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[center]Raser des montagnes pour en extraire du charbon[/center]
Mathieu Perreault
La Presse
Charleston, Virginie-Occidentale
En Virginie-Occidentale, on rase littéralement le sommet de certaines montagnes pour en extraire du charbon. Cette exploitation minière impressionnante n'est pas sans conséquences sur le paysage et l'environnement. Aux revendications de ses détracteurs, l'industrie vante les retombées économiques.
Du haut des airs, la Virginie-Occidentale a l'air d'un mouton vert. Cet État de la taille de l'Abitibi-Témiscamingue est une succession de milliers de collines et de montagnes couvertes d'arbres feuillus qui lui valent le surnom de «Mountain State». On est au coeur des Appalaches.
Soudain, l'avion arrive au-dessus d'une vaste étendue de terre à nu. Des camions et des grues rognent la montagne méthodiquement, enlevant une couche de roc, puis une autre.
C'est le Mountain Top Removal (MTR), littéralement «enlèvement du sommet d'une montagne», une nouvelle technique que l'industrie du charbon a embrassée avec enthousiasme depuis une quinzaine d'années. Les gisements de charbon s'amenuisant dans les Appalaches, les ingénieurs ont eu l'idée de cibler les veines de charbon trop minces pour être exploitées dans des mines souterraines.
L'opération consiste à raser le sommet d'une montagne, de quelques dizaines de mètres, pour accéder à une veine de charbon de moins de 1 mètre de large, parfois seulement 30 cm. En enlevant encore 10 ou 20 mètres de roc, on accède à une autre veine de charbon. Et ainsi de suite, jusqu'à ce que la montagne ait perdu entre 100 et 200 mètres de hauteur.
Les résidus sont ensuite remis en place pour reformer la montagne. Mais le roc gonfle au cours de l'extraction, gagnant de 20 à 30 % en volume. Pour éviter d'avoir une montagne plus haute qu'au départ, les compagnies minières comblent une partie de la vallée au pied de la montagne avec le roc excédentaire. Comme il s'agit uniquement de roc, ce remblai n'est pas considéré comme un déchet industriel. Il est donc soumis à un minimum de réglementation environnementale. Des arbres sont ensuite plantés, un processus appelé reclamation (qu'on pourrait traduire par reconquête).
Le MTR a provoqué une levée de boucliers ces dernières années en Virginie-Occidentale, l'État où cette technique est la plus populaire. Plus de 1000 km de cours d'eau ont été ensevelis, des centaines de montagnes étêtées, et le MTR pourrait toucher de 5 à 10 % de la superficie de l'État d'ici la fin de la décennie. Un récent sondage d'un quotidien local a démontré que plus de la moitié des Virginiens sont opposés au MTR.
Peur de dormir
«Nous avons connu des inondations catastrophiques, qui sont en partie causées par le MTR», affirme Vivian Stockman, une environnementaliste du groupe Ohio Valley Environmental Conservation, qui accompagnait La Presse lors d'un survol de certaines mines. «Les gens ont maintenant peur de dormir quand il pleut, au cas où leur maison serait emportée par une inondation. Des centaines de personnes ont été forcées de vendre leur maison, et celles qui ont refusé ont dû endurer la poussière et le bruit. Des cimetières ont été déplacés. Et le reboisement ne marche pas : les arbres plantés sur les anciens sites de MTR ne seront jamais plus gros que des arbustes.»
Les protestations de l'industrie sont véhémentes. «Ce ne sont que des sornettes», répond, visiblement excédé, Jason Bostic, de la West Virginia Coal Association, qui a accepté de rencontrer La Presse après s'être assuré que le journaliste n'avait pas «des intentions environnementalistes». «Au pire, s'il n'y a aucune restriction supplémentaire, la Virginie-Occidentale demeurera à 87 % couverte de forêts après l'épuisement de tous les sites de MTR. Et ça inclut les autoroutes, les villes. Nous avons fait de gros progrès au plan environnemental. Par exemple, les convoyeurs fonctionnent maintenant à l'électricité plutôt qu'au diesel.»
De même, M. Bostic assure que le MTR n'aggrave pas les inondations. «Il y a des inondations depuis les années 60, se défend M. Bostic. Il ne faut pas s'en étonner, les gens ont construit sur les zones inondables au fond des vallées parce que les pentes des montagnes étaient trop abruptes. Il n'y avait pas d'autre endroit où construire des maisons. Notre vice-président a lui-même perdu sa maison au cours des récentes inondations. Les écolos se font du capital sur le malheur des gens.»
«Le but du MTR est de déranger une seule fois la nature, ajoute-t-il. On va chercher tout le charbon qu'on peut, puis on remet tout en place. Je reconnais que, esthétiquement, c'est impressionnant. Mais contrairement aux projets immobiliers ou aux autoroutes, nos sites redeviendront sauvages au bout de quelques décennies. Les opposants au MTR ne sont pas des gens du sud de l'État, là où se trouvent la plupart des sites, où les gens ont besoin des mines pour gagner leur vie. Mon petit frère a 24 ans, il n'a qu'un diplôme de secondaire et il gagne 73 000 $ par an dans les mines; c'est plus que moi, qui suis allé à l'université.»
Coupes franches
Difficile au premier coup d'oeil de dire qui a raison. Si on se penche par exemple sur le reboisement, en avion avec les environnementalistes, on voit des parcelles replantées où poussent des arbres; Mme Stockman se montre dédaigneuse, qualifiant ces arbres de «broussaille», même s'il est évident qu'il y a là un début de forêt. Avec M. Bostic, l'exagération est contraire : en épluchant des dizaines de photos de lieux reboisés, le meilleur exemple qu'il trouve est une parcelle où on voit des arbres de la taille de petits pommiers. On est loin de la forêt luxuriante.
Autre élément troublant, les forêts de la Virginie de l'Ouest ont une histoire mouvementée. «Depuis le début du XIXe siècle, il y a eu deux ou trois fois des coupes franches sur presque tout l'État», admet Mme Stockman. Et pourtant, aujourd'hui, la végétation est luxuriante.
Au ministère de l'Environnement de l'État, dans une section industrielle de la capitale, Charleston, la responsable du dossier, Stephanie Timmermeyer, assure que le MTR est surveillé étroitement. «Nous avions un programme de surveillance des mines avant le gouvernement fédéral. Il date des années 60, alors que le programme fédéral est apparu en 1977.»
Pour donner un exemple de son travail, l'adjoint de Mme Timmermeyer, Lewis Halstead, raconte qu'il aura dans l'après-midi une rencontre sur le sélénium, un polluant. «Nous avons découvert des taux anormaux dans certains cours d'eau, dit M. Halstead. Nous devons déterminer comment faire le suivi du sélénium pour le MTR.»
Les forêts repousseront-elles sur les zones de MTR? «Oui, certainement, dit M. Halstead. Ça prendra un peu plus de temps, 100 ans au lieu de 40 ou 60 pour avoir une forêt commercialement exploitable. Les sources de graines sont parfois un peu trop éloignées, alors ça ralentit la pousse; mais vous seriez surpris de voir où les arbres réussissent à s'implanter sous nos climats.»
Quant aux inondations, M. Halstead rend un verdict mitigé. «Le MTR a augmenté la quantité d'eau moyenne durant les inondations mais n'a pas augmenté le maximum. Il y a encore des problèmes : par exemple, récemment, nous avons mis des restrictions sur le laps de temps avant le reboisement; les sites fermés mais non aménagés augmentaient les inondations.»
En 2004, le Washington Post a publié une enquête sur les aménagements que l'administration Bush a faits pour faciliter le MTR. Notamment, depuis le printemps 2002, les remblais de vallée ne sont plus considérés comme des «déchets industriels» : les compagnies minières peuvent, sans évaluation environnementale, déverser dans les vallées «du roc, du sable, de l'argile, du plastique, des débris de construction et des copeaux de bois». Et depuis le début de l'été, les fossés construits sur les remblais de vallée sont considérés comme des substituts des ruisseaux ensevelis par le MTR. La Maison-Blanche veut aussi éliminer l'interdiction d'établir une mine à moins de 30 mètres d'un cours d'eau, qui est en vigueur depuis 20 ans.
Amis du charbon
Près de 15 % du produit intérieur brut de l'État provient du charbon, qui paie un milliard de dollars américains en salaires directs chaque année. L'industrie minière y a glané neuf millions en dons politiques pour les républicains depuis 1998, et a lancé une campagne publicitaire dont les slogans sont «Friends of Coal» et «Coal Keeps the Lights On».
«Si les règlements environnementaux ne sont pas stables, les clients peuvent aller ailleurs, conclut M. Bostic. Nous consommerons de toute façon du charbon pour produire de l'électricité. Le gaz naturel devient de plus en plus cher, nous exploitons le potentiel hydroélectrique au maximum, et le nucléaire est un dinosaure. La seule question qu'il faut se poser, c'est si le charbon proviendra des États-Unis, ou de l'étranger.»