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[center]Sud de Madagascar: toujours la faim et jamais la pluie[/center]
Sécheresse. Sans réelle pluie depuis deux ans, la région de l'Androy est ravagée par la famine et l'exode. La survie ne tient qu'à quelques aides d'urgence.
Par Pierre BLAISE
Libération: vendredi 19 janvier 2007
Ambovombe envoyé spécial
La région est plutôt verte, finalement. Des champs bien ordonnés de sisal s'étendent parfois à perte de vue ; des cactus généreux, les raketas, poussent au bord des chemins. Mais, en théorie, rien de cela ne se consomme, pas plus que les fruits des grands tamariniers aux silhouettes sculptées par le vent violent de la contrée.
Du vent à décorner les zébus, mais pas de pluie, pas dans cette région de l'Androy, dans l'extrême sud de Madagascar, où l'on attend des précipitations conséquentes depuis bientôt deux ans. De façon chronique, depuis la grande crise de 1992, la zone subit la sécheresse et les difficultés nutritionnelles qui vont avec. Le kere, comme on résume cela ici.
«Paralysie».
«Cette année, je n'ai rien récolté du tout. Alors en juin j'ai vendu mon dernier petit terrain. Avec l'argent, j'ai tenu trois semaines et depuis on ne mange que du cactus rouge, ou des cendres mélangées à du tamarin» , raconte Piandra depuis un lit du centre de réhabilitation intensif (Creni) d'Ambovombe, géré par l'Unicef. Pour sortir de ce régime alimentaire dangereux, elle y séjourne depuis trois semaines avec le dernier de ses onze enfants. Le bébé va mieux, mais rien ne dit quand elle pourra lui redonner à manger correctement. Et des milliers d'autres femmes font la queue devant les centres où sont distribuées des rations alimentaires, et où l'on peut contrôler le rapport taille-poids des enfants.
Cette année, la situation est particulièrement préoccupante. Les cris d'alerte du Service d'alerte précoce (SAP) ont été lancés dès juin, après une récolte inexistante. Mais il a fallu attendre la fin de la période électorale pour que le président de la République, Marc Ravalomanana, lance un appel d'urgence : une mission venait de juger que 32 communes rurales étaient menacées. Et une opération de distribution ciblée a donc pris le relais du programme «vivres contre travail» (VCT) précédemment mis en place.
L'efficacité de la réponse est discutable, mais le drame est qu'elle se pose chaque année et que les indices d'amélioration sont rares. «Les bailleurs sont toujours prêts à octroyer des vivres, mais moins à accorder des ressources pour le développement», constate Martin Smith, le représentant de l'agence de l'ONU pour l'alimentation et l'agriculture (FAO). «La pauvreté extrême est aussi une condition paralysante pour n'importe quelle mesure», ajoute-t-il, pointant la situation de dépendance d'une population désormais habituée à recevoir une assistance.
Les réactions d'urgence peuvent-elles alors être considérées comme un frein au développement ? La tragédie naît avant tout d'une situation météorologique intenable, dans une zone asséchée où on ne trouve nulle part d'eau potable, à la différence des régions voisines.
Migration. En attendant un hypothétique pipeline pour acheminer l'eau (promis depuis des années, il aurait plutôt tendance à bloquer les autres initiatives), «la problématique de l'irrigation est secondaire, puisqu'il n'y a pas de solution à l'absence de pluie et de ressource en eau», explique Antoine Deligne. Le coordinateur du projet Objectif Sud pour le Groupe de recherche et d'échanges technologiques (Gret) peine à trouver des espèces de semences adaptées au contexte. «Dans le domaine agricole, nous avons autant d'échecs que les paysans.»
La sécheresse persiste, et les mesures décidées à la va-vite se révèlent souvent inadaptées. Le Gret refuse ainsi de «tomber dans l'urgence» et cherche des solutions durables au travers de la microfinance, de la vente d'aliments thérapeutiques ou du travail avec les communautés. «Le milieu antandroy ["Ceux des épines", ndlr] est spécifique, complètement isolé, avec la peur du Vazaha [l'homme blanc, ndlr] . Il est difficile de convaincre les gens de l'intérêt de nouvelles techniques et des bénéfices à long terme. D'autant que ce sont les lignages traditionnels qui déterminent ceux qui doivent travailler avec nous, et que le choix n'est pas toujours pertinent», explique Antoine Deligne pour justifier les difficultés.
La région, quasiment dénuée d'infrastructures, semble être entrée dans un cercle vicieux, le phénomène de migration s'amplifie. Les hommes partent travailler ailleurs, plantant là femmes et enfants. Déjà trois fois mère, Fabienne, 18 ans, est venue au Creni d'Ambovombe avec son aîné de 5 ans. «Mon mari est parti il y a longtemps. Chercher des saphirs à Ilakaka [au Sud-ouest de l'île,ndlr], je crois», lâche-t-elle. Elle ne semble pas se faire d'illusion sur le retour du père, qui a envoyé une fois 5 000 ariarys (moins de deux euros), et plus rien depuis.
Elevage. A 110 km de là, l'installation d'un pharaonique projet minier à Fort-Dauphin va bouleverser la ville, plus grosse localité du Sud. Les effets vont-ils se répercuter jusque dans l'Androy ? Bréchard-Luc Doyola, le chef de région, veut croire à un impact positif, notamment grâce au potentiel commercial de l'élevage de zébus, de chèvres et de volailles. Bien que ses appels répétés n'aient reçu qu'un écho tardif, il garde confiance dans le développement durable prévu par le «plan d'action pour Madagascar (MAP)», la nouvelle feuille de route du président réélu. Mais, si ce dernier, en campagne électorale, a fait beaucoup de promesses lors de son passage, ce n'est pas lui qui fera tomber la pluie.