J'ai comme l'impression que la LO est néanmoins moins catégorique que Canardos...
a écrit :Lutte Ouvrière n°1626 du 10 septembre 1999
Les agriculteurs victimes du capital
José Bové, dirigeant de la Confédération paysanne, est enfin sorti de prison plus de trois semaines après y être entré. Les 105 000 francs de caution exigés par la justice ont finalement été déposés auprès du tribunal, collectés dans son entourage mais aussi, pour un tiers, dans les milieux agricoles américains. Ces derniers voulaient ainsi marquer leur solidarité avec leur confrère d'outre-Atlantique, même si les agriculteurs français ont manifesté contre des McDonald's, pris comme symbole des intérêts américains.
José Bové avait été emprisonné pour avoir participé à la mise à mal du chantier de construction d'un McDonald's à Millau, pour protester contre la décision des autorités américaines de taxer lourdement l'importation de produits agricoles français. La décision américaine venait en représailles au refus de la Communauté européenne d'importer du boeuf américain traité aux hormones.
Cette libération ne marque évidemment pas la fin des manifestations et encore moins du mécontentement des agriculteurs. Leurs problèmes demeurent. Les agriculteurs se retrouvent livrés à ceux qui font la loi dans toute la société : les banques, en l'occurrence essentiellement le Crédit Agricole, auprès desquelles ils s'endettent pour s'équiper ; les sociétés de transformation ou de distribution, pour lesquelles ils produisent sans avoir de véritable garantie que leurs investissements, leur travail soient pris en compte. Car ce sont les agriculteurs qui prennent les risques en travaillant pour un marché qu'ils ne contrôlent absolument pas et dont ils subissent de plein fouet les dérèglements.
A l'heure actuelle, à l'initiative de la Confédération paysanne et de la FNSEA, les manifestations se poursuivent, contre les grandes surfaces plus encore que devant les McDonald's. Les agriculteurs protestent contre la chute des cours du lait, des fruits et des légumes d'une part, et d'autre part expriment leur crainte devant la perspective du prochain sommet de l'Organisation mondiale du commerce, prévu pour novembre prochain, aux États-Unis.
Dans le domaine laitier, les producteurs sont en conflit avec les transformateurs qui leur imposent une baisse de 5,4 centimes par litre pour le troisième trimestre de cette année. Ils restent à la merci des industriels de la transformation comme Besnier ou Lactalis, maîtres de faire varier les prix auxquels ils achètent le lait en fonction de leurs impératifs commerciaux, c'est-à-dire en fonction de la situation du marché.
De leur côté, les agriculteurs, qui produisent des fruits et des légumes sont confrontés à des géants de la distribution qui font la loi. Le problème dans ces secteurs, ce n'est pas la surproduction, mais le fait que les distributeurs se servent de leur position dominante pour imposer aux producteurs les prix les plus bas possible. D'où la colère des agriculteurs, manifestant contre Carrefour et autres Leclerc, déversant les tonnes de fruits qu'on ne veut pas leur acheter à un prix permettant de vivre, déposant des trains de chariots de supermarchés au domicile de députés ou de sénateurs, bloquant des entrepôts de Promodès comme à Saint-Brieuc et s'adressant parfois, mais trop rarement, à la population pour distribuer leur production ou la vendre à un prix qui n'a rien à voir avec celui auquel on la trouve dans les grandes surfaces.
Dans tous ces conflits, les agriculteurs, et surtout les moins aisés d'entre eux, ont en face d'eux des capitalistes de l'industrie agro-alimentaire. Ils affrontent les représentants du grand capital dans le monde agricole, qui entendent faire des profits avec les produits de leur travail comme d'autres font du profit avec le travail des ouvriers et des employés de l'industrie. Et pour ce qui est de la grande distribution ou des usines de transformation, les Promodès, Nestlé et autres Entremont exploitent leurs ouvriers et employés autant, sinon plus, que les agriculteurs dont ils achètent les produits.
La FNSEA demande un arbitrage du gouvernement français pour défendre les agriculteurs contre " le terrorisme commercial " des grands distributeurs ou des grands transformateurs. Mais cela ne peut rien changer à la situation. Le gouvernement peut intervenir en arbitre le temps de laisser passer l'orage, mais il ne peut et surtout ne veut pas remettre en cause ce système qui repose sur la loi des marchés, fondée sur les rapports de force entre puissances économiques.
Dans ces conflits, les intérêts des producteurs paysans rejoignent ceux de tous les exploités de cette société. Les solutions et les alliés sont à rechercher, non pas du côté des gouvernants, mais du côté des travailleurs.
Lucienne PLAIN
a écrit :Lutte Ouvrière n°1701 du 16 février 2001
Génétique : un curieux front commun pour entraver la recherche scientifique
Faut-il interdire la recherche scientifique sur certains sujets ? C'est la question qu'ont posée ces jours derniers deux événements apparemment sans aucun rapport entre eux : les propos de Chirac se déclarant hostile à toute recherche sur le clonage humain à but thérapeutique, et le procès de Montpellier, au cours duquel José Bové devait s'expliquer sur le saccage, en juin 1999, d'une serre du Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) dans laquelle était cultivé du riz transgénique.
Chirac et le clonage humain à visée thérapeutique
La prise de position de Chirac relève sans doute plus de la volonté de s'opposer à un projet de loi envisagé par Jospin que de ses propres convictions philosophiques. Il y a si peu de désaccords entre la droite et le gouvernement de la gauche dite "plurielle" en matière de politique économique et sociale, que les futurs rivaux pour les élections présidentielles de 2002 doivent bien rechercher ailleurs des différences. Mais même si Chirac a pris soin de déclarer qu'il s'opposait aux recherches sur le clonage à but thérapeutique (c'est-à-dire destiné à produire des cellules génétiquement semblables à celles d'un malade, pour suppléer l'absence ou la défaillance des siennes propres), parce que cela ouvrirait la voie au clonage reproductif (se donnant le but de fabriquer une copie génétiquement conforme d'un individu), ses propos ne pouvaient que plaire à la frange la plus réactionnaire de son électorat, à tous ceux qui prétendent, en vertu de leur vision religieuse des choses, qu'un embryon humain, dès le premier stade de son développement, est un être humain à part entière. C'est-à-dire, pour ces gens-là, doté d'une "âme éternelle".
Cela nous ramène vingt-cinq ans en arrière, quand une grande partie des députés de droite se déclarait, pour les mêmes raisons, hostile au projet de loi défendu par Simone Veil, légalisant enfin le recours à l'interruption volontaire de grossesse.
Dire qu'il s'agit de ne pas laisser se développer des techniques susceptibles de permettre le clonage reproductif chez l'être humain (clonage qui serait effectivement totalement dépourvu de sens et d'intérêt) n'est en effet qu'un piètre prétexte, puisqu'on pourrait en dire tout autant du clonage de certains animaux, qui peut au contraire présenter un grand intérêt pour la recherche scientifique, ou la production de certains médicaments.
La confédération paysanne et la recherche génétique
Il n'y a en apparence rien de commun entre la fraction la plus réactionnaire de l'électorat chiraquien, et les leaders contestataires de la Confédération paysanne. Pourtant, la mise à sac de la serre du Cirad allait bien au-delà de la dénonciation de l'utilisation des OGM, et elle posait elle aussi le problème de l'interdiction de la recherche scientifique dans certains domaines.
Il y a, dans le grand public, une crainte de l'utilisation des organismes génétiquement modifiés, non pas d'ailleurs dans tous les domaines, mais essentiellement dans celui de l'alimentation.
Quasiment personne ne dénonce le fait que les scientifiques aient "génétiquement modifié" des bactéries, pour leur faire produire par exemple une copie conforme de l'insuline humaine, bien moins susceptible d'entraîner une intolérance que l'insuline de porc, ou une hormone de croissance ne risquant pas, comme celle obtenue à partir d'hypophyses de cadavres, de véhiculer avec elle virus ou autres prions. Mais par contre la présence, dans l'alimentation, de soja ou de maïs transgénique crée incontestablement des craintes. Que celles-ci soient justifiées ou non, c'est de toute manière le droit des consommateurs de savoir ce qu'il y a dans leur assiette. Comme c'est évidemment aussi le droit de tous ceux qui pensent qu'il y a des risques à répandre dans la nature des graines génétiquement modifiées (que ce risque soit réel ou pas), de réclamer qu'on prenne auparavant le temps d'étudier tous les inconvénients possibles de ces procédés, et qu'on ne cède pas à l'impatience des trusts de l'agro-alimentaire avides d'augmenter leurs profits.
Mais l'opération menée en juin 1999 contre le laboratoire du Cirad allait bien au-delà de cela, et derrière cette "action directe", se profilaient des idées qui n'avaient rien de progressistes. Il suffit, pour s'en convaincre, de lire les deux pages d'interview de l'un des co-accusés de José Bové au procès de Montpellier, René Riesel, publiées dans le quotidien Libération des 3 et 4 février 2001.
Une argumentation réactionnaire
René Riesel, tel que le présente Libération, a été secrétaire national de la Confédération paysanne de 1995 à 1999. Cet ancien étudiant de Nanterre, membre de l'Internationale situationniste dans les années qui ont suivi 1968, s'est reconverti dans l'élevage des moutons en Lozère. Ses propos ne reflètent peut-être pas exactement ce que pense la Confédération paysanne, qu'il a quittée l'an dernier. Mais il était néanmoins l'un des participants, au côté de José Bové, lors d'une action de la Confédération paysanne qui allait dans le sens de ses prises de position. Il a déclaré à Libération, selon ce journal : "Ma critique de la techno-science est effectivement radicale : recherche publique, recherche privée, peu importe, quand ces gens, littéralement, ne savent pas ce qu'ils font, bricolent - sans en avoir de leur propre aveu, la moindre compréhension théorique - des chimères génétiques aux effets imprévisibles." Qu'un certain Pasteur ait en son temps "bricolé", "sans en avoir la moindre compréhension théorique", un vaccin contre la rage, ne saurait ébranler notre philosophe, qui poursuit : "Le sabotage contre le Cirad était une attaque frontale contre des recherches publiques, afin de casser le mythe selon lequel une recherche contrôlée citoyennement pourrait être régulée : il faut commencer par comprendre que cette technologie est par essence incontrôlable. Le fameux "principe de précaution" dont on parle tant, nous l'appliquons, de la seule manière dont il peut l'être".
Ce que Riesel rejette, ce n'est d'ailleurs pas seulement la recherche en génétique, c'est tout ce qu'a apporté le développement économique des deux derniers siècles : "L'industrialisation est depuis la "révolution industrielle" en Angleterre une rupture fondamentale avec l'essentiel du processus d'humanisation. Sans civilisation paysanne, c'est la civilisation tout court qui se défait, on le constate aujourd'hui. Et la signification historique de l'industrialisation, sa vérité profonde devenue manifeste au XXe siècle, c'est la destruction : avec Auschwitz et Hiroshima, on a les deux fonts baptismaux sur lesquels a été portée l'époque contemporaine."
La barbarie nazie ne serait donc pas une conséquence des choix de l'impérialisme allemand, ni Hiroshima due à la politique de l'impérialisme US, tout cela résulterait de "l'industrialisation". Si l'on comprend bien notre philosophe, la solution de tous nos maux serait de revenir à la société paysanne du XVIIe siècle. Le problème, c'est qu'à cette époque-là, la terre comptait moins de deux milliards d'habitants, et que même les pays les plus riches connaissaient des famines périodiques. Faudrait-il demander à quelques milliards de nos citoyens de se faire hara-kiri pour que notre planète puisse renouer avec "l'humanisation", telle que la conçoit l'ancien secrétaire national de la Confédération paysanne ?
Comme quoi, être contestataire n'est pas incompatible avec le fait d'être aussi socialement réactionnaire qu'un président de la République de droite.
Au risque de nous faire traiter une fois de plus de "ringards", nous continuons à penser que ce n'est pas dans un retour à un passé plus ou moins mythique, mais dans une réorganisation socialiste de l'économie, que les hommes du XXIe siècle pourront trouver des solutions aux problèmes de leur temps.
Daniel MARTI
a écrit :Lutte Ouvrière n°1728 du 31 août 2001
Opération anti-OGM : si seulement en fauchant le maïs transgenique on fauchait aussi les profits des multinationales...
Après avoir arraché des plants de maïs transgénique dans le Gard, des militants anti-OGM d'Attac, des Verts et de la Confédération Paysanne - le syndicat paysan dirigé par José Bové - ont détruit de nouveaux champs de maïs transgénique, dans la Drôme et dans le Gers.
Les plants de maïs étaient expérimentés en plein air pour le compte de deux géants de l'agro-alimentaire, la firme américaine Monsanto et la firme française Biogemma, dont l'actionnaire principal est Limagrain, quatrième semencier mondial.
On peut tout à fait comprendre les inquiétudes de ceux qui dénoncent les conséquences pour la santé publique de la façon dont sont menées certaines recherches agricoles. Dans ce cas précis, des manifestants contre les OGM ont expliqué que la dissémination incontrôlée des semences de maïs transgénique entraînait un "risque de pollution génétique", dont personne ne peut dire en l'état actuel des connaissances s'il ne serait pas nuisible.
L'inquiétude apparaît d'autant plus justifiée que les recherches visent avant tout à conquérir des marchés ou à les assurer face à la concurrence internationale. Monsanto a d'ailleurs utilisé le résultat de recherches antérieures pour rendre stériles certaines semences de plantes vivrières qu'elle commercialise partout dans le monde. Les fermiers sont alors contraints, chaque année, de racheter des semences et Monsanto s'assure ainsi de nouveaux et considérables profits.
Face à cela, Jean Glavany répond qu'il faut distinguer entre public et privé, que les plants de maïs qui ont été arrachés avaient reçu l'autorisation des ministères de l'Agriculture et de l'Environnement, qu'ils n'avaient donc aucun caractère dangereux. Le ministère de la Recherche ajoute pour sa part que la destruction des plants en question ne peut que freiner une recherche indispensable pour aider les pays sous-développés à sortir de la famine et de la malnutrition. Comme on aimerait pouvoir les croire.
Dans la société capitaliste, les organismes publics n'échappent pas au fonctionnement du système et restent au service des intérêts du grand patronat, c'est-à-dire des profits envisageables. Certes, bien des recherches menées peuvent avoir des retombées bénéfiques. C'est le cas, par exemple, pour l'amélioration des semences, rendues moins sensibles aux parasites et nécessitant donc moins de traitements et de pesticides ; ou encore de la production à partir de végétaux de molécules thérapeutiques peuvent être utilisées en médecine, contre certaines maladies.
De même, le développement de la productivité agricole pourrait non seulement soulager le travail de millions de paysans mais encore permettre l'abondance des aliments et supprimer les famines partout dans le monde. Seulement, entre les mains des multinationales de l'agro-alimentaire, l'augmentation de la productivité devient un simple instrument de la course au profit.
C'est évidemment le droit de ceux qui pensent qu'il y a des risques (réels ou pas) à répandre dans la nature des grains génétiquement modifiés, de réclamer qu'on prenne le temps de tout étudier auparavant sans céder à l'impatience des grandes firmes de l'agro-alimentaire qui ont, elles, bien d'autres motivations.
Mais une telle attitude ne doit aucunement impliquer le refus de la recherche. C'est pourquoi le problème n'est pas dans le refus ou la destruction des plants de maïs, de riz ou d'autres cultures transgéniques en France ou ailleurs, mais dans une réorganisation économique qui permettrait à l'humanité de contrôler toutes ses productions, y compris dans les domaines alimentaires, y compris dans celui de la recherche scientifique.
E. T.