CITATION | ||||
Parler de décroissante soutenable - soit on en parle dans le cadre d’une société socialiste, et l’on joue avec la boule de cristal (comment évoluera la société socialiste, quelles recherches seront privilégiées, quelles seront les demandes de la population… ? ? ?) - soit on en parle en société capitaliste, et l’on est profondément réactionnaire : quelle insulte à tous ceux qui aujourd’hui manquent, que ce soit dans le tiers-monde, ceux qui n’ont pas assez à manger, ou ceux dans nos sociétés dites riches, qui n’ont pas de quoi se loger décemment, je ne parle pas des sdf, je parle de la très grande majorité de la classe ouvrière qui n’a pas de logement suffisamment grand et confortable, qui ne part pas en vacances comme elle le souhaiterait, et qui aimerait bien manger tout le temps des aliments qui ont du goût[/quote] Il me semble qu'un nouveau fil s'impose pour parler de ce sujet. Barnabé avait déjà écrit que le concept de décroissance soutenable était "écolo régressif". Je trouve que c'est une façon rapide d'évacuer le problème qu'il pose. C'est sûr qu'on peut dire ça vu les gens qui l'ont créé et ceux qui le mettent en avant. Mais quand même, il y a un problème, dont je trouve que mes camarades de LO le nient trop souvent, c'est celui des ressources naturelles. Il s'agit là d'un problème qui n'existait pas du temps des "grands marxistes historiques", le dernier de ceux que nous reconnaissons étant LT - qui est mort en 1941 si ma mémoire est bonne. Or à l'époque les forces productives étaient dérisoires par rapport à ce que nous connaissons aujourd'hui (pardon je fais partie des gens qui pensent que les forces productives ont augmenté depuis 1941, je ne sais pas si tout le monde est d'accord), et la populations mondiale était au minimum dix fois plus faible. Bref -et ça ne remet en rien en cause la nécessité de la révolution socialiste- je pense que le mouvement révolutionnaire doit aussi prendre ce problème en compte. Quid des sources de matières premières, minéraux mais aussi sources d'énergie ? Quid de la chute de la biodiversité ? Quid de nos déchets : le CO2, les déchets nucléaires, la pollution des eaux et de l'atmosphère ? Un géologue me disait l'autre jour que c'est la première fois dans l'histoire de l'humanité que l'ensemble des matériaux transportés par l'homme (bâtiment, terrassement etc.) est en gros le même que celui qui est transporté par les cours d'eau. Autrement dit l'action humaine a pris une ampleur géologique. C'est sûr que c'est pas Léon Trotsky qui risquait d'écrire là dessus ! A ma connaissance, il n'y a pas de production sans déchets et sans consommation de matière première. Peut être que si l'humanité maîtrise la fusion nucléaire, ça changera un peu la donne de ce point de vue, mais nous en sommes très loin et ce n'est pas à l'horizon visible. Et c'est un problème qui nous interroge un peu, parce que classiquement nous avons toujours considéré que tous les problèmes se résoudront par l'accroissement du bien-être matériel global de l'humanité, résumé par la notion de progrès. En général, les camarades, lorsqu'on parle des dégats environnementaux de la production, s'en tirent en disant "oui mais c'est la production capitaliste. Sous le socialisme, grâce au progrès, on aura une production propre." Or en fait cet argument n'est pas entièrement satisfaisant. Il a même des limites physiques : à partir du moment où on produit un objet, il y a forcément consommation d'énergie et de matière. Plus prosaïquement, le concept de voiture "propre" est une invention des trusts de l'automobile pour continuer à pourrir la planète, et mon avis personnel est qu'il n'y aura jamais de voiture propre (même si évidemment il y aura des voitures bien moins polluantes qu'aujourd'hui). Bref je pense qu'il faut réfléchir à la nécessité, pour une société communiste donc responsable, de limiter la production de biens matériels à l'échelon planétaire. Et éventuellement, si on pense que c'est une nécessité historique, ce serait bien de l'écrire quelque part ! Le progrès, ce n'est pas forcément la croissance de la production. Dans la Russie des années 30, si évidemment. Mais aujourd'hui c'est surtout plus de culture, plus de solidarité, plus de liens sociaux. Ce n'est pas forcément une télé dans chaque pièce, une bagnole tous les 5 ans, un téléphone portable pour chaque membre de la famille (qu'on changera tous les deux ans parce qu'il est construit pour ne pas durer plus longtemps) et un ordinateur tous les trois ans (un péché dont je suis bien certain qu'il est commis par tous les membres de ce forum). Or ce rythme de consommation est celui de bien des familles ouvrières dans la partie riche de la planète. Je reconnais qu'en collectivisant de nombreux objets de la vie courante (pourquoi chacun aurait sa bagnole perso, pourquoi pas des bagnoles collectives), et en supprimant les productions inutiles (militaires, pub, etc.), et on peut économiser beaucoup sur les ressources. Mais en dehors du militaire et de la pub, qu'est ce qu'un objet inutile au juste ? Tout nouvel objet qui arrive sur le marché a forcément une utilité, il apporte un confort supplémentaire, fut-il infinitésimal, sinon il ne trouverait pas acquéreur. Donc il va bien falloir à un moment donné dire "ça c'est futile, on en a pas besoin (pour l'instant ?) donc on ne le produit pas." Mon avis c'est même, paradoxalement, que seule la classe ouvrière, parce qu'elle est porteuse d'autres valeurs, est capable d'enrayer la frénése de possession et de consommation du capitalisme. De supprimer la pub, de faire comprendre qu'il faut être solidaire des populations des pays pauvres et aussi des générations futures. Je suis désolé de parler des générations futures, tarte à la crème bêlante des verdouilleux timorés, mais cette solidarité avec les générations futures est aussi une solidarité fondamentale dont le capitalisme est incapable. Bref pour moi un programme révolutionnaire, c'est aussi "sauvons la planète en répartissant les richesses plus équitablement à l'échelon mondial, en restreignant la consommation des plus riches, et en supprimant les productions inutiles" - ce que le capitalisme est incapable de faire et qui nous mènera à la catastrophe. (Si vous voulez de la doc sur le réchauffement, la chute de la biodiversité et le problème de l'eau je tiens ça à votre disposition.) Petit exemple : le transport aérien est une source énorme de gaz à effet de serre ; il représente le tiers du transport terrestre à lui tout seul et augmente exponentiellement. Une politique communiste responsable, à mon avis, serait d'expliquer ça et de le limiter sévèrement. Et je suis persuadé que la classe ouvrière est tout à fait apte à comprendre ça. Une dernière chose : qu'on ne vienne pas me dire qu'on verra tout ça après la révolution et que d'ici là pas la peine de sortir la boule de cristal ! Evidemment, c'est l'argument classique qui évite de réfléchir : "après la révolution, les gens auront les moyens de production entre leurs mains, c'est sûr qu'ils en feront bon usage, pas comme aujourd'hui où c'est les capitalistes"... Là je suis désolé camarades, on ne peut pas faire de politique sans avoir un projet de société. On le modifie à la lumière des faits, certes, il y a des questions auxquelles on ne peut pas répondre d'avance, certes, mais sinon on tombe dans le pur "demain l'herbe sera verte et le soleil radieux"... Et on est bien mal préparés pour le jour J...
|