Bonsoir à tous,
Après quelques hésitations, je me lance à mon tour dans ce débat, passionné et passionnant...et qui risque de durer encore longtemps, sauf si chacun part en boudant dans son coin, seul ou avec son clan !
Mais reconnaissons que pour un sujet comme celui-ci, c'était bien la moindre des choses...
Car en plus, contrairement à ce que disait Othar, des enjeux, il y en a, et non des moindres.
Dans ce pays, la psychiatrie publique est victime d'une attaque en règle de la part de la bourgeoisie au pouvoir, et cela avec une violence inouïe. A cette violence s’ajoute un silence des médias quasi total, comme d’habitude lorsque des horreurs en masse sont commises. Et rappelons que les malades mentaux sont, du fait même de leur maladie, encore plus démunis que tous les autres pour esquisser un début de réponse collective et obtenir quoi que ce soit.
Dans cette opération de charcuterie barbare, ce sont les plus malades et les plus démunis face à la maladie qui sont atteints, et ce de manière effroyable. Des coupes sombres dans les crédits, des dizaines de milliers de lits qui ont été fermés depuis vingt ans, et cela continue encore et encore. De toutes façons, qu'ils soient objectivement malades du cerveau ou non, les pouvoirs publics s’en foutent et renvoient les malades chez eux, ou à la rue, en dehors de toute structure d’accueil, d’hébergement, de soin. Et si vivre dans la rue rend fou, il y a aussi beaucoup de fous dans la rue, de psychotiques et de schizophrènes qui sont laissés seuls avec leur souffrance et qui finissent presque tous par mourir prématurément d'une manière ou d'une autre (suicide...).
Alors, pour commencer par le commencement, pour nous les communistes, ce qu’on réclame immédiatement et sans détours, c’est que ces attaques cessent, et que les malades soient pris en charge. Qu’on les accueille, qu’on les soigne comme il faut, aussi longtemps qu’ils le faut. On l’a déjà fait dans la LO, et on le refera.
Si la médecine les guérit définitivement, tant mieux pour eux, mais si, dans l’état actuel des connaissances, elle ne les guérit pas, qu’au moins elle les soigne et les soulage, à vie s’il le faut, envers et contre toute notion pourrie de rentabilité ou de coûts. Pareil que pour les cancéreux et tous les malades qui nécessitent des soins de longue durée.
On pourrait s’arrêter là, car pour l’instant, à la limite, on n’a pas à prendre forcément position sur la façon dont ceux qui souffrent de ces maux doivent être soignés. D’ailleurs, on ne l’a jamais fait dans notre canard favori, et pour cause. C’est pas notre boulot de militant communiste. On est un peu obligé, comme dans d’autres domaines, de faire confiance aux professionnels de la santé mentale et d’avouer qu’on n’y connaît le plus souvent vraiment pas grand chose. Et que d’ailleurs, l’essentiel d’entre nous ne travaillons pas au quotidien avec des malades mentaux, qu’ils soient ou non atteints au cerveau. Mais on a quand même le droit de réfléchir un peu, bien sûr, et de se poser quelques questions.
Revenons-en à la politique de santé mentale dans ce pays, car c’est ce qu’il devrait être le plus clair pour nous. Elle est dégueulasse, jusqu’à la nausée.
Et cette saloperie là, comme beaucoup d’autres, certains salauds la théorisent, lui fournissent des arguments, des justifications qu’il faut bien enrober du nom de « science » pour qu’elles passent mieux.
C’est ainsi que les nouvelles découvertes de la génétique, de l’épidémiologie, des neurosciences, de l’imagerie médicale etc.…ont bien souvent servi à justifier absolument n’importe quoi. En la matière, pas besoin d’avoir été formé aux concepts de la psychanalyse pour être délirant…et/ou dangereux !
C’est ce qu’a voulu dire Iko dans son post, en évoquant les études épidémiologiques qui évoquent la prédisposition génétique à l’homosexualité ou à l’intelligence, ou au crime aurait-il pu ajouter. Oui, il y a indéniablement en la matière des saloperies qui prennent l’apparence de la science, mais qui n’en sont pas, évidemment. Alors faisons très attention aux arguments statistiques et aux chiffres en la matière…(là-dessus, on peut lire avec profit « la malmesure de l’homme » de S.J. Gould).
Faire de la psychose une maladie du cerveau, c’est bien, c’est vrai… dans la discussion, mais en attendant, ça fait surtout sortir les malades de la psychiatrie de secteur et de toute sa tradition de diagnostic et de soin, l’une et l’autre influencée par le vocabulaire issu de la psychanalyse pour les confier à la neurologie…qui, n’ayant rien à leur proposer à l’heure actuelle, ne les prend pas en charge ! La saloperie, c’est de faire croire que les neuroleptiques peuvent remplacer toute autre forme de clinique et de soin, comme si les médicaments se suffisaient à eux-mêmes.
Tout ça, c’est du concret, c’est pas des débats entre nous, car en quittant la psychiatrie, les malades quittent d’abord un lieu de soin, et c’est la rue…et la fin, ou, au mieux, les longs séjours sous-médicalisés pour « handicapés ».
Donc on peut au moins reconnaître que les nouvelles théories et classifications utilisées pour parler des malades, les diagnostiquer et les soigner apparaissent dans ce contexte politique. Pas étonnant qu’ils soient très à la mode chez ceux que la bourgeoisie utilise pour sabrer les lits et les malades.
Les attaques contre la psychanalyse peuvent fuser de toutes parts, mais ce qui est attaqué dans la pratique hospitalière de la psychanalyse par certaines équipes psychiatriques, c’est surtout qu’elle réclame le droit de s’installer dans le temps si nécessaire, et que donc elle coûte cher ! Les thérapies comportementales ont au moins, indépendamment de leur scientificité supposée, l’avantage pour les comptables des structures de soin qu’elles sont courtes !
Dans un cas, on se propose de fournir au malade un asile, c’est à dire un lieu de repos et de soin dans lequel il pourra éventuellement souffrir moins en attendant mieux, et dans l’autre, on lui propose juste des séances de psychothérapie comportementale. A lui de se débrouiller pour vivre entre les consultations, à lui de se débrouiller quand c’est terminé, succès ou échec. Et comme les taux d’échecs ne sont pas négligeables, même grâce à ces nouvelles méthodes dites scientifiques et éprouvées par l’évaluation, on se retrouve dans la situation abominable que nous connaissons aujourd’hui : tout un tas de malades ne sont pas, ou plus, pris en charge. Quand la thérapie se termine sur un constat d’échec, et bien c’est terminé. On considère qu’on ne peut plus rien pour le malade.
En revanche, s’il a de la chance et qu’il évite la rue, le malade trouvera peut-être des structures disposées à l’accueillir quand même, et des soignants qui accepteront de recommencer un travail thérapeutique, lentement, patiemment là où les autres se sont avoués vaincus et ont rejeté le malade quand ils ne l’ont pas accusé en prime d’être un « simulateur ».
Alors pour pouvoir travailler et soigner les malades sur le long terme, il faut une structure où cohabitent des malades, où travaille du personnel (agents de service, cuisiniers, aides-soignants, infirmiers, psychologues, médecins…), où les familles viennent parfois rendre des visites, bref ou ça circule.
Nous voici donc dans un petit monde où chacun arrive avec ce qu’il est et où des choses se passent, comme dans n’importe quelle organisation. Mais le fait d’avoir la folie comme environnement quotidien fait que les choses deviennent singulièrement compliquées. Avec les fous, les choses ne se passent pas comme avec les gens qui ne le sont pas, par définition si l’on peut dire !
Il se passe donc souvent des choses dures, éprouvantes, pour le personnel et les patients, des choses dont on doit pouvoir parler, des abcès qu’on doit pouvoir crever, des constats de dysfonctionnement qu’on doit faire…Car mille questions se posent en permanence si l’on veut, simplement, faire bien son boulot de soignant. Par exemple, comment faire pour que tel patient accepte de prendre ses médicaments sans contraintes, pourquoi untel a tenté de se suicider, comment faire pour arriver à être sympa sans se faire bouffer par tel autre patient, comment on fait quand il y a de la violence, quelle attitude face à la question de la sexualité entre patients…
Et aussi à propos des choses qui marchent : pourquoi tel patient qualifié de catatonique s’est remis à bouger au moment où plus personne ne l’attendait…, pourquoi quelqu’un qui allait tellement mal se remet un peu debout, pourquoi untel qui n’a jamais rien fait de sa vie va se mettre à écrire, à peindre, à cuisiner, à tenir un bar… Pourquoi tel autre a piqué dans la caisse de ce même bar ? Etc…
Ces questions, on ne peut pas faire comme si elles n’existaient pas, car de toutes façons, elles se posent à tous ceux qui travaillent et passent une bonne partie de leur vie auprès des malades. Sauf quand des chefs petits ou grands, des ordures de toutes façons, décident que non, tout va bien et qu’on ne discute pas, ni les ordres, ni de son travail, ni s’il y aura un bar ou non…
C’est d’abord un constat qu’il y a du questionnement à plein de niveaux : que s’est il passé, que se passe-t-il, qu’est-ce qu’on fait, qu’est-ce que je fous là ? sont des questions récurrentes de la part des soignants, et qui traduisent leurs préoccupations., c’est la formulation d’une demande.
Bien sûr, on peut aussi bien sûr faire ça à la « va comme je te pousse », et penser que la sympathie ça suffit.. ou bien considérer qu’un appareillage théorique est nécessaire pour penser ce qui se passe, et faire que ça se passe mieux.
« Ce qui se passe ». Ca tombe bien, c’est une des définitions du transfert puisqu’on en cherchait une. Ni ce qui se dit, ni se qui se fait, mais ce qui se passe, et permet à ceux qui sont concernés d’aller mieux. Là, il y a une porte d’entrée pour les concepts de la psychanalyse à l’hôpital. Entre des individus, il y a nécessairement des choses qui se passent, et c’est mieux d’en être averti. Freud a ouvert une voie, il a « levé un couvercle » comme disait Trotsky, mais il a aussi dit quelques conneries, comme par exemple l’impossibilité du transfert dans la psychose. Mais Copernic aussi a dit des conneries. Mais ils ont énoncé quand même des vérités, dont ceux qui sont venus après ont eu besoin, et qu’il continuent d’actualiser, en faisant un aller-retour avec leur pratique de soin.
Parce que pendant que les neurobiologistes travaillent, d’autres travaillent aussi, avec leurs patients qui souffrent, et qui ont besoin de soins immédiatement.
Alors, tout ça pour dire que la question d’Iko sur la boîte à outils me semble parfaitement légitime. C’est même la seule question qui m’importe, en fait. Pour le reste, je fais confiance aux progrès de la science, mais de la vraie bien sûr, pas son Canada Dry comportemental, dont on pourra rediscuter, mais plus tard.
Bye et à bientôt.