Le marxisme est-il une science ?

Et lutte contre les pseudo-sciences et les obscurantismes

Message par Oel » 22 Fév 2012, 04:22

a écrit :Fourrier ne prenait pas en compte la lutte de classe dont soit dit en passant , elle n'a pas été découverte par Marx . Guizot y fait allusion : pour lui la bourgeoisie a lutté contre la noblesse .

Voilà une citation intéressante d'Adolphe Blanqui (a ne pas confondre avec l'autre socialiste !!)

Dans toutes les révolutions, il n'y a jamais eu que deux partis en présence : celui des gens qui veulent vivre de leur travail et celui des gens qui veulent vivre du travail d'autrui. Patriciens et plébéiens, esclaves et affranchis, guelfes et gibelins, roses rouges et roses blanches, libéraux et serviles, ne sont que des variétés de la même espèce. C'est toujours la question du bien-être qui les divise, chacun voulant, si j'ose me servir d'une expression vulgaire, tirer la couverture à soi au risque de découvrir son voisin. Ainsi, dans un pays, c'est par l'impôt qu'on arrache au travailleur, sous prétexte du bien de l'état, le fruit de ses sueurs ; dans un autre, c'est par les privilèges, en déclarant le travail objet de concession royale, et en faisant payer cher le droit de s'y livrer. (Histoire de l'économie politique en Europe, depuis les anciens jusqu'à nos jours, volume 1, Introduction)

On pense vite à :

L'Histoire de toute société jusqu'à nos jours, c'est l'histoire de la lutte des classes. Homme libre et esclave, patricien et plébéien, baron et serf, maître de jurande et compagnon, en un mot : oppresseurs et opprimés, se sont trouvés en constante opposition; ils ont mené une lutte sans répit, tantôt déguisée, tantôt ouverte, qui chaque fois finissait soit par une transformation révolutionnaire de la société tout entière, soit par la ruine des diverses classes en lutte.

La théorie de la lutte des classes est libérale avant d'être marxiste.

Je n'ai aucun mérite pour la découverte des classes ni de la lutte entre les classes dans la société moderne. Bien avant moi, les historiens bourgeois avaient décrit le développement historique de cette lutte des classes et les économistes bourgeois l'anatomie économique des classes. (lettre de Marx à J. Weydemeyer, 5 mars 1852, Karl Marx and Friedrich Engels, Selected Correspondence, Moscou: Progress Publishers, 1965, p. 69)

Sur le concept de sciences bourgeoise et science prolétarienne, il me semble que Staline s'est opposée à cela, mais peut-être fut-ce tardif, je ne sais pas trop. J'avais lu quelque part que Staline avait écrit que la langue et les sciences physiques ne faisaient pas partir de la superstructure. Après ca serait quand ? Et par rapport à la période de terreur lyssenkiste ? Quand est apparu cette dualité en URSS ?
Le PCF a mis quelques années à abandonner cette dualité étrange, ce qui n'a pas empêche l'URSS de rester lyssenkiste un certain temps.
Oel
 
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Message par Matrok » 22 Fév 2012, 19:53

(luc marchauciel @ mardi 21 février 2012 à 13:27 a écrit :
(Barnabé @ mardi 21 février 2012 à 14:21 a écrit : ... la théorie de l'évolution elle-aussi ne fait qu'exprimer des mécanismes généraux et s'avère incapable de prédire par exemple précisément l'apparition de telle ou telle nouvelle espèce.

Je pense (a priori) qu'elle le peut, mais qu'en général les processus se font sur des temps trop long pour être vérifiés à l'échelle de la vie humaine.
Ceci dit, pour des espèces à forte reproduction et faible durée de vie, faudrait voir.
Je vais essayer de me renseigner auprès de spécialistes, si j'ai un tuyau je viendrai le lâcher ici.

Pas des papillons, mais des bactéries : voici un exemple, d'ailleurs étonnant pour d'autres raisons, d'évolution prévue et confirmée par l'expérience. Cela date de septembre dernier (2011) et je viens de tomber dessus par hasard, ça m'a tout de suite fait penser à cette discussion.

http://sciences.blogs.liberation.fr/home/2...C3%A9tique.html

Une équipe du Génoscope d'Evry a réussi à obtenir une bactérie où la thymine de l'ADN a été remplacée par une autre molécule, le 5-chloro-uracile. Comment s'y sont-ils pris ? Ils ont commencé par retirer à la bactérie le gène de la synthèse de la thymine, ce qui la rend dépendante de la thymine qu'elle trouve dans l'environnement. Puis ils l'ont soumise à un environnement de plus en plus pauvre en thymine et de plus en plus riche en 5-chloro-uracile. Ceci a fait évoluer la bactérie vers le but voulu. Il faut bien comprendre qu'il ne s'agit pas simplement de remplacer une brique par une autre : les propriétés chimiques de la thymine et du 5-chloro-uracile sont un peu différentes, donc le remplacement nécessite forcément des modifications au niveau biochimique et génétique. Ces modifications n'ont pas été prévues et programmées, elles se sont faites par le processus darwinien d'évolution par sélection "naturelle" (la nature étant ici un environnement artificiel, modifié).

Au passage, tu as été bien inspiré quand tu as évoqué le problème du temps. Je cite un bout de l'article :
a écrit :En moins de cinq mois, mais en 2000 générations bactériennes l’équipe obtenait en juin 2009 des bactéries exemptes de thymine à quelques microtraces près. «Cette durée était totalement imprévisible», souligne Volker Döring, un biologiste allemand embauché par le CEA (Commissariat à l’énergie atomique et aux énergie alternatives), pour diriger les opérations de la «Machine à évoluer». Une imprévisibilité qui tient à «l’absence totale de théorie permettant de calculer à l’avance les chemins évolutifs possibles qui ont conduit la bactérie vers cet état inédit dans le monde vivant», explique t-il.


Bon, pour revenir au sujet, voila : la théorie de Darwin est prédictive, on peut même lui trouver des applications techniques. L'argument "le marxisme n'est pas prédictif mais le darwinisme non plus" ne tiens plus.

Autre remarque sur cette "preuve expérimentale" du caractère prédictif du darwinisme, pour mettre un bémol : c'est vrai que, comme souvent en sciences, ce n'est pas ce que Popper appellerait une expérience invalidante. Si l'expérience n'avait pas marché, la théorie darwinienne n'aurait pas été "falsifiée", puisqu'on aurait pu dire par exemple que c'était juste une question de temps...
Matrok
 
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Message par redspirit » 23 Fév 2012, 02:22

(luc marchauciel @ mardi 21 février 2012 à 08:06 a écrit : Je suis pas convaincu par ta deuxième phrase (celle qui qui donne une généralité théorique) alors peux-tu développer l'exemple que tu cites dans ta première phrase, pour voir ce que ça donne appliqué à un cas concret (en dehors du constat évident que les savoirs et les techniques du XIXe ne sont pas les mêmes que ceux du XIIIe siècle) ?

Luc, tu me demandes un exercice difficile. J’essaye de m’y prêter, mais je ne suis pas sûr que cela soit concluant. Désolé pour la longueur.

Je cherche à mettre en évidence que les conditions économiques et sociales d’une société déterminent :
(1) : son activité scientifique
(2) : le degré de ses connaissances

Je vais proposer deux arguments. Le premier repose sur une comparaison des évolutions majeures dans ce que l’on nomme les « sciences dures » entre l’époque féodale et l’époque capitaliste.
2 remarques :
- Ma comparaison porte sur le monde occidental.
- J’ai exclu la chimie car la comparaison avec le Moyen-âge aurait été difficile.
Le but n’est pas simplement de constater une transformation des savoirs, mais de voir que la vitesse des découvertes scientifiques est plus importante dans ces domaines sous le capitalisme que sous le féodalisme. A titre de précision, j’entends par capitalisme :
- le capitalisme marchand qui va du 16ème à la fin du 18ème siècle
- le capitalisme industriel du 19ème – début 20ème
- le capitalisme financier contemporain

J'ai fait deux petits tableaux, et je m'excuse pour les approximations.

1) Dynamique scientifique sous le féodalisme dans les sciences naturelles :

Biologie ==> Période de recul par rapport à l’Antiquité
Médecine ==> Période de stagnation, en particulier en Europe occidentale
Astronomie ==> Déclin en Europe Occidentale, se développe dans l’Empire Byzantin
Physique ==> Application de la physique aristotélicienne (stagnation)
Mathématiques ==> Nombre irrationnel + généralisation de l’algèbre (progrès)

2) Dynamique scientifique sous le capitalisme dans les sciences naturelles :

Biologie ==> ADN (20ème siècle)
Médecine ==>Vaccination (19ème siècle)
Astronomie ==> Big Bang (20ème siècle) + Aéronautique (fusées)
Physique ==> Héliocentrisme (16ème siècle) + Electricité (19ème siècle) +Relativité (20ème siècle)
Mathématiques ==> Nombres complexes (16ème siècle)


Je constate qu’en dehors des mathématiques, le féodalisme est une période au cours de laquelle le développement des théories scientifiques est inexistant ou même négatif. Les sciences naturelles se sont en revanche développées très rapidement à partir de la Renaissance.
Comment expliquer cette accélération dans la vitesse des découvertes scientifiques ? La cause, selon moi, c’est la modification des structures économiques et sociales.

Dans le capitalisme, l’innovation occupe une place tout à fait particulière. Elle permet de maximiser le taux de profit pour les entrepreneurs : la structure économique du capitalisme stimule la recherche du progrès technique car cela est devenu rentable. L’innovation offre aux entrepreneurs une position de monopole sur le marché qui leur permet soit de réduire leurs coûts, soit d’augmenter leurs marges par les prix, soit les deux. L’innovation occupe ce statut particulier pour deux raisons : les moyens de production sont privés et la recherche systématique du profit est la logique de la production (l'accumulation du capital). Le statut de l’innovation est directement déterminé par les structures du capitalisme. A l’inverse, à l’époque féodale, la recherche du profit n’est pas la logique systématique de la production et la recherche scientifique n’est pas indépendante vis-à-vis du discours religieux qui imprègnent toutes les sphères de la société.
Autrement dit, parce que l’on est passé du féodalisme au capitalisme, la vitesse à laquelle les sciences naturelles se sont développées a été multipliée. Il apparaît que les structures économiques et sociales déterminent son activité scientifique et ainsi son degré de connaissances.

Je suis un peu feignant, mais pour répondre à ta question Luc, je devrais également faire une comparaison de la vitesse de développement des techniques. Il me semble que le développement des théories scientifiques et leurs applications techniques est hautement corrélée. Je me l’épargne, mais elle serait plus concrète.

Mon second argument concerne le développement des sciences sociales. Ce n'est que sous le capitalisme que l'économie puis la sociologie se constituent en tant que discipline autonome, avec une logique propre et distincte des autres sphères de la société (une méthode pour la sociologie, plus qu'une logique). De même, l'histoire ou le droit ne se développe (même si elles existaient déjà avant) qu'intensivement sous le capitalisme. Evidemment, des phénomènes d'interdépendances sont à l'oeuvre. Ce que l'on constate néanmoins, c'est que l'ensemble des sciences sociales n'apparaît ou ne se développe qu'à partir du capitalisme. Et pour faire un peu de liant avec ce qui vient d'être dit par Matrok, je ne pense pas que les sciences sociales (contrairement aux sciences naturelles) permettent de faire des prédictions : leur rôle est d'expliquer le passé pour comprendre le présent. Toujours est-il que le contenu même des sciences est modifié par les structures économiques et sociales. Quel mécanisme est en oeuvre ici ? Je dirais la prise de distance par rapport à la religion. Les sphères se sont autonomisées petit à petit et ont fait apparaître des logiques indépendantes à la logique religieuse. Là encore, le contenu même de l'activité scientifique et donc le volume du stock de connaissances qui en découle est déterminé par des rapports sociaux selon que la religion occupe une place importante dans la société ou non.

Si je puis résumer en une phrase, je dirais que la comparaison de la vitesse de développement des savoirs scientifiques dans les sciences naturelles fait apparaître une vitesse nettement plus importante sous le capitalisme que sous le féodalisme en raison du rôle joué par l'innovation : la structure économique détermine le volume des connaissances. De plus, le développement des sciences sociales (avec l'apparition de l'économie et de la sociologie en particulier) démontre que le contenu même de l'activité scientifique est déterminé par des rapports sociaux et que cette apparition n'a été rendue possible que par l'autonomisation de ces champs vis-à-vis de la logique religieuse qui imprégnait toutes les sphères sociales sous le féodalisme, les rapports sociaux définissent ce qu'est la science (à cet égard, je donne un exemple concret : la théorie du juste prix de St Thomas d'Aquin qui n'a aucune prétention scientifique mais simplement la volonté de se conformer à la justice divine sous le féodalisme, alors qu'en économie les théories des prix contemporaines ont l'objectif de décrire un état de fait).
redspirit
 
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Message par canardos » 23 Fév 2012, 09:40

red spirit, le contenu d'une science, si tant elle qu'elle est une science, n'est pas déterminé par les rapports sociaux, mais par l'objet qu'elle étudie...c'est meme ça la différence entre science et croyances entre matérialistes et relativistes.

ce que les rapports sociaux et les superstructures politiques déterminent c'est les axes d'orientation des recherches, la liberté des recherches, l'effort consenti par la société..j’espère bien que si le prolétariat prendra le pouvoir, l'effort pour la recherche sera accru, les recherches seront plus libres et ne seront plus entravées par le secret industriel et le systeme des brevets...bref qu'elle connaitra par rapport à la société capitaliste un essor comparable à celui que la société capitaliste a su lui donner par rapport à l'ordre aristocratique ancien.

pour autant rien n'autorise à parler de science prolétarienne et de science bourgeoise, on peut seulement dire que le socialisme devrait permettre un nouvel essor des forces productives et de la recherche.

canardos
 
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Message par shadoko » 23 Fév 2012, 10:17

Moi, j'ai une autre question: le socialisme scientifique est-il une science, et si oui, qu'est-ce que c'est?
shadoko
 
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Message par logan » 23 Fév 2012, 10:19

La science est-elle au-dessus de la société ou en est-elle un produit ?

Peut-on dissocier l'incroyable essor des sciences depuis 2 siècles de l'essor du capitalisme ?
logan
 
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Message par Wapi » 23 Fév 2012, 10:46

Puisque tout le monde pose des questions, moi aussi !

Quand on en est à dix, on cherche un sage pour nous répondre . :sleep:


a écrit :red spirit, le contenu d'une science, si tant elle qu'elle est une science, n'est pas déterminé par les rapports sociaux, mais par l'objet qu'elle étudie...c'est meme ça la différence entre science et croyances entre matérialistes et relativistes.


C'est quoi un objet ? Qu'est-ce qui n'en n'est pas un ?

Peut-il y avoir une science de tout ? Ou encore (mais c'est pareil) la question "de quoi ne peut-il y avoir de science" a-t-elle un sens ? :wacko:
Wapi
 
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Message par canardos » 23 Fév 2012, 11:26

je vais essayer de répondre à logan et à wapi.

la science c'est l'étude de la réalité extérieure indépendante de l'observateur. quand je ferme les yeux, le monde ne disparait pas. Et cela quelques soient les rapports sociaux dans lesquels se meut l'observateur, ses conceptions idéologiques, sa vision du monde...ces rapports sociaux, ces conceptions, cette vision du monde peuvent être un frein ou au contraire un accélérateur, mais au bout du compte, ce qui fait d'une hypothèse une théorie scientifique, c'est sa conformité avec l'objet de l’étude, que cet objet soit l’étude de la société humaine, du psychisme humain ou l'étude des particules élémentaires.
Ce sont les relativistes comme Latour, dont se moquent Sokal et Bricmont, qui font de la science une idéologie une croyance qui n'est en dernière analyse pas validée par les faits observés mais par un consensus social...et j'ai l'impression que la science prolétarienne c'est un avatar de cette conception relativiste que Lénine dénonçait chez Bogdanov dans "matérialisme et empiriocriticisme".

de ce point de vue le matérialisme historique en tant que théorie générale de l'évolution des société a suffisamment été validé par les faits pour pouvoir être considéré comme une science sociale et un instrument d'action.

wapi, peut-il y avoir une science du tout? la question me parait mal posée. mais il peut y avoir des théories qui expliquent des lois générales, comme par exemple le matérialisme historique. encore faut il que contrairement à la psychanalyse qui prétend expliquer le psychisme humain elles acceptent au moins l'épreuve de la validation par la méthode inductive ou d'une éventuelle falsification.
canardos
 
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Message par Matrok » 23 Fév 2012, 15:10

J'ai retrouvé un vieux fil déjà existant sur le sujet :

http://forumlo.cjb.net/index.php?showtopic=3632

2003 ! :dead: Et dire que j'interviens dedans ! Bon, j'ai un peu évolué depuis... Je maintiens cependant sur le fond ma remarque d'alors, que proclammer que le marxisme est une science en plein XIXème siècle, ça n'a pas vraiment le même sens que de le faire aujourd'hui alors que la réflexion sur ce qu'est la science a beaucoup évolué.

Autre intérêt de ce vieux fil, Louis y avait posté ce lien là, qui contient une critique assez solide de certains raisonnements de Popper :
http://denis.collin.pagesperso-orange.fr/popper.htm
Parmi les références de cette critique, on trouve celle-là :
http://denis.collin.pagesperso-orange.fr/lenine.htm
Moins intéressant que la critique argumentée de Popper, il montre néanmoins que bien des points de la philosophie de Popper ne sont pas incompatibles avec le marxisme, en particulier que Popper avait lu et appréciait "Matérialisme et Empiriocriticisme" de Lénine...
Matrok
 
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