... et un petit point sur la cosmologie, histoire de montrer comment on en parle :
a écrit :
[center]La cosmologie, un bilan entre deux siècles[/center]
L'histoire de l'Univers - Dossier Pour la Science - n° 45 - octobre 2004
Marc Lachièze-Rey - directeur de recherches, au CNRS, au Service d’astrophysique du Centre d’études de Saclay.
En 1917, Einstein propose le premier modèle cosmologique relativiste, aujourd’hui nommé modèle d’Einstein, fondé sur la théorie de la relativité générale qu’il vient de publier. Dans les années qui suivent, deux observations complètent cette avancée théorique considérable.
D’abord, en 1924, l’astronome américain Edwin Hubble clôt le Grand Débat qui hantait l’astronomie depuis plusieurs décennies en prouvant, d’une part, que les « nébuleuses spirales » se situent en dehors de notre propre galaxie, la Voie lactée et, d’autre part, qu’il s’agit d’autres galaxies. Ainsi, l’Univers s’étend bien au-delà de ce que l’on imaginait : il est immense, et la cosmologie change d’échelle !
Ensuite, pendant les premières décennies du siècle, l’astronome américain Vesto Slipher accumule des mesures de décalages vers le rouge de ces nébuleuses (aujourd’hui reconnues comme galaxies spirales) et les interprète comme des vitesses de récession, y voyant les signes d’une expansion. En 1929, à partir de ces mesures, Hubble publie la loi empirique qui porte aujourd’hui son nom : le décalage d’une galaxie est proportionnel à son éloignement.
Le mystère que représente ce décalage reste entier jusqu’à l’explication fournie par le physicien belge Georges Lemaître (voir l’article de Dominique Lambert). Ses travaux, qui réussissent la synthèse de la théorie (la relativité générale et la cosmologie relativiste) et des observations (la loi de Hubble), sont reconnus dans les années 1930 : l’Univers est en expansion, en conformité avec la relativité générale.
Pour décrire notre Univers, Lemaître propose une famille de modèles cosmologiques, nommés aujourd’hui modèles de Friedmann-Lemaître, car leurs aspects mathématiques ont aussi été explorés indépendamment par le physicien soviétique Alexandre Friedmann.
Dans cette vaste famille, on distingue deux classes. La première correspond aux modèles de Big Bang selon lesquels l’expansion se déroule depuis un temps fini tU, l’âge de l’Univers, estimé aujourd’hui à 13,7 milliards d’années. Ainsi, l’Univers évolue et est doté d’une histoire. Initialement évoqués par Lemaître sous le nom d’« hypothèse de l’atome primitif », reprise sous le nom d’« Univers chaud », puis de Big Bang, ces modèles s’imposeront en 1965.
Selon la seconde classe, celle des modèles d’« Univers stationnaire », l’expansion se poursuit depuis une durée infinie et l’Univers conserve toujours le même aspect. De nombreux cosmologistes, peu désireux de renoncer au mythe d’un monde éternellement égal à lui-même, ont préféré ces modèles, par ailleurs bien fondés scientifiquement. Ils ont pour eux une simplicité séduisante, contrebalancée par l’inconvénient d’une loi physique étrange et arbitraire : une création continue de matière. L’un des arguments opposés aux modèles de Big Bang par les tenants de cette seconde classe était l’âge de l’Univers dont les estimations semblaient plus courtes que l’âge de la Terre !
Ces résultats étaient erronés, et les tests cosmologiques ont fait pencher la balance en faveur du Big Bang. L’argument décisif est venu d’une extraordinaire prédiction vérifiée en 1964, sous la forme d’un rayonnement diffus qui baigne la totalité de l’Univers. L’existence et les propriétés de ce fond diffus cosmologique (voir l’article de Simon Prunet) ne sont explicables que par les modèles de Big Bang, dont ils constituent en quelque sorte la signature.
Les modèles de Big Bang
La classe des modèles de Big Bang est elle-même une grande famille dont les membres se distinguent par la géométrie de l’espace, la loi de l’expansion cosmique et le contenu énergétique de l’Univers.
La géométrie de l’espace, que la simplicité des modèles permet de séparer du temps, dans l’espace-temps, est décrite par le signe k de la courbure spatiale (il ne s’agit pas de celle de l’espace-temps) et par son intensité, rassemblés souvent en un paramètre unique OmégaK. La faible valeur observée de OmégaK fait dire à certains que l’Univers (ils veulent dire « l’espace ») est presque plat. La loi de l’expansion cosmique, décrite par un facteur d’échelle R(t) stipule que toute grandeur cosmique augmente proportionnellement à R(t). Cette fonction du temps est décrite en première approximation par deux paramètres, la constante de Hubble H0, qui représente le taux actuel d’expansion, et le taux de décélération q0 de l’expansion. Enfin, le contenu énergétique de l’Univers est caractérisé par la densité de matière et une constante cosmologique Lambda (voir l’article de Marc Lachièze-Rey). On les représente par deux paramètres, Omégamatière et OmégaLambda, respectivement égaux à environ 0,3 et 0,7.
Les équations fondamentales de la relativité générale – les équations d’Einstein – se simplifient (plusieurs composantes de la courbure s’annulent) en cosmologie et deviennent les équations de Friedmann. Elles déterminent les relations entre les différentes quantités précédentes. La conformité de leurs valeurs mesurées avec ces relations nous donne une confiance supplémentaire dans le Big Bang.
La cosmologie de précision
La tâche de la cosmologie scientifique consiste à spécifier le bon modèle pour décrire notre Univers ou, si l’on préfère, la forme de notre espace-temps. Le premier résultat est une confirmation spectaculaire du Big Bang, bien meilleure que ce dont on pouvait rêver il y a quelques décennies ! L’existence du fond diffus cosmologique, son extrême isotropie et les faibles fluctuations que l’on y détecte, l’expansion de l’Univers et les estimations de son âge, les abondances observées des éléments légers en accord avec les prédictions de la nucléosynthèse primordiale (voir l’article de James Cline), la compatibilité des valeurs mesurées des paramètres… sont autant d’arguments en faveur du Big Bang.
Pour autant, la cosmologie est loin d’être terminée, bien au contraire. Les mesures des paramètres fondamentaux, délicates, demandent toutes à être confirmées par des méthodes différentes et indépendantes. Le travail est déjà commencé et doit être poursuivi. Il devra notamment dévoiler la forme de l’espace-temps avec une précision de quelques pour cent ! En ce sens, on a pu déclarer que nous étions entrés dans l’ère de la cosmologie de précision. Pour mesurer la géométrie spatio-temporelle, tous les outils sont bons : tests cosmologiques exploitant les supernovae, les galaxies, les amas de galaxies, bientôt sans doute les sursauts gamma et tout type de structure cosmique ; l’utilisation des effets de lentilles gravitationnelles ; des mesures encore plus précises du fond diffus cosmologique… Sauf surprise, les modèles de Big Bang seront encore mieux confirmés. On pourra savoir si l’espace est plat ou non, s’il est fini ou non, estimer l’âge de l’Univers…
Contrairement à certaines idées reçues, l’énigme de la masse cachée, c’est-à-dire de la matière noire (voir l’article de David Cline), n’est pas de nature cosmologique, mais la cosmologie doit s’y confronter. Il s’agit d’expliquer la dynamique et l’optique (analyse des trajets lumineux défléchis gravitationnellement) dans des galaxies ou des amas de galaxies. Malgré de nombreux travaux théoriques et nombre d’observations, depuis les années 1930, la matière noire résiste à toute explication. Ou bien l’Univers est rempli d’une grande quantité d’objets dont nous n’avons pas la moindre idée, probablement une espèce de particule encore inconnue, ou bien nos lois de la dynamique et de la gravitation sont incomplètes (voir l’article de Mordehai Milgrom). Dans un cas comme dans l’autre, la réponse requiert une nouvelle physique. Celle-ci fait-elle partie des théories en cours d’exploration, telles la supersymétrie (voir l’article de Pierre Salati), les dimensions supplémentaires, les cordes (voir l’article de Pierre Ramond) et les branes… ? Ou bien correspond-elle à quelque chose d’entièrement inédit ? Nous n’en savons rien.
Toujours est-il que la cosmologie n’est pas en cause. Le problème n’a rien à voir avec le choix d’un modèle cosmologique. En d’autres termes, la réponse, quelle qu’elle soit, ne modifiera pas la validité des modèles de Big Bang.
Cela n’empêche pas, bien entendu, de fortes résonances en cosmologie. Si l’Univers contient vraiment d’importantes quantités de masse cachée, elles ont un effet sur sa géométrie et sa dynamique. Les estimations actuelles des paramètres cosmologiques en tiennent compte. D’ailleurs, plusieurs observations d’ordre cosmologique, interprétées dans le cadre du Big Bang, renforcent les évidences plus directes de la présence de masse cachée. Ainsi, même si cette question ne relève pas de la cosmologie, une grande part de la discipline y consacre ses efforts : tenter de détecter la masse cachée ou trouver une explication théorique, puis préciser le modèle de Big Bang qui s’y accorde le mieux.
Une deuxième question ouverte, de nature un peu similaire, est venue s’y greffer. Les mesures récentes (essentiellement fondées sur l’étude des supernovae) montrent que l’expansion cosmique accélère (voir l’article de Adam Riess). Or la matière et le rayonnement ordinaires, dont l’influence gravitationnelle est attractive, ne peuvent que ralentir l’expansion : quelque chose d’autre doit l’accélérer ! Selon leur sensibilité, les physiciens y voient un problème ou non. Les uns attribuent ce phénomène à la constante cosmologique, qu’ils considèrent comme une constante fondamentale de la nature. D’autres l’attribuent à une mystérieuse substance, nommée « énergie sombre ». D’autres encore y voient la marque d’une nouvelle physique (voir l’article de Georgi Dvali). Cette situation souligne l’importance d’une confirmation de l’accélération, par de nouvelles mesures, et la recherche d’une explication théorique : une part importante de la cosmologie y est consacrée.
Des visions "d'avant la création"
La substance des modèles de Big Bang se présente essentiellement comme une reconstitution des différentes phases de l’histoire passée de l’Univers. Une chose est sûre : l’état de nos connaissances en physique nous interdit de mener cette reconstitution au-delà d’une certaine limite dans le passé.
Les uns ou les autres manifestent une confiance plus ou moins grande dans les versions à haute énergie de notre physique, ou dans les tentatives de conciliation entre physique quantique et relativité générale. En conséquence, ils situent plus ou moins loin dans le passé la barrière de nos connaissances. Certains parlent ainsi de modèles d’inflation cosmique (voir l’article d’Alain Bouquet) dans un passé très reculé, alors que d’autres restent sceptiques.
En revanche, tous s’accordent pour dire que nos possibilités de reconstitution ne dépassent pas le moment où les énergies et températures sont si élevées que les effets quantiques se mêlent aux effets gravitationnels : c’est la « barrière de Planck ». Une fois encore, il ne s’agit pas d’une insuffisance des modèles de Big Bang. Ceux-ci remplissent pleinement leur rôle et décrivent l’évolution cosmique depuis ce moment (ou un peu plus tard si l’on est plus conservateur). Il manque simplement de les compléter, ce qui exige une nouvelle physique.
Cette exigence rejoint des préoccupations conceptuelles fondamentales : unifier les différentes interactions de la physique, en donner une description géométrique, décrire la gravité de façon quantique, explorer la structure de l’espace-temps aux échelles infinitésimales…
Plusieurs articles de ce numéro renvoient à des pistes explorées aujourd’hui : théories de cordes et branes et dimensions supplémentaires, supersymétrie, quantification de la gravité et géométrie quantique (voir l’article de Carlo Rovelli). Aucune de ces théories n’est encore au point et nous ne savons pas si les pistes sont bonnes. Il n’empêche, leurs partisans tentent déjà de les exploiter pour construire des scénarios d’Univers primordial, voire de ce qui se passait avant le Big Bang (voir l’article de Gabriele Veneziano). Rien n’est définitif, mais des idées intéressantes surgissent, des analogies se manifestent, des nouvelles mathématiques se révèlent pertinentes…
Là aussi, les modèles de Big Bang restent inchangés, du moins dans leurs grandes lignes. En revanche, on impose à toutes ces théories d’être compatibles avec ces modèles si bien vérifiés. On espère également qu’elles permettront de comprendre pourquoi ces modèles – si simples – donnent une description si satisfaisante de cet objet complexe qu’est l’Univers. En extrapolant, certains vont jusqu’à parler – de façon évidemment excessive – de la « Création » de l’Univers.
Les très hautes énergies mises en jeu mettent hors de portée (en tout cas, avant longtemps) les vérifications expérimentales directes de ces idées théoriques. Une grande partie des efforts, qui constituent un aspect excitant de la cosmologie actuelle, est consacrée à déterminer les modifications qu’elles pourraient entraîner sur les phases les plus primordiales de l’Univers. L’espoir réside dans la possibilité que certains effets pourraient avoir laissé des traces dans le fond diffus cosmologique, décelables par de futures observations, voire dans les données déjà disponibles ! On espère en prime des réponses aux problèmes de la masse cachée et de l’énergie sombre, ainsi qu’à des questions encore plus fondamentales sur la nature de la matière, de l’espace et du temps…