Psy-X,Y,Z...

Et lutte contre les pseudo-sciences et les obscurantismes

Message par Aumance » 19 Fév 2005, 19:25

(Cyrano @ samedi 19 février 2005 à 18:54 a écrit :Heureusement que ce débat n'est pas oral : on userait immodérément notre salive. Quoique, la discussion irait peut être plus vite.
C'est freudien ou pas ? dans ma précipitation hier soir à poster les trucs, je n'ai pas mis le petit texte sur ce qui se nomme "contre-transfert". Ça attendra, donc.
Pour quelques vagues détracteurs, je vais écrire quelques vagues remarques que j'ai déjà faites en partie parfois.
Le temps que je les rédige, je lis des messages sur l'amour qui me fatiguent un peu, même pas envie de répondre, quoique.. on verra après…


Cyrano,

je ne crois pas que nous ayons, les copains et moi même besoin de ton autrisation pour parler d'amour, tant sur ce forum qu'ailleurs !

nous ne censurons pas tes messages ; nous ne t'imposons pas de nous lire ; alors, laisse nous vivre !
qui te dit, alors, que tout le monde et en extase devant tes messages et ton intelligence inégalable ?


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Message par Wapi » 19 Fév 2005, 19:34

J'avais suggéré que ceux qui voulaient apprendre des choses sur Lacan se renseignent ou rafraîchissent leurs souvenir sur les soeurs Papin, pour prendre Lacan dans l'ordre chronologique et non dans un désordre insensé.

Deux textes de Lacan qui fut leur psychiatre :

a écrit :


Paru dans Le Minotaure, n° 3/4 – 1933-34, avec la mention : « Au docteur Georges Dumas, en respectueuse amitié », puis, dans Obliques, 1972, n° 2, pp. 100-103.

Sera repris à la suite de la thèse : De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité, Paris, Seuil, coll. « Le champ freudien », 1975, pp. 25-28.

On se souvient des circonstances horribles du massacre du Mans et de l’émotion que provoqua dans la conscience du public le mystère des motifs des deux meurtrières, les sœurs Christine et Léa Papin. À cette inquiétude, à cet intérêt, une information très ample des faits répondit dans la presse, et par l’organe des esprits les plus avertis du journalisme . Nous ne ferons donc que résumer les faits du crime.

Les deux sœurs, 28 et 21 ans, sont depuis plusieurs années les servantes d’honorables bourgeois de la petite ville provinciale, un avoué, sa femme et sa fille. Servantes modèles, a-t-on dit, enviées au ménage ; servantes-mystère aussi, car, si l’on a remarqué que les maîtres semblent avoir étrangement manqué de sympathie humaine, rien ne nous permet de dire que l’indifférence hautaine des domestiques n’ait fait que répondre à cette attitude ; d’un groupe à l’autre « on ne se parlait pas ». Ce silence pourtant ne pouvait être vide, même s’il était obscur aux yeux des acteurs.

Un soir, le 2 février, cette obscurité se matérialise par le fait d’une banale panne de l’éclairage électrique. C’est une maladresse des sœurs qui l’a provoquée, et les patronnes absentes ont déjà montré lors de moindres propos des humeurs vives. Qu’ont manifesté la mère et la fille, lorsqu’à leur retour elles ont découvert le mince désastre ? Les dires de Christine ont varié sur ce point. Quoiqu’il en soit, le drame se déclenche très vite, et sur la forme de l’attaque il est difficile d’admettre une autre version que celle qu’ont donnée les sœurs, à savoir qu’elle fut soudaine, simultanée, portée d’emblée au paroxysme de la fureur : chacune s’empare d’une adversaire, lui arrache vivante les yeux des orbites, fait inouï, a-t-on dit, dans les annales du crime, et l’assomme. Puis, à l’aide de ce qui se trouve à leur portée, marteau, pichet d’étain, couteau de cuisine, elles s’acharnent sur les corps de leurs victimes, leur écrasent la face, et, dévoilant leur sexe, tailladent profondément les cuisses et les fesses de l’une, pour souiller de ce sang celles de l’autre. Elles lavent ensuite les instruments de ces rites atroces, se purifient elles-mêmes et se couchent dans le même lit. « En voilà du propre ! » Telle est la formule qu’elles échangent et qui semble donner le ton du dégrisement, vidé de toute émotion, qui succède chez elles à l’orgie sanglante.

Au juge, elles ne donneront de leur acte aucun motif compréhensible, aucune haine, aucun grief contre leurs victimes ; leur seul souci paraîtra de partager entièrement la responsabilité du crime. À trois médecins experts, elles apparaîtront sans aucun signe de délire, ni de démence, sans aucun trouble actuel psychique ni physique, et force leur sera d’enregistrer ce fait.
Dans les antécédents du crime, des données trop imprécises, semble-t-il, pour qu’on puisse en tenir compte : une démarche embrouillée des sœurs auprès du maire pour obtenir l’émancipation de la plus jeune, un secrétaire général qui les a trouvées « piquées », un commissaire central qui témoigne les (26)avoir tenues pour « persécutées ». Il y a aussi l’attachement singulier qui les unissait, leur immunité à tout autre intérêt, les jours de congé qu’elles passent ensemble et dans leur chambre. Mais s’est-on inquiété jusque-là de ces étrangetés ? On omet encore un père alcoolique, brutal, qui, dit-on, a violé une de ses filles et le précoce abandon de leur éducation.

Ce n’est qu’après cinq mois de prison que Christine, isolée de sa sœur, présente une crise d’agitation très violente avec hallucinations terrifiantes. Au cours d’une autre crise elle tente de s’arracher les yeux, certes en vain, mais non sans se léser. L’agitation furieuse nécessite cette fois l’application de la camisole de force ; elle se livre à des exhibitions érotiques, puis apparaissent des symptômes de mélancolie : dépression, refus d’aliments, auto-accusation, actes expiatoires d’un caractère répugnant ; dans la suite à plusieurs reprises, elle tient des propos à signification délirante. Disons que la déclaration de Christine d’avoir simulé tel de ces états ne peut aucunement être tenue pour la clef réelle de leur nature : le sentiment de jeu y est fréquemment éprouvé par le sujet, sans que son comportement en soit moins typiquement morbide.
Le 30 septembre les sœurs sont condamnées par le jury. Christine, entendant qu’elle aura la tête tranchée sur la place du Mans, reçoit cette nouvelle à genoux.
Cependant les caractères du crime, les troubles de Christine dans la prison, les étrangetés de la vie des sœurs avaient convaincu la majorité des psychiatres de l’irresponsabilité des meurtrières.

Devant le refus d’une contre-expertise, le Dr Logre dont on connaît la personnalité hautement qualifiée, crut pouvoir témoigner à la barre pour leur défense. Fût-ce la règle de rigueur inhérente au clinicien magistral ou la prudence imposée par des circonstances qui le mettaient en posture d’avocat ? Le Dr Logre avança non pas une, mais plusieurs hypothèses sur l’anomalie mentale présumée des sœurs : idées de persécution, perversion sexuelle, épilepsie ou hystéro-épilepsie. Si nous croyons pouvoir formuler une solution plus univoque du problème, nous voulons d’abord en rendre hommage à son autorité, non seulement parce qu’elle nous couvre du reproche de porter un diagnostic sans avoir examiné nous-même les malades, mais parce qu’elle a sanctionné de formules particulièrement heureuses certains faits très délicats à isoler et pourtant, nous allons le voir, essentiels à la démonstration de notre thèse.

Il est une entité morbide, la paranoïa, qui malgré les fortunes diverses qu’elle a subies avec l’évolution de la psychiatrie, répond en gros aux traits classiques suivants :

A) un délire intellectuel qui varie ses thèmes des idées de grandeur aux idées de persécution
8) des réactions agressives très fréquemment meurtrières ; c) une évolution chronique.

Deux conceptions s’opposaient jusqu’ici sur la structure de cette psychose : l’une la tient pour le développement d’une « constitution » morbide, c’est-à-dire d’un vice congénital du caractère ; l’autre en désigne les phénomènes élémentaires dans des troubles momentanés de la perception, qu’on qualifie d’interprétatifs à cause de leur analogie apparente avec l’interprétation normale ; le délire est ici considéré comme un effort rationnel du sujet pour expliquer ces expériences, et l’acte criminel comme une réaction passionnelle dont les motifs sont donnés par la conviction délirante.
Bien que les phénomènes dits élémentaires aient une existence beaucoup plus certaine que la constitution prétendue paranoïaque, on voit facilement l’insuffisance de ces deux conceptions, et nous avons tenté d’en fonder une nouvelle sur une observation plus conforme au comportement du malade .
Nous avons reconnu ainsi comme primordiale, tant dans les éléments que dans l’ensemble du délire et dans ses réactions, l’influence des relations sociales incidentes à chacun de ces trois ordres de phénomènes, et nous avons admis comme explicative des faits de la psychose la notion dynamique des tensions sociales, dont l’état d’équilibre ou de rupture définit normalement dans l’individu la personnalité.

La pulsion agressive, qui se résout dans le meurtre, apparaît ainsi comme l’affection qui sert de base à la psychose. On peut la dire inconsciente, ce qui signifie que le contenu intentionnel qui la traduit dans la conscience ne peut se manifester sans un compromis avec les exigences sociales intégrées par le sujet, c’est-à-dire sans un camouflage de motifs qui est précisément tout le délire.
Mais cette pulsion est empreinte en elle-même de relativité sociale : elle a toujours l’intentionnalité d’un crime, presque constamment celle d’une vengeance, souvent le sens d’une punition, c’est-à-dire d’une sanction issue des idéaux sociaux, parfois enfin elle s’identifie à l’acte achevé de la moralité, elle a la portée d’une expiation (auto-punition). Les caractères objectifs du meurtre, son électivité quant à la victime, son efficacité meurtrière, ses modes de déclenchement et d’exécution varient de façon continue avec ces degrés de la signification humaine de la pulsion fondamentale. Ce sont ces mêmes degrés qui commandent la réaction de la société à l’égard du crime paranoïaque, réaction ambivalente, à double forme, qui fait la contagion émotionnelle de ce crime et les exigences punitives de l’opinion.

Tel est ce crime des sœurs Papin, par l’émotion qu’il soulève et qui dépasse son horreur, par sa valeur d’image atroce, mais symbolique jusqu’en ses plus hideux détails : les métaphores les plus usées de la haine : « Je lui arracherais les yeux », reçoivent leur exécution littérale. La conscience populaire révèle le sens qu’elle donne à cette haine appliquant ici le maximum de la peine, comme la loi antique au crime des esclaves. Peut-être nous le verrons, se trompe-t-elle ainsi sur le sens réel de (27)l’acte. Mais observons à l’usage de ceux qu’effraie la voie psychologique où nous engageons l’étude de la responsabilité, que l’adage « comprendre c’est pardonner » est soumis aux limites de chaque communauté humaine et que, hors de ces limites, comprendre (ou croire comprendre), c’est condamner.

Le contenu intellectuel du délire nous apparaît, nous l’avons dit, comme une superstructure à la fois justificative et négatrice de la pulsion criminelle. Nous le concevons donc comme soumis aux variations de cette pulsion, à la chute qui résulte par exemple de son assouvissement : dans le cas princeps du type particulier de paranoïa que nous avons décrit (le cas Aimée), le délire s’évanouit avec la réalisation des buts de l’acte. Nous ne nous étonnerons pas qu’il en ait été de même pendant les premiers mois qui ont suivi le crime des sœurs. Les défauts corrélatifs des descriptions et des explications classiques ont longtemps fait méconnaître l’existence, pourtant capitale, de telles variations, en affirmant la stabilité des délires paranoïaques, alors qu’il n’y a que constance de structure : cette conception induit les experts à des conclusions erronées, et explique leur embarras en présence de nombreux crimes paranoïaques, où leur sentiment de la réalité se fait jour malgré leurs doctrines, mais n’engendre chez eux que l’incertitude.

Chez les sœurs Papin, nous devons tenir la seule trace d’une formulation d’idées délirantes antérieure au crime pour un complément du tableau clinique : or l’on sait qu’on la trouve, dans le témoignage du commissaire central de la ville principalement. Son imprécision ne saurait aucunement le faire rejeter : tout psychiatre connaît l’ambiance très spéciale qu’évoque très souvent on ne sait quelle stéréotypie des propos de ces malades, avant même qu’ils s’explicitent en formules délirantes. Que quelqu’un ait seulement une fois expérimenté cette impression, et l’on ne saurait tenir pour négligeable le fait qu’il la reconnaisse. Or les fonctions de triage des centres de la police donnent l’habitude de cette expérience.

Dans la prison, plusieurs thèmes délirants s’expriment chez Christine. Nous qualifions ainsi non seulement des symptômes typiques du délire, tel que celui de la méconnaissance systématique de la réalité (Christine demande comment se portent ses deux victimes et déclare qu’elle les croit revenues dans un autre corps), mais aussi les croyances plus ambiguës qui se traduisent dans des propos comme celui-ci : « Je crois bien que dans une autre vie je devais être le mari de ma sœur ». On peut en effet reconnaître en ces propos des contenus très typiques de délires classés. Il est en outre constant de rencontrer une certaine ambivalence dans toute croyance délirante, depuis les formes les plus tranquillement affirmatives des délires fantastiques (où le sujet reconnaît pourtant une « double réalité ») jusqu’aux formes interrogatives des délires dits de supposition (où toute affirmation de la réalité lui est suspecte).

L’analyse, dans notre cas, de ces contenus et de ces formes nous permettrait de préciser la place des deux sœurs dans la classification naturelle des délires. Elles ne se rangeraient pas dans cette forme très limitée de paranoïa que, par la voie de telles corrélations formelles, nous avons isolée dans notre travail. Probablement même sortiraient-elles des cadres génériques de la paranoïa pour entrer dans celui des paraphrénies, que le génie de Kraepelin isola comme des formes immédiatement contiguës. Cette précision du diagnostic, dans l’état chaotique de notre information, serait pourtant très précaire. Au reste elle serait peu utile à notre étude des motifs du crime, puisque, nous l’avons indiqué dans notre travail, les formes de paranoïa et les formes délirantes voisines restent unies par une communauté de structure qui justifie l’application des mêmes méthodes d’analyse.

Ce qui est certain, c’est que les formes de la psychose sont chez les deux sœurs sinon identiques, du moins étroitement corrélatives. On a entendu au cours des débats l’affirmation étonnante qu’il était impossible que deux êtres fussent frappés ensemble de la même folie, ou plutôt la révélassent simultanément. C’est une affirmation complètement fausses. Les délires à deux sont parmi les formes les plus anciennement reconnues des psychoses. Les observations montrent qu’ils se produisent électivement entre proches parents, père et fils, mère et fille, frères ou sœurs. Disons que leur mécanisme relève dans certains cas de la suggestion contingente exercée par un sujet délirant actif sur un sujet débile passif. Nous allons voir que notre conception de la paranoïa en donne une notion toute différente et explique de façon plus satisfaisante le parallélisme criminel des deux sœurs.

La pulsion meurtrière que nous concevons comme la base de la paranoïa ne serait en effet qu’une abstraction peu satisfaisante, si elle ne se trouvait contrôlée par une série d’anomalies corrélatives des instincts socialisés, et si l’état actuel de nos connaissances sur l’évolution de la personnalité ne nous permettait de considérer ces anomalies pulsionnelles comme contemporaines dans leur genèse. Homosexualité, perversion sado-masochiste, telles sont les troubles instinctifs dont seuls les psychanalystes avaient su dans ces cas déceler l’existence et dont nous avons tenté de montrer dans notre travail la signification génétique. Il faut avouer que les sœurs paraissent apporter à ces corrélations une confirmation qu’on pourrait dire grossière : le sadisme est évident dans les manœuvres exécutées sur les victimes, et quelle signification ne prennent pas, à la lumière de ces données, l’affection exclusive des deux sœurs, le mystère de leur vie, les étrangetés de leur cohabitation, leur rapprochement peureux dans un même lit après le crime ?
Notre expérience précise de ces malades nous fait hésiter pourtant devant l’affirmation, que d’aucuns franchissent, de la réalité de relations sexuelles entre les sœurs. C’est pourquoi nous sommes reconnaissants au Dr Logre de la subtilité du terme (28)de « couple psychologique », où l’on mesure sa réserve en ce problème, Les psychanalystes eux-mêmes,. quand ils font dériver la paranoïa de l’homosexualité, qualifient cette homosexualité d’inconsciente, de « larvée ». Cette tendance homosexuelle ne s’exprimerait que par une négation éperdue d’elle-même, qui fonderait la conviction d’être persécuté et désignerait l’être aimé dans le persécuteur. Mais qu’est cette tendance singulière, qui, si proche ainsi de sa révélation la plus évidente, en resterait toujours séparée par un obstacle singulièrement transparent ?

Freud dans un article admirable , sans nous donner la clef de ce paradoxe, nous fournit tous les éléments pour la trouver. Il nous montre en effet que, lorsqu’aux premiers stades maintenant reconnus de la sexualité infantile s’opère la réduction forcée de l’hostilité primitive entre les frères, une anormale inversion peut se produire de cette hostilité en désir, et que ce mécanisme engendre un type spécial d’homosexuels chez qui prédominent les instincts et activités sociales. En fait ce mécanisme est constant : cette fixation amoureuse est la condition primordiale de la première intégration aux tendances instinctives de ce que nous appelons les tensions sociales. Intégration douloureuse, où déjà se marquent les premières exigences sacrificielles que la société ne cessera plus jamais d’exercer sur ses membres : tel est son lien avec cette intentionnalité personnelle de la souffrance infligée, qui constitue le sadisme. Cette intégration se fait cependant selon la loi de moindre résistance par une fixation affective très proche encore du moi solipsiste, fixation qui mérite d’être dite narcissique et où l’objet choisi est le plus semblable au sujet : telle est la raison de son caractère homosexuel. Mais cette fixation devra être dépassée pour aboutir à une moralité socialement efficace. Les belles études de Piaget nous ont montré le progrès qui s’effectue depuis l’égocentrisme naïf des premières participations aux règles du jeu moral jusqu’à l’objectivité coopératrice d’une conscience idéalement achevée.

Chez nos malades cette évolution ne dépasse pas son premier stade, et les causes d’un tel arrêt peuvent être d’origines très différentes, les unes organiques (tares héréditaires), les autres psychologiques : la psychanalyse a révélé parmi celles-ci l’importance de l’inceste infantile. On sait que son acte semble n’avoir pas été absent de la vie des sœurs.

À vrai dire, bien avant que nous ayons fait ces rapprochements théoriques, l’observation prolongée de cas multiples de paranoïa, avec le complément de minutieuses enquêtes sociales, nous avait conduit à considérer la structure des paranoïa et des délires voisins comme entièrement dominée par le sort de ce complexe fraternel. L’instance majeure en est éclatante dans les observations que nous avons publiées. L’ambivalence affective envers la sœur aînée dirige tout le comportement auto-punitif de notre « cas Aimée ». Si au cours de son délire Aimée transfère sur plusieurs têtes successives les accusations de sa haine amoureuse, c’est par un effort de se libérer de sa fixation première, mais cet effort est avorté : chacune des persécutrices n’est vraiment rien d’autre qu’une nouvelle image, toujours toute prisonnière du narcissisme, de cette sœur dont notre malade a fait son idéal. Nous comprenons maintenant quel est l’obstacle de verre qui fait qu’elle ne peut jamais savoir, encore qu’elle le crie, que toutes ces persécutrices, elle les aime : elles ne sont que des images.

Le « mal d’être deux » dont souffrent ces malades ne les libère qu’à peine du mal de Narcisse. Passion mortelle et qui finit par se donner la mort. Aimée frappe l’être brillant qu’elle hait justement parce qu’elle représente l’idéal qu’elle a de soi. Ce besoin d’auto-punition, cet énorme sentiment de culpabilité se lit aussi dans les actes des Papin, ne serait-ce que dans l’agenouillement de Christine au dénouement. Mais il semble qu’entre elles les sœurs ne pouvaient même prendre la distance qu’il faut pour se meurtrir. Vraies âmes siamoises, elle forment un monde à jamais clos ; à lire leurs dépositions après le crime, dit le Dr Logre, « on croit lire double ». Avec les seuls moyens de leur îlot, elles doivent résoudre leur énigme, l’énigme humaine du sexe.

Il faut avoir prêté une oreille attentive aux étranges déclarations de tels malades pour savoir les folies que leur conscience enchaînée peut échafauder sur l’énigme du phallus et de la castration féminine. On sait alors reconnaître dans les aveux timides du sujet dit normal les croyances qu’il tait, et qu’il croit taire parce qu’il les juge puériles, alors qu’il les tait parce que sans le savoir il y adhère encore.
Le propos de Christine : « Je crois bien que dans une autre vie je devais être le mari de ma sœur », est reproduit chez nos malades par maints thèmes fantastiques qu’il suffit d’écouter pour obtenir. Quel long chemin de torture elle a dû parcourir avant que l’expérience désespérée du crime la déchire de son autre soi-même, et qu’elle puisse, après sa première crise de délire hallucinatoire, où elle croit voir sa sœur morte, morte sans doute de ce coup, crier, devant le juge qui les confronte, les mots de la passion dessillée : « Oui, dis oui ».
Au soir fatidique, dans l’anxiété d’une punition imminente, les sœurs mêlent à l’image de leurs maîtresses le mirage de leur mal. C’est leur détresse qu’elles détestent dans le couple qu’elles entraînent dans un atroce quadrille. Elles arrachent les yeux, comme châtraient les Bacchantes. La curiosité sacrilège qui fait l’angoisse de l’homme depuis le fonds des âges, c’est elle qui les anime quant elles déchirent leurs victimes, quand elles traquent dans leurs blessures béantes ce que Christine plus tard devant le juge devait appeler dans son innocence « le mystère de la vie ».
[/B]
Wapi
 
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Message par Wapi » 19 Fév 2005, 19:48

Puis un autre, moins "clinique", de 1933.

a écrit :
 
le Minotaure - 1933

LE PROBLÈME DU STYLE ET LA CONCEPTION PSYCHIATRIQUE DES FORMES  PARANOÏAQUES DE L'EXPÉRIENCE
 
article voué aux soeurs Papin  (Ecrits, Seuil, p.65)

Entre tous les problèmes de la création artistique, celui du style requiert le plus impérieusement, et pour l'artiste lui-même, croyons-nous, une solution théorique. L'idée n'est pas sans importance en effet qu'il se forme du conflit, révélé par le fait du style, entre la création réaliste fondée sur la connaissance objective d'une part, et d'autre part la puissance supérieure de signification, la haute communicabilité émotionnelle de la création dite stylisée. Selon la nature de cette idée, en effet, l'artiste concevra le style comme le fruit d'un choix rationnel, d'un choix éthique, d'un choix arbitraire, ou bien encore d'une nécessité éprouvée dont la spontanéité s'impose contre tout contrôle ou même qu'il convient d'en dégager par une ascèse négative. Inutile d'insister sur l'importance de ces conceptions pour le théoricien.
Or, il nous paraît que le sens pris de nos jours par la recherche psychiatrique offre à ces problèmes des données nouvelles. Nous avons montré le caractère très concret de ces données dans des analyses de détail portant sur des écrits de fous.

Nous voudrions ici indiquer en termes forcément plus abstraits quelle révolution théorique elles apportent dans l'anthropologie.

La psychologie d'école, pour être la dernière venue des sciences positives et être ainsi apparue à l'apogée de la civilisation bourgeoise qui soutient le corps de ces sciences, ne pouvait que vouer une confiance naïve à la pensée mécaniste qui avait fait ses preuves brillantes dans les sciences de la physique. Ceci, du moins, aussi longtemps que l'illusion d'une infaillible investigation de la nature continua de recouvrir la réalité de la fabrication d'une seconde nature, plus conforme aux lois d'équivalence fondamentales de l'esprit, à savoir celle de la machine. Aussi bien le progrès historique d'une telle psychologie, s'il part de la critique expérimentale des hypostase du rationalisme religieux, aboutit dans les plus récentes psychophysique à des abstractions fonctionnelles, dont la réalité se réduit de plus en plus rigoureusement à la seule mesure du rendement physique du travail humain. Rien, en effet, dans les conditions artificielles du laboratoire, ne pouvait contredire à une méconnaissance si systématique de la réalité de l'homme.

Ce devait être le rôle des psychiatres, que cette réalité sollicite de façon autrement impérieuse, de rencontrer et les effets de l'ordre éthique dans les transferts créateurs du désir ou de la libido, et les déterminations structurales de l'ordre nouménal dans les formes primaires de l'expérience vécue : c'est-à-dire de reconnaître la primordialité dynamique et l'originalité de cette expérience (Erlebnis) par rapport à toute objectivation d'événement (Geschebnis).

Nous serions pourtant en présence de la plus surprenante exception aux lois propres au développement de toute superstructure idéologique, si ces faits avaient été aussitôt reconnus que rencontrés, aussitôt affirmés que reconnus. L'anthropologie qu'ils impliquent rend trop relatifs les postulats de la physique et de la morale rationalisantes. Or ces postulats sont suffisamment intégrés au langage courant pour que le médecin, qui entre tous les types d'intellectuels est le plus constamment marqué d'une légère arriération dialectique, n'ait pas cru naïvement les retrouver dans les faits eux-mêmes. En outre il ne faut pas méconnaître que l'intérêt pour les malades mentaux est né historiquement de besoins d'origine juridique. Ces besoins sont apparus lors de l'instauration formulée, a la base du droit, de la conception philosophique bourgeoise de l'homme comme doué d'une liberté morale absolue et de la responsabilité comme propre à l'individu (lien des Droits de l'homme et des recherches initiatrices de Pinel et d'Esquirol). Dès lors, la question majeure qui s'est posée pratiquement à la science des psychiatres, a été celle, artificielle, d'un tout-ou-rien de la déchéance mentale (art. 6 du Code pénal).

Il était donc naturel que les psychiatres empruntassent d'abord l'explication des troubles mentaux aux analyses de l'école et au schéma commode d'un déficit quantitatif (insuffisance ou déséquilibre) d'une fonction de relation avec le monde, fonction et monde procédant d'une même abstraction et rationalisation. Tout un ordre de faits, celui qui répond au cas clinique des démences, s'y laissait d'ailleurs assez bien résoudre.

C'est le triomphe du génie intuitif propre à l'observation, qu'un Kraepelin, bien que tout engagé dans ces préjugés théoriques, ait pu classer, avec une rigueur à laquelle on n'a guère ajouté, les espèces cliniques dont l'énigme devait, à travers des approximations souvent bâtardes (dont le public ne retient que des mots de ralliement : schizophrénie, etc.) engendrer le relativisme nouménal inégalé des points de vue dits phénoménologiques de la psychiatrie contemporaine. Ces espèces cliniques ne sont autres que les psychoses proprement dites (les vraies "folies" du vulgaire). Or les travaux d'inspirationphénoménologique sur ces états mentaux (celui tout récent par exemple d'un Ludwig Binswanger sur l'état dit de "suite des idées" qu'on observe dans la psychose maniaque-dépressive, ou mon propre travail sur "la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité" ne détachent pas la réaction locale, et le plus souvent remarquable seulement par quelque discordance pragmatique, qu'on peut y individualiser comme trouble mental, de la totalité de l'expérience vécue du malade qu'ils tentent de définir dans son originalité. Cette expérience ne peut être comprise qu'à la limite d'un effort d'assentiment ; elle peut être décrite valablement comme une structure cohérente d'une appréhension nouménale immédiate de soi-même et du monde.
Seule une méthode analytique d'une très grande rigueur peut permettre une telle description ; toute objectivation est en effet éminemment précaire dans un ordre phénoménal qui se manifeste comme antérieur à l'objectivation rationalisante. Les formes explorées de ces structures permettent de les concevoir comme différenciées entre elles par certains hiatus qui permettent de les typifier.

Or certaines de ces formes de l'expérience vécue, dite morbide, se présentent comme particulièrement fécondes en modes d'expression symboliques, qui, pour être irrationnels dans leur fondement, n'en sont pas moins pourvus d'une signification intentionnelle éminente et d'une communicabilité tensionnelle très élevée. Elles se rencontrent dans des psychoses que nous avons étudiées particulièrement, en leur conservant leur étiquette ancienne et étymologiquement satisfaisante de "paranoïa".
Ces psychoses se manifestent cliniquement par un délire de persécution, une évolution chronique spécifique et des réactions criminelles particulières. Faute d'y pouvoir déceler aucun trouble dans le maniement de l'appareil logique et des symboles spatio-temporo-causaux, les auteurs de la lignée classique n'ont pas craint de rapporter paradoxalement tous ces troubles à une hypertrophie de la fonction raisonnante.
Pour nous, nous avons pu montrer non seulement que le monde propre à ces sujets est transformé bien plus dans sa perception que dans son interprétation, mais que cette perception même n'est pas comparable avec l'intuition des objets, propre au civilisé de la moyenne normale. D'une part, en effet, le champ de la perception est empreint chez ces sujets d'un caractère immanent et imminent de "signification personnelle" (symptôme dit interprétation), et ce caractère est exclusif de cette neutralité affective de l'objet qu'exige au moins virtuellement la connaissance rationnelle. D'autre part l'altération, notable chez eux des intuitions spatio-temporelles modifie la portée de la conviction de réalité (illusions du souvenir, croyances délirantes).
Ces traits fondamentaux de l'expérience vécue paranoïaque l'excluent de la délibération éthico-rationnelle et de toute liberté phénoménologiquement définissable dans la création imaginative.
Or nous avons étudié méthodiquement les expressions symboliques de leur expérience que donnent ces sujets : ce sont d'une part les thèmes idéiques et les actes significatifs de leur délire, d'autre part les productions plastiques et poétiques dont ils sont très féconds.

Nous avons pu montrer :

1° La signification éminemment humaine de ces symboles, qui n'a d'analogue, quant aux thèmes délirants, que dans les créations mythiques du folklore, et, quant aux sentiments animateurs des fantaisies, n'est souvent pas inégale à l'inspiration des artistes les plus grands (sentiments de la nature, sentiment idyllique et utopique de l'humanité, sentiment de revendication antisociale).

2° Nous avons caractérisé dans les symboles une tendance fondamentale que nous avons désignée du terme d' "identification itérative de l'objet" : le délire se révèle en effet très fécond en fantasmes de répétition cyclique, de multiplication ubiquiste, de retours périodiques sans fin des mêmes événements, en doublets et triplets des mêmes personnages, parfois en hallucinations de dédoublement de la personne du sujet. Ces intuitions sont manifestement parentes de processus très constants de la création poétique et paraissent l'une des conditions de la typification, créatrice du style.

3° Mais le point le plus remarquable que nous ayons dégagé des symboles engendrés par la psychose, c'est que leur valeur de réalité n'est en rien diminuée par la genèse qui les exclut de la communauté mentale de la raison. les délires en effet n'ont besoin d'aucune interprétation pour exprimer par leurs seuls thèmes, et à merveille, ces complexes instinctifs et sociaux que la psychanalyse a la plus grande peine à mettre au jour chez les névrosés. il est non moins remarquable que les réactions meurtrières de ces malades se produisent très fréquemment en un point névralgique des tensions sociales de l'actualité historique.

Tous ces traits propres à l'expérience vécue paranoïaque lui laisse une marge de communicabilité humaine, où elle a montré, sous d'autres civilisations, toute sa puissance. Encore ne l'a-t-elle pas perdu sous notre civilisation rationalisante elIe-même : on peut affirmer que Rousseau, chez qui le diagnostic de paranoïa typique peut être porté avec la plus grande certitude, doit à son expérience proprement morbide la fascination qu'il exerça sur son siècle par sa personne et par son style. Sachons aussi voir que le geste criminel des paranoïaques émeut parfois si loin la sympathie tragique, que le siècle, pour se défendre, ne sait plus s'il doit le dépouiller de sa valeur humaine ou bien accabler le coupable sous sa responsabilité.

On peut concevoir l'expérience vécue paranoïaque et la conception du monde qu'elle engendre, comme une syntaxe originale, qui contribue à affirmer, par les liens de compréhension qui lui sont propres, la communauté humaine. La connaissance de cette syntaxe nous semble une introduction indispensable à la compréhension des valeurs symboliques de l'art, et tout spécialement aux problèmes du style, - à savoir des vertus de conviction et de communion humaine qui lui sont propres, non moins qu'aux paradoxes de sa genèse, - problèmes toujours insolubles à toute anthropologie qui ne sera pas libérée du problème naïf de l'objet.

Le Minotaure - 1933


Bon... allons, ça peut se comprendre malgré quelques mots un peu techniques mais pas obscurs...non ? Pourtant, c'est du Lacan, et c'est même plutôt pas si vide de sens, surtout pour 1933.
Wapi
 
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Message par locrate » 19 Fév 2005, 21:23

[QUOTE=canardos,samedi 19 février 2005 à 19:49][QUOTE=Cyrano,samedi 19 février 2005 à 18:58] Le point G
ensuite vers 4 ,5 ans les enfants observent les adultes, découvrent chez eux les diffrences sexuelles, et se classent par rapport à eux petits garçons ou petite fille en regardant la petite difference qui a des si grandes consequences en matiere de comportement social....la petite fille decouvre qu'elle sera une future maman qu'elle doit etre calme gentille et bien elevée et le petit garçon qu'il sera un futur soldat aviateur ou pilote spatial et qu'il doit un etre un dur et un heros...qu'il peut etre brutal et qu'il doit etre servi le premier

D'après Marcel Ruffo, ce "choix" se fait beaucoup plus tôt, vers 18 mois je crois.
Mais personnellement, je ne m'en souviens pas. Alors...
locrate
 
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Message par Gaby » 19 Fév 2005, 22:24

(Cyrano @ samedi 19 février 2005 à 18:59 a écrit : Parce que, OK, je pactise, quand on découvre certaines notions, leur formulation, ça peut surprendre, ou faire mal à la tête, ou faire sourire. Mais le style "Ah ! Arrêtez ! J'en pisse de rire !" ne vaut rien et il est pitoyable lorsque on se pique, par ailleurs, de tenir un raisonnement cohérent sur plein, plein de choses de la vie.
Ce sont des gamineries qui n'amusent qu'un temps. Attendre au coin du bois avec une massue ce n'est pas une attitude d'ouverture au monde. C'est pactiser avec les obscurantistes.

Alors là Cyrano, permets-moi de te dire que tu me fais bien rigoler...
Gaby
 
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