Tout d'abord, un extrait d'un article de François chesnay et claude Serfati qui reposent la prolblématique de la superstructure dans le cadre de la critique du capital :
a écrit :C'est dans la quatrième section du livre I du Capital, dans les pages qui préparent la transition du chapitre sur la manufacture à celui sur le machinisme et la grande industrie, puis dans les premiers sous-titres de ce chapitre, qu'on trouve tout d'abord deux fils conducteurs d'importance majeure. Le premier est celui du renversement du rapport entre l'ouvrier et l'outil: «Dans la manufacture et le métier, l'ouvrier se sert de son outil; dans la fabrique, il sert la machine (...) les ouvriers sont incorporés à un mécanisme mort qui existe indépendamment d'eux». [33] Le second est l'intégration ou l'absorption de la science par le capital comme instrument de domination chaque fois ou dès que ses applications pratiques sont connues: «les puissances intellectuelles sont transformées en pouvoirs du capital sur le travail» [34] , elles sont appropriées par le capital au point d'en paraître un attribut. On a là la clef, nous semble-t-il, de ce qui a été désigné par les théoriciens de l'Ecole de Francfort ou par le grand juriste philosophe de la technique Jacques Ellul, comme le «mouvement d'autonomisation de la technique» ou encore de constitution d'une «technostructure» placée en surplomb de la société.
Si la technique a pris l'apparence d'une puissance indépendante face à la société, c'est parce qu'elle a d'abord été utilisée à cette fin pour dominer le travailleur sur le lieu de travail et pendant le procès de production, parce que préalablement «le moyen de travail a été dressé comme automate devant l'ouvrier, pendant le procès de travail même, sous forme de capital, de travail mort qui domine et qui pompe sa force de travail» [35] . Le lien avec les questions traitées par l'écologie est un lien direct: «L'économie de moyens collectifs de travail, activée et mûrie comme dans une serre chaude par le système de fabrique, devient entre les mains du capital un système de vols commis sur les conditions vitales de l'ouvrier pendant son travail, sur l'espace, l'air, la lumière (....). [36]
C'est dans les fondements des rapports de propriété et de domination capitalistes que se situent les origines de son rapport aux ressources naturelles et à la biosphère. Il ne s'ensuit pas qu'en détruisant ou en endommageant gravement l'environnement naturel, le capital met en péril ses conditions de reproduction et de fonctionnement. Selon notre compréhension, par ces destructions de plus en plus graves et dans certains cas irréversibles, le capital met en péril les conditions de vie, et jusqu'à l'existence même de certaines communautés, voire de certains pays. Mais il ne met pas en péril les siennes. Nous n'adhérons pas à la thèse dite de la «seconde contradiction» pour un ensemble de raisons, au c'ur desquelles se trouve notre interprétation du lieu précis où se situent les seules contradictions qui affectent véritablement le capital. Pour ce qui est des conditions «externes», environnementales, de son fonctionnement le capital, ainsi que les Etats qui étayent sa domination et les classes sociales qui ont partie liée avec lui, ont les moyens aussi bien de faire supporter les conséquences de cette destruction aux classes, communautés et Etats les plus faibles, que de transformer la «gestiondes ressources devenues rares» et la «réparation des dégradations» en champs d'accumulation (en «marchés») subordonnés ou subsidiaires.
C'est dans sa soif d'appropriation de la plus value, dans les mécanismes qu'il emploie pour tenter de la satisfaire et dans les impasses auxquelles tant ce besoin que les moyens employés pour l'atteindre le conduisent que gisent les contradictions qui font que «la véritable barrière de la production capitaliste, c'est le capital lui-même». [38]
La libéralisation, la déréglementation et la privatisation entreprises à partir de 1978-79, ainsi que les formes précises de la «mondialisation du capital» qu'elles ont engendrées, doivent être considérées comme la manière contemporaine, la dernière en date, sous laquelle s'est de nouveau exprimée la position de Marx, selon laquelle «la production capitaliste tend sans cesse à dépasser ces limites qui lui sont immanentes, mais elle n'y parvient qu'en employant les moyens, qui de nouveau, et à une échelle plus imposante, dressent devant elle les mêmes barrières» [39] .
La chaîne de contradictions qui dessinent le parcours de la fuite en avant du capital peut être présentée ainsi. Vers 1970, le capital s'est trouvé confronté à une crise dont le fond était (et reste) l'insuffisance de plus value, aussi bien en raison du taux que de la masse produite. La mondialisation du capital, ensemble avec les technologies de l'information et de la communication (les fameuses TIC) lui ont ouvert la voie vers une hausse très forte du taux d'exploitation de la force de travail. L'élévation de la productivité et de l'intensité du travail, moyens "classiques" d'atteindre cet objectif, se conjugue maintenant avec la baisse du coût de reproduction de la force de travail, qui pour une large part donnent sa dimension "historique et morale" à la force de travail. La mise en compétition d'une armée de réserve de centaines de millions d'individus facilite grandement la mise en ouvre de mesures allant dans ce sens. Les pays arriérés du Sud sont incapables d'offrir sur ce plan de réelle résistance, compte tenu du caractère sélectif et limité des besoins du capital. La population peut être laissée aux "lois naturelles", où la reproduction elle-même est mise en cause. Pour l'instant, il en va un peu différemment dans les pays avancés, où l'attaque contre les salariés est passée par la réduction des dépenses publiques affectées à la reproduction du salariat, et par l'investissement par le capital des segments d'activités de santé et de formation qui sont susceptibles de valorisation. Le but de l'AGCS à l'OMC est de faire franchir à ce processus un saut qualitatif.
Et pourtant le capital voit déjà les mêmes «barrières» se dresser de nouveau devant lui. Il ne produit toujours pas assez de plus-value. Le capital ne peut tirer qu'un parti limité de la hausse du taux d'exploitation, parce qu'il ne peut employer au plan mondial qu'une faible fraction de la force de travail qui se présente sur le marché du travail. En sorte que la masse de plus-value créée ne s'est pas accrue (elle le fait sans doute même de moins en moins) dans les mêmes proportions que le taux de plus-value parce que le rythme de l'accumulation est trop faible. Cette situation nouvelle peut s'expliquer ainsi. La libéralisation, la déréglementation et la mondialisation du capital ont vu la montée sans précédent dans son histoire, du point de vue du nombre, de la richesse en niveau nominal de capitalisation et de la force en termes de levier de pouvoir économique et politique, des détenteurs de titres de propriété et de créances, c'est-à-dire de droits à faire valoir en partage de la plus-value. La bourgeoisie financière et les couches sociales qu'elle associe à ce mode de rémunération, disposent de puissants moyens d'appropriation de la plus-value. En raison du poids social et politique de ces classes, ces effets de ponction ont pris, depuis deux décennies, une grande ampleur. Or, du point de vue de la reproduction d'ensemble du capital, la consommation des classes dominantes vient en déduction de la plus-value destinée à être accumulée. On ne saurait donc attribuer à cette consommation le pouvoir d'élever le niveau du taux d'accumulation (à moins de se placer dans une interprétation "sous-consommationniste" des crises selon laquelle la consommation insuffisante des salariés pourrait être compensée par celle d'autres classes) qui permettrait au capitalisme de connaître une phase d'expansion durable.
Ainsi, la nouvelle configuration du partage de la plus value entre revenus financiers et profit réinvesti dans la production (l'accumulation au sens de reproduction élargie) produit-elle un écart important, qui s'apparente à un "effet de ciseaux", entre le taux d'accumulation qui permettrait de tirer tout le parti possible de la hausse du taux d'exploitation d'une part, et la part de plus value qui doit être distribuée pour satisfaire les exigences des détenteurs de titres de propriété et de créances d'autre part. Il faut ici rappeler que Marx voyait dans la bourgeoisie une classe qui avait été "progressive" face aux autres classes dominantes, mais qu'il montrait déjà comment cette classe avait très vite intégré et assimilé le comportement social des autres classes propriétaires que ses économistes stigmatisaient comme des classes parasitaires. Ce comportement était pour lui indissociable de la voie catastrophique pour les salariés à laquelle menaient sa domination et les lois du capital: "après moi le déluge ! telle est la devise de tout capitaliste et de toute nation capitaliste. Le capital ne s'inquiète donc point de la santé et de la durée de vie du travailleur, s'il n'y est pas contraint par la société» [40] . C'est ce qui s'est passé, sous l'effet d'immenses luttes sociales, mais aussi de rapports politiques entre les classes rendues momentanément favorables aux travailleurs par les déchirements des bourgeoisies entre elles.
Il faut aujourd'hui pleinement apprécier l'interaction entre l'attitude de la bourgeoisie financière et la trajectoire du capitalisme de ces vingt dernières années. La transformation de la destruction de la nature en "champ d'accumulation" pour les propriétaires du capital, la quête de contrôle des processus du vivant par le capital sont les produits délibérés de décisions politiques. Elles sont en même temps, dans une configuration des forces sociales particulières qui est celle de la domination du capital financier, le remède trouvé aux contradictions du mode de production fondé sur la domination du capital. Cette situation indique qu'il faut plus que jamais distinguer entre d'une part l'extension de la domination du capital et des rapports de propriété sur lesquels il est fondé ' soit au sens strict, l'extension de l'espace de la reproduction des rapports sociaux ' et d'autre part une augmentation véritable de l'accumulation du capital, c'est-à-dire une reproduction élargie de la valeur créée. Les crises économiques, les guerres, l'élévation à un degré inouï du militarisme dans les pays développés vainqueurs de la seconde guerre mondiale indiquent la façon dont le capitalisme du vingtième siècle (l'impérialisme) a provisoirement surmonté ses contradictions, ses "propres barrières" . Elles se sont à nouveau dressées à la fin des années soixante. Ce sont elles que le capitalisme va chercher à surmonter à la fois par l'accentuation de ses agressions contre les travailleurs et par une exploitation toujours plus forcenée de ses conditions extérieures environnementales.
Le point de vue que les questions écologiques ne peuvent être analysées hors des rapports de propriété, de production et de pouvoir dominants est partagé par ceux qui s'auto-intitulent "écomarxistes". Ici la contribution la plus significative est celle de J. O'Connor et a comme cadre la théorie des crises. A la différence d'autres auteurs (par exemple T. Weisskopf) il ne considère pas que l'analyse marxiste traditionnelle des crises est obsolète, mais qu'il s'agit de l'enrichir. La "première contradiction" du capitalisme se situe, selon lui, au niveau de la surproduction de marchandises et suraccumulation de capital, c'est celle-ci qui aurait accaparé l'attention de Marx. Aujourd'hui, le capitalisme est confronté à une "seconde contradiction" qui se situe au niveau des "conditions générales de production", dont O'Connor fait selon sa propre expression, une "reconstruction" à partir des écrits de Marx. La définition qu'il en donne est que ces conditions de production, indispensables à l'accumulation, ne "sont pas produites comme marchandises selon la loi de la valeur ou les lois du marché, mais sont traitées par le capital comme si elles étaient des marchandises" [41] . Elles incluent les moyens de communication et infrastructures, les conditions personnelles de production du travailleur, les conditions physiques externes (environnement). Les conditions de production sont le lieu de la «seconde contradiction» : "les coûts du travail, de la nature, des infrastructures et de l'espace augmentent de façon significative, mettant en évidence une seconde contradiction, une crise économique venant du côté de l'offre" [42] . Ces coûts augmentent pour deux raisons : lorsque le capital pour maintenir ses profits dégrade ou ne maintient pas en fonctionnement les infrastructures nécessaires à la production, et lorsque le mouvement social exige le maintien de ses conditions de vie, la protection de l'environnement, etc. La première contradiction est fondée sur une crise de la demande, la seconde sur une crise du côté de l'offre.
[33] Marx, Capital, livre I, chapitre XV, paragraphe IV.
[34] Ibid.
[35] Ibid.
[36] Ibid, fin du paragraphe IV.
[37] M.Mies, "Liberacion del consumo o politizacion de la vida cotidiana", Mentras Tanto, n° 48, Barcelone, 1992, page 73, cité par Michael Lowy (voir référence plus haut).
[38] Marx, Capital, III, chapitre XV, Editions Sociales, tome 6, 263.
[39] Ibid, page 262.
[40] Capital I, section 1, chapitre X, Editions sociales. vol. 1, page 264 (souligné par nous). Aujourd'hui on peut ajouter «Après moi le déluge ! telle est aussi la devise des capitalistes» pour l'eau, l'air, la biosphère, les ressources non ou très lentement renouvelables, etc.
[41] J. O' Connor, 'Capitalism, Nature, Socialism : a Theoritical Introduction' , Capitalism, Nature, Socialist, n°1, automne 1988, page 307.
[42] J. O' Connor 'Is Capitalism Sustainable ? ' dans M. O'Connor (Edieur) Is Capitalism Sustainable ? Political Economy and the Political Ecology, The Guilford Press, 1994, page 162.