je te ferai remarquer que c'est toi qui a utilisé le mot de problématique en disant
je répete ma question, en quoi une problématique est interessante si elle n'aide pas à résoudre le problème?
il est vrai que les réponses à un probléme ne t'interessent pas tu le dis toi meme....
comme tu dis dans une autocritique involontaire....
sur Einstein et la façon dont Latour prétend se servir de la théorie de la relativité pour justifier le relativisme, je te ferai remarquer que si tu m'accuses de ne pas avoir lu Latour ce qui n'est pas tout à fait exact car j'ai malheureusement lu outre les citations édifiantes de Sokal certaines de ses réponses et des articles qu'il a publié dans la recherche, toi, je te soupçonnes de l'avoir lu en diagonale, et de ne pas en avoir retenu le principal.
cette conception se reflète dans cette phrase de Latour que j'ai cité et que tu t'es bien gardé de commenter:
mais si tu avais vraiment lu Latour avec attention, tu saurais qu'il utilise la théorie de la realtivité pour la possibilté de l'existence de lois physiques indépendantes de l'observateur, en repreant pour la nième fois la vieille antienne antimatérialiste.
c'est oublier ce qui disait Einstein. Meme si plusieurs cadres de référence sont nécessaires
pour la problématique, réponse simple : parce que poser les "bonnes questions" c'est déja quelque chose en soi qui a de la valeur (et qui n'est pas donné, n'importe quel étudiant en sciences "exacte" ou "humaine" te le dirait) Ca ne garantit absolument pas d'obtenir la bonne réponse, mais c'est déja un petit (voir un grand pas) Heureusement (ou malheureusement) une recherche n'abouti pas obligatoirement (sinon, ce n'est pas une "recherche", mais de la compilation, ou un catalogue d'idées reçues), mais encore une fois, disposer d'une bonne problématique est un préalable indispensable...
a écrit :En effet Latour ne dit pas que la théorie de la relativité est sociale, mais personne les individus qui construisent une théorie scientifique le font à partir des représentations mentales et des connaissances de leur époque, et donc que cette construction a une dimension sociale, il dit qu'elle est "entièrement sociale" ce qui veut dire que l'observation de la réalité matérielle n'a joué aucun role ni dans son élaboration, ni dans sa validation
J'ai bien peur que tu n'ai rien compris a ce que Bruno Latour entend par "completement sociale" dans le texte de vulgarisation d'Einstein
("Daniel Fixari @ professeur a l'école des mines" a écrit :
Présentons tout d'abord la mention exacte faite du texte de B. Latour par A. Sokal dans son article. Il s'agit d'une des 129 notes de fin de texte, caractéristique de la méthode de persiflage de A. Sokal, dont je propose la traduction suivante : "Selon les ouvrages de référence traditionnels la relativité restreinte traite des transformations de coordonnées permettant de relier deux cadres de référence en mouvement relatif uniforme l'un par rapport à l'autre. Mais ceci est une simplification trompeuse comme Latour (1988) l'a montré : "Comment décider si une observation faite dans un train sur le comportement d'une pierre qui tombe peut être mise en concordance avec l'observation faite sur la même pierre depuis le quai ? S'il y a seulement un, ou même deux, cadres de référence, aucune solution ne peut être trouvée puisque l'homme dans le train affirme qu'il observe une ligne droite et l'homme sur le quai une parabole ... La solution d'Einstein est de considérer trois acteurs : un dans un train, un sur le quai et un troisième, l'auteur (énonciateur) ou un de ses représentants, qui essaie de superposer les observations codées que lui envoient les deux autres ... Sans la position de l'énonciateur (non explicitée dans le propos d'Einstein), et sans la notion de centres de calculs, l'argument technique d'Einstein n'est pas compréhensible ..."
Finalement, comme Latour le fait observer avec malice mais pertinence, la relativité restreinte se réduit simplement à la proposition selon laquelle : "Des cadres de référence de plus en plus nombreux peuvent être rendus accessibles, réduits, accumulés et combinés, des observateurs peuvent être délégués en de nouveaux points dans l'infiniment grand (le cosmos) et l'infiniment petit (les électrons), et les messages qu'ils transmettrons seront compréhensibles. Le livre d'Einstein aurait bien pu s'intituler : Nouvelles instructions pour faire revenir des voyageurs scientifiques à longue distance." L'analyse critique de Latour de la logique d'Einstein fournit aux non scientifiques une introduction remarquablement accessible de la relativité restreinte".
B. Latour a-t-il vraiment voulu critiquer la logique d'Einstein, faire oeuvre de vulgarisation (peu "accessible" a vrai dire au travers de cet extrait ...) ? Voyons les faits.
Un défi pour les sociologues non-latouriens
En fait de vulgarisation la seule que l'on trouve dans l'article de Latour est celle faite par Einstein lui-même dans "Relativity, the Special and the General Theory" (3), texte unique sur lequel porte l'analyse de l'auteur. Ce dernier souligne cette limite, mais elle ne lui semble pas trop grave pour son propos, et il mentionne le soin extrême qu'Einstein a pris dans la mise au point de son texte de vulgarisation. Quant aux lecteurs visés il s'agit explicitement de la seule communauté des sociologues des sciences, et particulièrement ceux qui sont attachés à l'idée que le contenu de toute science est entièrement social. B. Latour lance à ces derniers Einstein et les sciences les plus formalisées comme un défi.
Ce défi, il se le lance aussi à lui même : après le cas "facile" de Pasteur (4), où il a montré qu'au lieu de plaquer sur ce dernier des connaissances toutes faites sur le contexte social du XIXe siècle il fallait suivre dans les aspects techniques mêmes de son travail comment se forgeait un nouveau lien social, la tentation était grande de s'attaquer à la théorie de la relativité. Cette tentation était d'autant plus grande que le mot lui même évoque, avec le "relativisme", de longs débats en sciences sociales.
Cette tentative audacieuse et paradoxale est par ailleurs placée d'emblée sous le signe d'un principe de "symétrie" : qu'y a -t-il d'explicitement social dans le texte d'Einstein et pouvons nous apprendre quelque chose d'Einstein sur la façon d'étudier la société ? Pour obtenir cette symétrie il faut, selon B. Latour, redéfinir notre idée même du social, jusqu'à ce que ce dernier soit en phase avec le contenu même de la science étudiée et puisse interagir avec lui. Nous verrons plus loin ce que cela signifie concrètement.
Il ne s'agit donc pas de plaquer le langage des sciences sociales sur le langage de la physique, et B. Latour est sur ce point très clair : "Le travail d'Einstein n'est pas réductible à celui fait dans d'autres domaines par les économistes, les sociologues et les philosophes. Rien n'est dissimulé sous, reflété par, représenté au travers de, retrouvé en miroir, fait allusion à, dans son travail technique ... C'est à cause de son audace que des explications sociales et contextuelles essaient de s'introduire par effraction dans la physique. Einstein, dit-on, était un marginal immergé dans une culture et un milieu révolutionnaire, et ses positions politiques en pointe n'ont rien fait pour contredire ces explications sociales."
Apparemment, jusque là, on se trouve loin du subjectivisme dénoncé par A. Sokal. Tout cela ne serait-il qu'un malentendu ?
Le matériau de base de l'analyse est donc un texte, que B. Latour étudie d'abord avec les concepts abstraits mis au point par les sémioticiens, valables quel que soit le statut du texte, fiction ou science. Tout auteur, appelé "énonciateur", utilise les mêmes procédés de base : tantôt une "sortie du cadre", où l'auteur s'efface au profit d'un acteur délégué "ailleurs" dans l'espace et dans le temps, tantôt un "retour dans le cadre" où l'auteur, le je, revient sur le devant de la scène. Dans ces opérations, note B. Latour, Einstein s'amuse autant que n'importe quel romancier pour créer une impression de résistance, c'est à dire de réalité, par ce que les sémioticiens appelent le référent interne du texte.
Tous les textes construisent un référent interne mais certains choisissent de le faire en donnant l'impression que l'auteur possède des "documents" lui permettant d'appuyer ce qu'il dit. Et B. Latour affirme alors qu'il est possible de définir stylistiquement la littérature scientifique en suivant comment, au lieu de simplement faire allusion à des documents les auteurs les mobilisent dans le texte lui-même sous forme "d'inscriptions" (tableaux, graphiques, figures, diagrammes).
Cette façon de traiter la structure du texte d'Einstein avec la même grille d'analyse qu'un roman d'Agatha Christie (dont de nombreux extraits sont donnés par B. Latour) a a priori de quoi surprendre, et inquiéter un Sokalien. L'effet de réalité ne serait-il qu'une question stylistique ? En quoi est-ce fécond de faire ainsi abstraction de ce qui est dit et du projet de l'auteur pour se concentrer sur la structure ? Suivons B. Latour dans la suite de sa démonstration pour voir où tout cela nous mène.
Einstein et Latour : même regard ?
La particularité de la narration d'Einstein précise alors B. Latour n'est pas l'usage des sorties et des rentrées du cadre, c'est qu'il focalise l'attention du lecteur sur ces opérations elles-mêmes, et sur la façon dont nous pouvons définir le fait même qu'il s'agit d'un espace et d'un temps différents. C'est l'exemple, vu dans la citation faite par A. Sokal, des deux personnages, l'un sur le quai, l'autre dans le train, sortis du cadre par l'énonciateur Einstein. Ces deux personnages observent la chute d'une pierre, et ne constatent pas la même trajectoire : leurs points de vue sont a priori irréconciliables et également fondés. C'est la façon imagée d'Einstein de poser le problème de l'universalité des lois de la physique : ces dernières seraient-elles différentes pour des observateurs placés dans des cadres de référence différents ? Ceci nous conduirait alors au "relativisme" d'à chacun sa vérité.
C'est là qu'intervient le troisième personnage, l'énonciateur du récit, c'est à dire Einstein lui même, qui "délègue" les deux autres dans des cadres de référence particuliers avec des instructions très précises et impératives : se concentrer sur les indications d'une horloge et des marques sur une règle, et retransmettre par des signaux lumineux les "inscriptions" correspondantes à l'énonciateur qui essaye de les superposer.
C'est à cette opération de "délégation" que s'intéresse particulièrement B. Latour, en tant que sociologue des sciences : "Le personnage décrit par Einstein fait un travail très similaire à celui d'un anthropologue des sciences qui refuse de comprendre ce que les mots espace et temps signifient pour se concentrer plutôt sur le travail, les pratiques et les instruments. Comme tout constructiviste en sociologie des sciences, la première étape d'Einstein, dans ce texte, est de se ramener du monde de l'abstraction à celui des inscriptions ... Dans ce livre le jeu d'Einstein sur le temps et l'espace ne conduit pas aux considérations métaphysiques souvent suscitées par ses écrits, mais à une infra-physique d'une importance cruciale pour la sociologie des sciences ... Celle ci lutte contre les définitions absolues de la science, et essaye toujours de relier le mot réalité à des mises à l'épreuves dans des laboratoires particuliers ... Est-ce affaiblir le concept de réalité ? Non, en dépit des critiques qui nous sont faites Ä et, pour tout dire, de quelques unes de nos prises de position initiales, absolument pas ... En fait nous pourrions bien être les seuls à prendre ce concept suffisamment au sérieux."
Après ce vibrant, et convaincant, plaidoyer, le soupçon de sujectivisme pesant sur B. Latour semble cette fois définitivement s'éloigner. La pratique concrète des scientifiques pour construire les faits lui importe plus que les débats métaphysiques sur l'existence de la réalité.
L'étape suivante de la démarche d'Einstein, l'interprétation des signaux reçus des deux observateurs, du train et du quai, pour arriver à les superposer, est cruciale : elle pose en effet l'alternative entre relativisme, où rien ne peut distinguer les faits et les fictions, dans les récits d'acteurs indépendants, et relativité. Dans la relativité, les acteurs sont dépendants de l'énonciateur qui a le privilège de synthétiser les descriptions de toutes les "scènes" où il a délégué des observateurs. Leurs points de vue divergents se réduisent au sien. Les rapports reçus ne sont pas déformés : il suffit à l'énonciateur de les transformer pour rendre tous les cadres équivalents et aller librement de l'un à l'autre, être "omniscient".
La transformation est, en relativité restreinte, celle de Lorentz, dont les équations définissent le "paperwork" (selon l'expression de B. Latour) nécessaire et suffisant pour pouvoir superposer les rapports, et rendre ainsi à nouveau les lois de la nature "générales". Pour des cadres de référence accélérés, nous faisant passer de la relativité restreinte à la relativité généralisée, la transformation consiste à utiliser des variables gaussiennes, où le cadre de référence perd même sa rigidité, devient un "mollusque" de référence, selon l'image utilisée par Einstein. D'où ce commentaire de B. Latour sur l'audace d'Einstein : "Au diable les cadres de référence rigides et stables, pourvu que les observateurs délégués ne puissent prétendre avoir un point de vue privilégié, et qu'ils envoient de rapports qui ne soient pas déformés."
Libéralisme économique et relativité
Cette position privilégiée de l'énonciateur dans le texte d'Einstein évoque à B. Latour une problématique éminement sociale : "S'il existe de nombreux points de vue prétendant chacun être privilégié, aucun ne peut l'emporter ; si au contraire aucun ne peut être privilégié rien ne peut plus empêcher que l'un d'eux s'impose à tous les autres." Cet apparent paradoxe est en fait celui du libéralisme qui, en supprimant priviléges locaux et particularismes, a permis la domination du capital. Mais quel est en science l'équivalent du capital et de son accumulation ? C'est là qu'interviennent les concepts latouriens de réseaux et de "centres de calcul" ou encore "centres de capitalisation". Ces concepts, que nous allons développer, permettent, selon B. Latour, de montrer que les luttes contre les privilèges en économie ou en physique sont absolument les mêmes, et que leur rapprochement n'est pas que métaphorique (comme on serait effectivement tenté de le penser ...).
B. Latour rapproche le cas des deux observateurs délégués par la pensée par Einstein sur le quai et dans le train d'un exemple de construction d'un réseau d'observateurs des conditions météorologiques locales au xixe siècle, observateurs que le "centre de calcul" synthétisant leurs observations devait discipliner. C'est ce type d'exemples qu'il a voulu formaliser dans un cadre abstrait extrêment ambitieux : "J'ai proposé de considérer l'histoire des sciences comme celle de centres, en expansion grâce à une gestion de signes qui soient aussi mobiles, inaltérables, fidèles et combinables que possible. Leur circulation dessine des réseaux menant du centre (de calcul) aux cadres de référence qu'il se met à dominer. Ces réseaux sont en permanence réparés en cas de rupture, en maintenant des chaines métrologiques assurant l'équivalence des cadres de référence ... Le point fondamental de l'histoire de ces centres est qu'aucune distinction n'a à être faite entre économie, science, technique, ou même production artistique, dès lors que l'on s'attache à suivre la façon dont la gestion des signes est assurée ... De ce point de vue, il n'y a pas non plus de distinction à faire entre la pensée abstraite et les activités pratiques." Cette dernière assertion surprend alors que B. Latour s'attaque à une sociologie des sciences les plus formalisées. Einstein n'est-il pas l'exemple même de la pensée abstraite ?
Abstrait-concret
B. Latour nous fait remarquer que dans son texte Einstein passe sans arrêt du concret à l'abstrait, sans privilégier ce dernier, utilisant tous les niveaux de métaphores. Est-ce uniquement un procédé pédagogique, de vulgarisation ? En fait pour B. Latour le processus d'abstraction consiste simplement ici à rajouter ou enlever à chaque étape les détails qui sont jugés pertinents. D'où des expériences de pensée paradoxalement plus minutieusement décrites que l'expérience réelle de mesure de la vitesse de la lumière, réduite à un schéma. L'aisance avec laquelle Einstein passe d'un niveau à un autre illustre à nouveau pour B. Latour l'idée de réseau : "L'abstraction ne désigne pas un niveau supérieur de représentation mais une circulation rapide d'un registre à un autre ... un mouvement réversible qui préserve du sens dans le processus. Elle n'est pas au-dessus des opérations pratiques mais entre elles... Ce n'est pas une propriété de l'esprit mais une propriété des réseaux ... En remodelant aussi la notion d'abstraction, Einstein, dans ce texte, nous montre une façon de ne jamais quitter le terrain solide de l'infra-physique, même lorsque l'on rentre dans le royaume de l'abstraction."
Dans la vision de l'histoire des sciences de B. Latour, Einstein s'inscrit alors en parfaite continuité. Il n'est plus vu comme un révolutionnaire, mais comme un contributeur, certes décisif, au maintien à tout prix de la continuité des chaînes métrologiques du réseau, pour que ce dernier puisse continuer à s'étendre vers l'infiniment grand, et l'infiniment petit.
Dans le texte d'Einstein, note B. Latour, ce dernier n'appelle pas à une révolution mais nous présente un dilemme et propose la solution la plus simple pour en sortir. Apparemment il faut, pour maintenir l'universalité des lois de la physique, soit abandonner la loi de la relativité (du mouvement) soit la loi simple de la propagation de la lumière dans le vide. Or la loi de la relativité est, note Einstein, "naturelle, simple, et aucun fait expérimental ne l'a jamais contredite". Quant à la complication de la loi de la propagation de la lumière dans le vide, pour rendre compatible la constance constatée de la vitesse de la lumière avec la loi de la relativité, elle a abouti à des impasses (cf. les recherches sur "l'éther"). La situation semble donc sans issue ... Non, nous dit Einstein, il suffit d'abandonner l'idée d'universalité de l'espace et du temps pour faire sauter la contradiction apparente entre les deux lois et, "en s'accrochant fermement à elles, construire une théorie logiquement consistante".
Pour B. Latour, entre plusieurs maux Einstein a simplement choisi le moindre : "L'auteur n'appelle pas à un bouleversement de la physique mais à se débarasser de quelques obstacles mineurs, l'éther, la simultanéité, pour que la physique puisse continuer dans la même voie à plus grande échelle ... Etrange révolutionnaire, vraiment, qui sacrifie une croyance pour pouvoir construire une théorie rigide qui maintienne intacts deux des croyances auxquelles les physiciens tiennent le plus !" Et la phrase étonnante de B. Latour isolée par Sokal "sans la notion de centres de calcul l'argument technique d'Einstein n'est pas compréhensible" s'éclaire. "Voilà pourquoi Einstein préfère par dessus tout préserver la forme des lois naturelles dans toutes les transformations de l'espace, du temps et des observateurs" : le réseau du "centre de calcul" doit être préservé, ce qui dicte la façon de trancher le dilemme posé par la constance de la vitesse de la lumière.
S'éclaire aussi, pour B. Latour, sans faire appel à des considérations psychologiques, le paradoxe des positions "conservatrices" prises plus tard par Einstein : rejet de l'interprétation de Mach de la relativité restreinte, positions métaphysiques réalistes et absolutistes sur la relativité généralisée, combat contre la mécanique quantique. Cette dernière réintroduisait ce contre quoi Einstein avait toujours lutté : des observateurs indépendants et actifs, si actifs qu'ils influencent ce qu'ils observent. Le concept de centre de capitalisation, servi par des observateurs disciplinés, dessine en fait une place pour un personnage qui est un "Einstein-Dieu" atteignant sans problèmes l'essence de la réalité du monde. Inutile donc pour comprendre les positions d'Einstein de faire appel à des explications par le "contexte social" qui sont, selon Latour, l'équivalent en sociologie des sciences de l'éther pour la physique.
Sous le style, la science ?
L'article de B. Latour est certes assez touffu dans sa construction, et il se laisse souvent emporter par des effets stylistiques, le goût du paradoxe brillant et de la provocation. Mais cela contibue à l'agrément de la lecture, et, si l'on a la patience de suivre la construction progressive de son raisonnement, de s'habituer à son vocabulaire et à son mode de pensée, on ne peut que conclure que le persiflage de A. Sokal est dénué de toute pertinence. Rien dans le texte de B. Latour ne vient justifier une croisade anti-subjectiviste, rien ne vient en fait non plus contredire le fondement de la théorie de la relativité qui veut que, pour les lois de la physique, aucun cadre de référence n'ait de position privilégiée.
L'accent mis sur "l'infra-physique", le rejet des explications trop rapides de la science par le contexte social, le souci de décortiquer sans préjugés a priori les textes originaux, d'insister sur les limites de son matériau, caractérisent une véritable démarche scientifique. On peut dire la même chose de son goût évident, sinon un peu excessif, pour la recherche de formalisations conceptuelles les plus générales possibles. Ce goût le conduit parfois à des rapprochements et transpositions, stimulants mais qui ne sont pas totalement convaincants, tel celui entre libéralisme économique et réseaux socio-techniques. L'usage de la sémiotique pour analyser les textes scientifiques, sans vouloir le rapprocher de l'usage de la topologie par Lacan, occupe dans l'article une place sans commune mesure avec ce qu'il permet de dire finalement sur Einstein.
Concernant ce dernier, l'analyse de la façon dont il navigue entre l'abstrait et le concret est des plus intéressante, tout comme la mise en évidence du "classicisme" profond de sa démarche. Ce classicisme est-il à mettre en relation avec la structure en réseau de la société dans son ensemble, où flux de capitaux et d'informations scientifiques se répondraient, où les observateurs dociles des expériences de pensée d'Einstein renverraient aux corps disciplinés des analyses de M. Foucault ? C'est peut-être pousser le bouchon un peu loin dans l'abstraction généralisante structuraliste. On pourrait aussi bien dire qu'Einstein n'a fait qu'appliquer les "règles de l'art" de son métier de physicien théoricien, règles sélectionnées pour les succès qu'elles ont permis : si des faits obligent à compliquer trop une théorie, en multipliant les explications ad-hoc, chercher ce qu'il faut sacrifier dans la théorie, qui est souvent ce qui parait trop évident, pour retrouver une théorie simple et élégante incluant les faits nouveaux, puis tirer toutes les conséquences. B. Latour cherche lui aussi d'une certaine façon du général, contre-intuitif, mais il est évidemment moins aisé d'en tirer des conséquences ...
On peut suivre A. Sokal dans son souci de dénoncer des exploitations abusives de résultats scientifiques mal compris (5), de lutter contre la tendance à considérer, sans autre examen, tout auteur obscur comme profond. Mais le remède qu'il a choisi me semble potentiellement pire que le mal (et avoir de plus un effet boomerang en confortant les préjugés de certains qui voudraient que les physiciens sont tous plus ou moins des potaches aussi naïfs qu'arrogants, dénués d'esprit de finesse et de culture). En effet si A. Sokal a bien ensuite insisté sur les difficultés particulières des sciences sociales, sur le fait qu'il n'était pas compétent pour achever d'instruire sur le fond les procès qu'il avait intenté à divers auteurs de ces sciences, ce qui risque de rester, malgré lui, de son persiflage et du coup médiatique qu'il a constitué, c'est un approfondissement du fossé entre disciplines.
D'un projet, "de gauche", d'anti-subjectivisme, on glisse certes facilement à un effet, "de droite", d'anti-intellectualisme, obligeant alors à rappeler l'évidence que ce qui paraît obscur n'est pas non plus forcèment de la poudre aux yeux, que les textes, pour une polémique qui se veut scientifique, méritent mieux que la mise en scène d'extraits judicieusement choisis pour mettre de son côté les rieurs, mal informés, et qui du coup le resteront. Mais surtout, en pourchassant sur la scène publique les usages incompétents et vagues des sciences dûres faites par les sciences molles, on ruine la crédibilité de fécondations croisées, créatives "à la Feyerabend", c'est à dire par des voies parfois imprévues et "impures" (6).
En reprochant à B. Latour d'avoir confondu un (simple !) texte de vulgarisation d'Einstein (7) avec un véritable texte scientifique de ce dernier, on tend, alors que A. Sokal souhaite une meilleure diffusion de la culture scientifique, à décourager l'accès à cette dernière, et à laisser entendre que la sociologie des sciences ne peut être faite sérieusement que par les scientifiques eux-mêmes, ce qui me parait une proposition anti-scientifique. Tout comme est anti-scientifique la manipulation de citations de textes pour leur faire dire le contraire de ce qu'ils ont dit ou ce qu'ils n'ont pas dit, et irresponsable le fait de négliger les effets de l'arme du discrédit public dans les luttes, aussi concrètes, sinon plus impitoyables, qu'ailleurs, que se livrent les scientifiques entre eux.
et l'avis d'un éminent physicien (au moins aussi éminent que Sokal
("David Mermin" a écrit :Le point de vue de Liz
Ce qu'il y a de crucial dans le point de vue des sciences sociales se situe au niveau du rôle de l'observateur - le type qui veut savoir que l'homme qui se trouve sur le quai et celui qui se trouve dans le train ne disent pas la même chose, et qui se trouve dans une position propre à pouvoir comparer leurs histoires sans dire que l'un ou l'autre est dans l'erreur. Cette situation est analogue à celle du chercheur en sciences sociales qui observe la société. Ce qui est intéressant pour les chercheurs en sciences sociales, c'est que la position même de l'observateur n'a pas beaucoup d'importance, ce qui compte c'est qu'il soit capable d'observer de telle sorte qu'il n'y ait pas de poste d'observation "privilégié" ; mais il est nécessaire de pouvoir observer un peu plus que simplement le type qui se trouve dans le train ou celui qui se trouve sur le quai.
Si on ajoute que plusieurs énoncés absolus peuvent être dérivés des mêmes observations, vous obtenez une proposition "relativiste" un peu plus complexe - grâce à laquelle vous comprenez que, même si les choses peuvent apparaître différemment à partir de perspectives différentes, certaines choses restent les mêmes, et le boulot des sciences sociales est de découvrir ce que ces choses sont. Voilà ce que le relativisme culturel dans son sens anthropologique quelque peu archaïque veut dire - à savoir, qu'il existe certains codes de rationalité et une cohérence interne qui vaut pour toutes les cultures, quelqu'étranges ou irrationnelles puissent apparaître de l'extérieur leurs visions du monde.
Selon la lecture que j'en fais, il s'agit en réalité d'un argument très formaliste. Latour veut suggérer la possibilité d'une traduction des propriétés formelles de l'argument d'Einstein dans le langage des sciences sociales, pour voir en même temps ce que les chercheurs en sciences sociales peuvent apprendre sur la "société", comment ils utilisent ce terme et ce que les scientifiques "durs" peuvent apprendre sur leurs propres hypothèses. Il tente d'expliquer la relativité seulement dans la mesure où il veut en fournir une lecture formelle ("sémiotique") qui serait transférable à la société. Il est en quête d'un modèle de la réalité sociale qui serait à même d'aider les chercheurs en sciences sociales à gèrer leurs discussions - qui ont beaucoup à voir avec la position et l'importance de l'observateur, avec la relation entre le "contenu" d'une activité sociale et le "contexte" (pour employer ses propres termes), et avec les sortes de conclusions et de règles qui peuvent être tirées de l'observation.
Comme les questions dans ce champ sont souvent assez floues, l'argument reste un peu vague et suggestif. Cependant, je le lis comme un compte rendu bien plus destiné aux sociologues qu'aux scientifiques eux-mêmes - non pas comme une tentative d'expliquer la relativité à quiconque, mais comme une tentative de tirer quelques idées utiles de l'explication de la relativité telle qu'elle nous est offerte par Einstein dans son essai.
La perspective anthropologique d'Einstein
A cela j'ajouterai seulement que, bien que Latour ne soit pas intéressé avant tout par la relativité en tant que théorie physique, il y a des passages dans lesquels il appréhende cet aspect non seulement correctement, mais avec éloquence : "Au lieu de considérer des instruments (des règles et des horloges) comme des manières de représenter des notions abstraites comme le temps et l'espace, Einstein considère les instruments comme ce qui engendre l'espace et le temps. Au lieu d'un espace et d'un temps représentés à travers la médiation d'instruments, c'est l'espace et le temps qui ont toujours représenté la pratique humble et cachée consistant à surimposer des repères, des aiguilles et des coordonnées. Il faut dire que le personnage décrit par Einstein fait un boulot très semblable à celui d'un anthropologue de la science qui refuse de comprendre ce que "espace" et "temps" signifient, et qui se concentre plutôt sur le travail, les pratiques et les instruments. Comme n'importe quel constructiviste en sociologie des sciences, le premier geste d'Einstein dans son texte est de ramener les abstractions à des inscriptions et au dur travail de les produire."
Les deux premières phrases de Latour constituent un résumé exemplaire du noyau essentiel de la relativité. Ensuite, il établit un parallèle entre la déconstruction des notions d'espace et de temps par Einstein et l'approche du contenu de la science que nous proposent les chercheurs en sciences sociales. C'était en effet une convention parmi les scientifiques, enfouie si profondément dans leur culture qu'elle en devenait méconnaissable en tant que telle, que de considérer l'espace et le temps comme des entités objectives réelles mesurées par des horloges et des double-mètres. L'intuition profonde d'Einstein était que, bien au contraire, l'espace et le temps étaient des abstractions, servant à coordonner les résultats de telles mesures. Voilà très exactement ce que les sociologues de la connaissance scientifique disent depuis plus d'une vingtaine d'années à propos de toutes sortes d'entités que les scientifiques considèrent comme réelles. Il est fort possible que n'aimerions pas du tout qu'on fasse subir à "l'électron" un traitement analogue, mais le fait de considérer ces énoncés à la lumière d'une telle perspective changent leur statut d'absurdités pour en faire des suggestions sérieuses, méritant non pas une attitude de moquerie olympienne, mais un débat raisonable.
Aurais-je triché en choisissant le seul paragraphe cohérent de l'article ? Je ne le crois pas. Lisez-le vous-même. Bien sûr, il y a beaucoup d'énoncés obscurs qui semblent traiter de la physique de la relativité, et qui pourraient bien être des interprétations erronnées de points techniques élémentaires. Mais ils sont périphériques par rapport aux problèmes centraux, et certaines des diatribes actuelles sont superficielles dans la manière dont elles identifient "l'erreur". Latour, par exemple, semble utiliser l'expression "cadre de référence" pour signaler indifféremment qu'il a dans l'esprit soit la position soit l'état de mouvement d'un observateur. Mais cela ne change rien à la pertinence de son analogie entre le personnage d'Einstein et les anthropologues, et comme le révèlent les commentaires de Liz, le mot "position" est utilisé dans les études culturelles pour signifier un lieu conceptuel ou une position idéologique.
Latour a également été pris à partie pour avoir prétendu qu'il fallait trois cadres de référence, plutôt que seulement deux, pour donner un sens à toute cette histoire. Si vous accusez publiquement l'un de vos collègues universitaires d'erreur, vous devez être sûr d'avoir vous-même raison. Le fait, généralement peu reconnu, est que si vous voulez tirer les transformations de Lorentz sans uiliser le second postulat d'Einstein, alors, bien que vous ne puissiez pas le faire en utilisant seulement deux cadres de référence, vous pouvez le faire si vous en introduisez un troisième (6). En termes plus formels, vous devez non seulement exiger que l'inverse d'une transformation de Lorentz soit encore une transformation de Lorentz, pour laquelle les deux cadres de référence habituels suffisent, mais aussi qu'ils forment un groupe : le produit de deux est un troisième. Ceci exige une considération moins familière de trois cadres de référence à établir. Sur ce point, Latour a évidemment quelque chose de très différent à l'esprit - deux cultures et un anthropologue - mais si vous cherchez à le lire pour relever ses erreurs de physique, vous devez être sûr d'avoir vous-même une physique correcte.
J'aurais volontiers deux recommandations à faire pour guider ce que nous, scientifiques, disons et écrivons dans nos dialogues avec les critiques de science. Tout d'abord, admettre, au moins au titre d'hypothèse préliminaire de travail, que nous lisons des textes écrits par des gens intelligents qui tentent de soulever des problèmes sérieux, et qui écrivent de l'intérieur d'une tradition littéraire qui est tout aussi technique et inhabituelle à nos yeux que peut l'être le jargon professionnel de notre science à leurs yeux. Deuxièmement, les critiques techniques devraient être fondées sur des arguments sensés. Mépriser ex cathedra des morceaux choisis exprès, rabaisse le niveau du débat académique et ne peut guère convaincre celui qui est ainsi méprisé du sérieux des critiques formulées. Il faut essayer de penser imaginativement à la constellation assez subtile des questions qui peuvent obscurcir des "réfutations" "d'erreurs" superficiellement évidentes.
Certaines des attaques dirigées contre des critiques de science font penser à un philologue allemand en train d'examiner à la loupe l'essai hilarant de Mark Twain intitulé "L'horrible langue allemande" (The Awful German Language) où apparaissent les mots immortels, "il préférait décliner deux verres plutôt qu'un adjectif allemand."
et pour finir voila la citation de Bruno Latour qui te semble "antimatérialiste"
a écrit :"Etant donné que le règlement d'une controverse est la cause de la représentation de la nature et non sa conséquence, on ne doit jamais avoir recours à l'issue finale -- la nature -- pour expliquer comment et pourquoi une controverse a été réglée."
C'est exactement comme ça que procédent toutes les sciences ! Avant qu'elles aient trouvé une théorie unificatrice qui permette l'intelligibilité de la "nature", celle ci était "muette" du point de vue scientifique Justement, l'activité de la science consiste a faire parler les faits sur lesquels elle se base... Evidemment, (et latour, pluisque tu l'as lu abondemment dans "la recherche, l'affirme constemment) elle ne peut pas la faire parler "a partir de rien" Ou alors il s'agit d'une "science ventriloque", d'une pseudo science. Dirait tu que la science n'est pas matérielle ???
a écrit :Lui qui est si cultivé au point de connaître beaucoup mieux que nous des auteurs et des courants d'idée qui au fond ne l'intéresse pas beaucoup, dit-il, n'aura toutefois pas opposé un seul argument précis aux notres en quelques centaines de lignes écrites.
Je ne connais pas "beaucoup" de chose en général, et moins encore dans le domaine des théories "néomodernistes" américaines ! Je dois avouer mon ignorance crasse la dessus ! Et en fait, a partir des quelques extraits qu'il m'a été donné de lire, des quelques auteurs que j'ai parcouru, ça m'a pas donné envie d'en savoir plus. Mais je me demande comment on peut critiquer quelque chose sans connaitre les textes, les auteurs, les théories, les revues, etc Moi quand on me parle du sujet, je dis que ça ne m'intéresse pas plus que ça ! La vie est courte, le nombre de livre qu'on peut lire est limité ! Personnelement, c'est grace a Sokal que je connais mieux latour, parce que sa critique m'a donné l'envie d'en savoir plus... Maintenant, j'ai beau relire tout le fil, je ne vois pas quels arguments vous m'avez donné ? A part me dire que je suis un imbécile, que je soutiens des charlatans, que je suis "idéaliste", anticommuniste et antimatérialiste Mais je doute que cela soit vraiment des "arguments" fondé en raison...