygotes n’est pas parfaite suggérant également une composante environnementale [12]. Dans une étude récente de la synesthésie gout-mots entendus, Jamie Ward et Julia Sinner ont montré que leur synesthète JIW ressentait des gouts qui étaient liés au contenu sémantique et phonétique des mots, démontrant ainsi que des facteurs linguistiques et conceptuels jouent un rôle dans les associations synesthésiques [13]. Une autre étude récente a montré que chez des anglophones, le « r » est par exemple plus souvent associé avec rouge et le « g » plus souvent associé avec vert (en anglais green ), suggérant un biais dans les associations colorées dû à la dénomination des couleurs. Néanmoins, cette association n’est pas parfaite, « o » étant souvent perçu comme noir ou blanc et non comme orange [14]. Chez d’autres synesthètes, entendre le mot « rouge » leur fait voir du vert, un effet que Gray et ses collèges [15] ont surnommé « l’effet de couleur étrangère » (Alien Color Effect: ACE). Nous avons, nous-mêmes, rapporté le cas d’un synesthète qui avait un trouble de la vision des couleurs (déficit en cônes s) et avait des difficultés à distinguer les bleus des violets. Néanmoins, il rapportait qu’il percevait des couleurs synesthésiques qu’il ne pouvait pas voir dans le monde réel [6, 8]. En résumé, ces résultats contradictoires suggèrent un rôle important de l’environnement pour déterminer quelles sont les associations synesthésiques les plus probables mais suggèrent également qu’il existe un certain degré d’aléatoire dans les connexions génétiquement spécifiées qui détermineront quelles sont les associations que le synesthète éprouvera.

Conclusions

L’étude de la synesthésie a explosé pendant ces 10 dernières années. Au fur et à mesure que les chercheurs ont exploré ce phénomène énigmatique, ils ont pu montrer que ces couleurs synesthésiques ont des conséquences perceptives, démontrant la réalité de ce phénomène. Les études de neuroimagerie ont montré que les synesthètes qui voient des stimuli induisant des perceptions colorées ont effectivement des activations dans les régions cérébrales traitant la couleur, suggérant que la synesthésie est due à des co-activations de régions adjacentes du cerveau impliquées dans le traitement de la couleur et dans le traitement du nombre. Alors qu’il est classiquement accepté qu’il existe une composante génétique dans ce phénomène, il est nécessaire de lancer des recherches pour déterminer exactement la part génétique et comment cette composante génétique interagit avec des facteurs environnementaux pour créer les associations précises que les synesthètes ressentent. Ceci est un objectif crucial des futures recherches dans ce domaine et un endroit où pédiatres et psychologues du développement devraient collaborer pour mieux comprendre ce phénomène curieux.

Références
1. GALTON F.: "Colour associations", in Synaesthesia: Classic and contemporary
readings, S. Baron-Cohen and J.E. Harrison, Editors. 1880, Blackwell: Oxford,
England. p. 43-48.
2. GALTON F.: "Visualised numerals", Nature, 1880a; 21: 252-256.
3. BARON-COHEN S., HARRISON J., GOLDSTEIN L.H., WYKE M.: "Coloured
speech perception: Is synaesthesia what happens when modularity breaks down?"
Perception, 1993; 22 (4): 419-426.
4. MATTINGLEY J.B., RICH A.N., YELLAND G., BRADSHAW J.L.: "Unconscious
priming eliminates automatic binding of colour and alphanumeric form in
synaesthesia", Nature, 2001; 410 (6828): 580-582.
5. DIXON M.J., SMILEK D., CUDAHY C., MERIKLE P.M.: "Five plus two equals
yellow: Mental arithmetic in people with synaesthesia is not coloured by visual
experience", Nature, 2000; 406 (6794): 365.
6. RAMACHANDRAN V.S., HUBBARD E.M.: "Psychophysical investigations into the
neural basis of synaesthesia", Proceedings of the Royal Society Biological Sciences
Series B, 2001a; 268 (1470): 979-983.
7. HUBBARD E.M., ARMAN A.C., RAMACHANDRAN V.S., BOYNTON G.M.:
"Individual differences among grapheme-color synesthetes: Brain-behavior
correlations", Neuron, 2005; 45 (6): 975-985.
8. RAMACHANDRAN V.S., HUBBARD E.M.: "Synaesthesia: A window into
perception, thought and language", Journal of Consciousness Studies, 2001b; 8 (12):
3-34.
9. MOLKO N., WILSON A., DEHAENE S.: "La dyscalculie developpementale, un
trouble primaire de la perception des nombres", Medecine et Enfance, 2005; 3: 165-
170.
10. NUNN J.A., GREGORY L.J., BRAMMER M., WILLIAMS S.C.R., PARSLOW
D.M., MORGAN M.J., MORRIS R.G., BULLMORE E.T., BARON-COHEN S.,
GRAY J.A.: "Functional magnetic resonance imaging of synesthesia: Activation of
V4/V8 by spoken words", Nature Neuroscience, 2002; 5 (4): 371-375.
11. DANN K.T., Bright Colors Falsely Seen. 1998, New Haven, CT: Yale University
Press.
12. SMILEK D., MOFFATT B.A., PASTERNAK J., WHITE B.N., DIXON M.J.,
MERIKLE P.M.: "Synaesthesia: A case study of discordant monozygotic twins",
Neurocase, 2002; 8 (4): 338-342.
13. WARD J., SIMNER J.: "Lexical-gustatory synaesthesia: linguistic and conceptual
factors", Cognition, 2003; 89 (3): 237-61.
14. DAY S.: "Some demographic and socio-cultural aspects of synesthesia", in
Synesthesia: Perspecives from Cognitive Neuroscience, L. Robertson and N. Sagiv,
Editors. 2005, Oxford University Press: New York, NY.
15. GRAY J.A., CHOPPING S., NUNN J., PARSLOW D., GREGORY L., WILLIAMS
S., BRAMMER M.J., BARON-COHEN S.: "Implications of synaesthesia for
functionalism: Theory and experiments", Journal of Consciousness Studies, 2002; 9
(12): 5-31.

canardos
 
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Message par lallemande » 27 Nov 2006, 19:54

Salut les aminches et les camarades!
La synésthésie est un sujet que j'affectionne, car je suis "atteinte" depuis mon plus jeune âge. Un article intéressant à ce sujet avait paru dans un numéro de la Recherche en 1993. Il parlait de recherches effectuées à Londres dans un Institut de Psychiatrie qui avait lancé un appel à la radio et avait trouvé un échantillon de 200 personnes "atteintes". En fait, la forme qui associe un goût aux mots est encore plus rare que la synesthésie elle-même. Pour ma part, j'ai la forme la plus courante: j'associe les chiffres et les lettres à des couleurs (d'autres associent de manière fixe des mots entiers à des couleurs, mais c plus rare) qui sont fixes, invariables et se transportent même d'une écriture à l'autre: le alif arabe, je le vois bleu comme le A latin. Petite, je croyais que tout le monde avait "ça" et je demandais autour de moi: "et toi, telle lettre, tu la vois de quelle couleur?" Quelle n'était pas ma déception d'entendre "ben rien, je ne vois aucune couleur". C'est finalement à l'âge de 14 ans que j'ai découvert la seule autre personne synesthésiste que je connaisse personnellement à ce jour, mon père, qui lui associe sons et couleurs "le do, je le vois vert" me dit-il. Ouf de soulagement. Cette petite anomalie de connexion des neurones serait en effet héréditaire.
On parle souvent de synesthètes (moi je dis synesthésistes) célèbres en pensant notamment au poème de Rimbaud* sur les voyelles. Mais il semblerait que Rimbaud n'ait pas été un vrai synesthète, mais qu'il aurait plutôt écrit sous l'emprise de certaines substances. *Buckovski l'aurait été aussi.
J'insiste sur le côté fixe de ces associations de sensations/images, comme le fait d'ailleurs l'article: je n'ai pas choisi les couleur que je vois. Elles ont leur incidence sur mes préférences en matière de noms, de prénoms et aussi sur la mémorisation: je peux confondre des noms qui commencent par la même couleur. Lorsque je cherche un mot, il m'arrive de voir d'abord arriver la couleur. Lorsque je note un numéro de téléphone, il passe aussi par l'étape couleur. Mais c'est tout. Ca n'a pas d'effet de parasitage grâve: on ne voit pas un texte clignoter de mille couleurs par exemple pendant qu'on lit. C'est pas évident à décrire en fait.
Malheureusement, comme il n'y a pas beaucoup de synesthésistes, le phénomène ne se laisse pas bien étudier. L'article de la Recherche par exemple disait qu'on ne savait pas si ces couleurs étaient aléatoires ou pas, mais qu'une tendance à voir le "i" blanc se desssinait. C'est maigre...
lallemande
 
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Message par roudoudou » 27 Nov 2006, 20:38

a écrit :par exemple un goût de thon avec l’image des castagnettes- sans pouvoir prononcer le mot.


Ouai boff boff il était pas bourrer plutôt les mecs ce jour là!!! :-P




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Message par canardos » 27 Nov 2006, 21:38

bourré, moi?!!!

jamais!!!!

je suis synesthesiste! :smoke: :drinks: :155:
canardos
 
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Message par Matrok » 27 Nov 2006, 21:57

(lallemande @ lundi 27 novembre 2006 à 19:54 a écrit : On parle souvent de synesthètes (moi je dis synesthésistes) célèbres en pensant notamment au poème de Rimbaud* sur les voyelles. Mais il semblerait que Rimbaud n'ait pas été un vrai synesthète, mais qu'il aurait plutôt écrit sous l'emprise de certaines substances. *Buckovski l'aurait été aussi.

Le compositeur Olivier Messiaen, lui, contrairement à Rimbaud, était bien synesthésiste, et n'avait pas besoin de se droguer pour associer certaines couleurs à des sons ou à des accords. Mais contrairement à toi ce n'était pas de naissance, ça c'est "déclenché" quand il était prisonnier de guerre en Allemagne (au début de la 2ème guerre mondiale), probablement suite à des privations. Il composait déja de la musique avant, mais c'est dans ce stalag qu'il compose pour ses camarades de détention le "quatuor pour la fin des temps", en fait la première oeuvre de sa maturité... Et quant à la synesthésie, ça ne l'a jamais quitté après !
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Message par Louis » 28 Nov 2006, 13:07

Ainsi que un esprit calotin pas piqué des hannetons !

Sinon, reste a déterminer la part d'associations "naturelles" et "culturelle" (par exemple, celle qui pousse les européens a associer le rouge avec quelque chose de "chaud" (exemple, la révolution), de violent et de dangereux, contrairement a d"autres civilisations ou la "valeur" du rouge est totalement différente, comme par exemple chez les japonais)
Louis
 
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