boudieu, bourdieusien, néo bourdieusien

Et lutte contre les pseudo-sciences et les obscurantismes

Message par Louis » 05 Déc 2006, 17:01

il faudrais déja s'entendre sur le point de départ : Bourdieu et les "bourdieusiens"

Sur ces derniers, qui ne sont pas des "disciples" (c'est comme ça que les appellent certains tenants d'une vision acritique de la sociologie, en jouant de "l'effet de secte") mais pour certains des "élèves" dans le sens le plus trivial du terme (ils ont étudié sous sa gouverne) ou des "amis" (dans le cadre d'une "amitié intellectuelle") C'est le cas de Beau et Pialoux, Laurent Mucchielli, Loïc Wacquant, etc Et les éleves me semble tout aussi intéressant que le proffesseur.

Pour en revenir a Abdelmalek sayad, je soulignais juste qu'il avait (malheureusement) arrété son analyse des problémes de l'immigration extra europpéenne (et en particulier maghrébine) avant la prégnance des problemes de l'islam et de l'islamisme en france

Pour donner une idée de son travail, un (petit) extrait

a écrit :Une vie de travailleur immigré, qu'est-ce que c'est ? Pour répondre à cette question, en toute connaissance de cause, il faut, dans un premier temps, l'avoir vécue intensément et, comme on dit, " sans trop y réfléchir " ; il faut aussi que, à la faveur de quelques circonstances propres à favoriser la distanciation, le décès des parents l'émancipation des enfants, garçons et filles, la maladie, l'accident de travail, la préretraite et la retraite, autant d'occasions d'éprouver la vacuité d'une existence qui n'a de sens que par le travail, se soit constituée peu à peu cette disposition particulière qui permet de " se tenir à l'écart de la vie et de ses mensonges ", c'est-à-dire de ses vanités, formule quasi rituelle de la sagesse traditionnelle, ici employée au sens plein : " suspendre (sa) vie pour la regarder comme elle fut ", la dérouler devant soi comme un objet d'observation, auquel on appliquerait précisément toute la puissance de réflexion dont l'expérience acquise au long de cette vie a doté ceux qui ont le souci de " se connaître et de connaître la vie en dépit de ses tromperies (ghadra : le piège, la trahison)".

Abbas, qui parle en ces termes, est de ceux-là. Ancien ouvrier, aujourd'hui en retraite, d'une grande entreprise industrielle de la région parisienne, il est, à sa manière, un intellectuel. Plus que les indications, brèves et allusives, qu'il donne sur ses origines sociales ("mon père n'était pas fait pour être fellah"... "mon grand-père était le lettré de la famille, il a toujours vécu du Coran"), c'est tout son discours qui en apporte la preuve, et en particulier, cette sorte de distance à l'égard de soi-même qu'il appelle douloureusement " le divorce d'avec moi-même ". Associant l'expérience directe longuement éprouvée de la condition d'immigré et la posture réflexive qui permet d'élaborer, pour soi-même d'abord, sa propre expérience, de la soumettre à un examen critique et, plus rare encore, de la communiquer aux autres, sur le mode de la narration en apparence la plus ordinaire (comme ici), il échappe à l'alternative ordinaire de l'expérience muette et du discours vide sur une expérience inaccessible (le monde de l'immigration et l'expérience de ce monde sont sans doute parfaitement fermés à la plupart de ceux qui en parlent). Avec lui, l'enquêté et l'observé se fait enquêteur et observateur de lui-même, la présence de l'enquêteur "professionnel" n'étant que l'occasion attendue de livrer à haute voix le produit longtemps réfléchi et mûri (" j'ai bien réfléchi à tout cela... Plus exactement, je n'arrête pas de réfléchir, de tourner et de retourner toutes ces questions au fond de moi ") de son enquête sur lui-même. Produit qui n'est pas loin de s'identifier à celui de la science dans la mesure où l'enquêteur et l'enquêté, ayant le même intérêt à l'enquête qui les réunit, s'accordent, sans concertation préalable, sur la problématique, l'enquêté se posant lui-même les questions que l'enquêteur aimerait lui poser.

Comment accède-t-on à cette capacité de "s'oublier soi-même" comme dit l'intéressé, pour mieux "se souvenir de soi" ? C'est encore dans la conjonction de certaines caractéristiques sociales, et en particulier dans la relation, fort peu commune en cette région de très forte et très ancienne émigration vers la France, que la famille de Abbas entretient avec le fait d'émigrer, qu'il faut rechercher le principe du désenchantement profond qui incite au retour sur soi. Les conditions de ce jour, pour pouvoir être supportées, incitent à reporter le regard sur le cheminement qui y a conduit, depuis le fameux " premier jour ", lieu de la "malédiction " initiale, et à en reconstituer la genèse sociale et à en donner une manière d'explication ; mais à l'inverse, les conditions d'hier, qu'on se plaît à rappeler, portent à adopter sur la situation d'aujourd'hui le point de vue critique qui est annonciateur de la lucidité des propos sur sa trajectoire personnelle (qui est aussi une trajectoire collective) et, surtout, de l'effet de libération que produit le travail d'auto-analyse et d'aveu de soi à soi-même. Aveu de l'état de crise, auquel a abouti cette " génération "" d'immigrés dont on ne peut déjà parler qu'au passé. "Plus rien n'est aujourd'hui comme on pensait". Cette "génération" vit dramatiquement la rupture radicale avec l'état antérieur, qui n'est pas si lointain, et que l'éveilleur des consciences qu'est Abbas, qualifie rétrospectivement d'" état de sommeil " ("nous étions endormis"), d'"état d'engourdissement". Conscient de tout ce qui le sépare du commun des immigrés, ses contemporains, dont iI partage par ailleurs - il insiste sur cette communauté de destin - toute la trajectoire et toutes les conditions de vie, il les appelle à plus de vigilance ; il les invite à une manière d'"éveil" (fayaq). Croyant avoir maîtrisé sa situation et assumé sa "vérité", il aimerait que tous partagent la "vérité" qu'il leur propose et que tous travaillent à produire leur "vérité", à en finir avec tous les masques et toutes les dissimulations que l'immigration exige de tous pour pouvoir être acceptée. L'exercice n'est pas facile, c'est une épreuve extrêmement douloureuse, même si tous savent que cette révision déchirante est la condition de leur survie, de leur résistance à l'anéantissement qui les menace du fait des changements qui se produisent dans leurs conditions de vie et surtout dans la représentation qu'ils se sont habitués à donner d'eux-mêmes et de leur état d'immigrés. Abbas se sent en quelque sorte prédestiné à ce rôle d'éveilleur des consciences. il a un sentiment très aristocratique de sa distinction qui l'incline à une certaine commisération ("ils sont à plaindre", "il faut leur ouvrir les yeux (...), mais ils refusent") à l'égard des autres qui se refusent à l'espèce d'ascèse qu'il leur propose non seulement par ses actes mais aussi et surtout par ses paroles. Tout son entourage, jusque dans sa propre famille, le regarde comme une exception et éprouve à son égard à la fois l'admiration, le respect et la fascination, et aussi l'agacement et l'irritation, que suscite toute exception. Consulté par tous, les proches et les moins proches, entouré souvent d'une nombreuse assistance qui vient l'écouter (on l'appelle cheikh, c'est un sage), il s'est fait une réputation de "solitaire" et il se replie presque ostentatoirement, même au sein de sa famille, dans un "isolement" à la fois feint et réel que l'inactivité n'a fait que renforcer.

Louis
 
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Message par Louis » 05 Déc 2006, 18:00

sur le fait qu'il y ait deux fils sur la discussion, je n'y suis pour rien Je voulais surtout distinguer la discussion sur l'interet de la pétition "pro antilibérale" et l'intéret (éventuel) de bourdieu pour le marxisme. La premiére question a été vite réglée...

Sinon, qu'est ce tu veux dire ? Que bourdieu ne change pas le marxisme en profondeur, que ça ne change pas les conceptions que nous pouvons en avoir ? Mais c'est évident (et je n'ai jamais dit que tel était le bénéfice des traveaux de Bourdieu) Tout ce que j'ai dis, c'est que lui et quelques autres traitaient de mécanismes qui n'existaient pas du temps de Marx/engels/lénine/trotsky, et qu'on pouvait les "transposer" (parce qu'ils n'ont rien de "marxiste") dans NOTRE théorie marxiste

Sinon, pour moi, la seule façon d'"enrichir" en profondeur les conceptions de marx, c'est pas une discussion "intellectuelle", mais simplement de réussir une révolution (ce qui n'est pas facile, c'est vrai). Lénine et Trotskyauraient pu discuter des années des théses oposées sur la construction du parti ("nos taches politiques" et "que faire") mais "la vie a tranchée"
Louis
 
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Message par Louis » 05 Déc 2006, 21:23

Je l'ai déja dit (mais ça se discute) : qui dit sujet nouveaux, dit nouvelles méthodes et nouveaux concepts Mais je crois (cela dit je peut me tromper) que les "nouvelles méthodes" et les "nouveaux concepts" qu'a trouvé Bourdieu sont assez intéressant Alors que pour prendre un exemple qui m'intéresse au plus haut point, je ne crois pas qu'il y ait de "nouvelles méthodes" et de "nouveaux concepts" dans la critique des média Ce qui n'empéche pas (et notemment ici) de retrouver par exemple des critiques d'Acrimed (pas que je pense du mal d'acrimed, mais je ne pense pas qu'ils aient une élaboration théorique a la hauteur de leur ambition)
pourtant, Acrimed n'est pas plus marxiste ou révolutionnaire que Bourdieu...
Louis
 
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Message par piemme » 06 Déc 2006, 11:10

Je n'avais pas vu ce fil ; je prends donc le train en marche...
a écrit :Louis : Soit selon moi on considère le marxisme comme un dogme, qui s'écroule dès qu'on modifie une virgule, soit c'est une théorie vivante, en marche, qui incorpore donc de nouvelles approches et de nouveaux moyens.
a écrit :Louis : qui dit sujet nouveaux, dit nouvelles méthodes et nouveaux concepts
On veut bien conserver vivant le marxisme, mais pour faire dessus des expériences au grè des transformations du capitalisme. Je ne sais si c'est alors encore du marxisme : à force de le faire muter sous prétexte de le moderniser, comme du reste se sont employer à le faire tant de sociologues et de philosophes contemporains, le marxisme se transforme mais risque, par les temps qui courent, de devenir assez monstrueux...

a écrit :Louis : la télévision est devenue un moyen de diffuser de l'idéologie que ni marx ni engels ni lénine ni trotsky ne connaissaient...
Le point commun de l'ensemble des philosophes et des sociologues "critiques" (on dit aujourd'hui "critiques" à propos de ce qui n'est pas "dominant" ni marxiste), c'est de considérer, non sans une certaine fascination, que les rapports des hommes au monde dans lequel ils vivent sont dictés par l'idéologie ; qu'elle est, autrement dit, la condition principale de reproduction des rapports sociaux. Pour Marx, au contraire, l'idéologie exprime les conditions objectives de la vie sociale : l'idéologie ne vient donc pas de l'extérieur (des médias, par exemple) pour construire le monde tel qu'il est ; c'est le monde tel qui est qui s'exprime dans la conscience des hommes à une époque déterminée (et a fortiori dans le discours des médias). Au final, cette interprétation matérialiste de l'idéologie pose le pb en ces termes : pour changer le monde, il importe de renverser les rapports de production existants. Ceci, sociologues et philosophes, aussi critiques soient-ils, ne le disent pas. Plus précisément, ils disent l'inverse ; à l'instar de Bourdieu et de tant d'autres, ils disent, entre autres choses, que la changement passe par une prise de conscience des journalistes, ou plus généralement, par la destruction des "mythes qui habillent l’exercice du pouvoir et perpétuent la domination" (dixit Bourdieu). C'est de l'idéalisme, caractéristique de l'idéologie de notre temps.

a écrit :Louis : Je n'ai jamais dit qu'on devait prendre ce que disait bourdieu comme agent comptant, j'ai dit qu'on devait voir la dedans ce qu'il y avait de scientifique pour s'en inspirer dans notre façon de penser et d'intervenir vis a vis de ces "nouveaux problémes"
Bourdieu divise la société en ensembles, partiels, horizontaux et relativement autonomes de "champs" ; à l'intérieur de ces "champs", les "acteurs" s'intègrent, s'adaptent en adoptant des "dispositions" qui, dans la durée, vont s'incarner dans ce que bourdieu nomme "l'habitus" ; contre cet habitus, incapable de s'opposer à la "violence symbolique" et qui plombe la perspective du changement social et de transformation des "contraintes", il plaide pour une prise de conscience ; cette prise de conscience de provient pas de la lutte de classe ni de l'apport, en cette circonstance, des militants communistes, mais de la sociologie, c'est-à-dire de quelques universitaires bien intentionnés et plus clairvoyants que la moyenne. Evidemment, je caricature, mais je ne vois pas ce qui est susceptible ici d'aider les militants révolutionnaires d'aujourd'hui et de demain à comprendre les "nouveaux pbs" (si tant est qu'il existe véritablement de "nouveaux" problèmes dans un capitalisme qui, société de l'information ou pas, n'en finit pas de pourrir...).

piemme
 
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Message par Louis » 07 Déc 2006, 01:19

a écrit :On veut bien conserver vivant le marxisme, mais pour faire dessus des expériences au grè des transformations du capitalisme. Je ne sais si c'est alors encore du marxisme : à force de le faire muter sous prétexte de le moderniser, comme du reste se sont employer à le faire tant de sociologues et de philosophes contemporains, le marxisme se transforme mais risque, par les temps qui courent, de devenir assez monstrueux...

J'ai déja dit mon avis personnel (qui vaux ce qu'il vaux, c'est a dire pas grand chose) sur cette question : pour moi le marxisme incorpore des objets nouveaux mais il mutte que par une seule opération : la révolution. La plus grande mutation qui a été apportée au marxisme, c'est lénine Et certainement pas parce qu'il était un universitaire distingué (mais c'était pas non plus un imbécile) mais parce qu'il a dirigé le parti au centre d'une révolution qui sert toujours de référence et d'objet d'étude Je suis désespérément pour cette question d'un matérialisme grossier : la preuve du pudding, c'est qu'on le mange.

La question de bourdieu est tout autre On en a pas besoin pour faire "muter" le marxisme (ou alors il faudrait me montrer comment il a mené une révolution d'une ampleur comparable a la révolution russe) mais plutot parce qu'en tant que scientifique, il a trouvé des choses qui sont susceptibles de nous intéresser nous révolutionnaires

D'ou la question de savoir ce qu'il y a de "scientifique" dans ce qu'il a étudié, et ce qui relève de l'idéologie bourgeoise.... C'est pour ça que je pose la question uniquement en des termes de scientificité, et plus précisément dans cette rubrique

Mais évidemment on peut se poser la même question pour d'autres sociologues, des historiens, des ethnologues, etc etc

Ce qui est clair, c'est que cela place les "sciences humaines" sur un autre registre que les sciences "exactes". Si on étudie un physicien, cela ne va rien changer a notre vision du monde politique... Les sciences humaines, de ce point de vue, sont différentes


Louis
 
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Message par piemme » 07 Déc 2006, 12:06

A la définition du "matérialisme" sur Wikipédia (trouvé par hasard), on peut lire ceci :
a écrit :Pierre Bourdieu [...] prolongera la notion de capital pour la rendre plus apte à rendre compte des rapports sociaux et luttes entre groupes sociaux. Leurs travaux montrent que si le matérialisme historique d'origine marxiste est une grille d'analyse puissante et demeure incontestablement une avancée spectaculaire dans l'étude économique et sociale, il demeure incomplet car négligeant tout facteur ne relevant pas directement de la possession de capital économique. C'est ce qui amènera Pierre Bourdieu a qualifier le matérialisme marxiste de matérialisme "court" ou "réducteur"  :nono2:
J'ignore d'où est tiré cette appréciation de Bourdieu... Bourdieu dit en tous les cas :
a écrit :Marx a évacué de son modèle la vérité subjective du monde social contre laquelle il a posé la vérité objective de ce monde comme rapports de forces. Or, si le monde social était réduit à sa vérité de rapports de forces, s’il n’était pas, dans une certaine mesure, reconnu comme légitime, ça ne marcherait pas. […]. La représentation subjective du monde social comme légitime fait partie de la vérité complète de ce monde
ou : il faut inclure "dans le réel la représentation du réel". :hmpf:
"En des termes de scientificité", est-ce là une remarque qui soit susceptible de "nous interésser, nous, révolutionnaires" ? Doit-elle nous interpeller ? Nous faire douter un tantinet ? Ou bien prouve-t-elle que Bourdieu est passé à côté de l'essentiel de Marx et qu'il n'a rien compris à sa théorie de l'idéologie ? Ce qui serait, pour nous révolutionnaires, pas le moindre de ses défauts... Car si tel est le cas, que peut nous apporter Bourdieu, sur le plan théorique, pour comprendre "la domination" ?
En dehors de quelques descriptions précises, et sans doute utile à connaitre : rien.
piemme
 
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