La mort du secteur psychiatrique est en marche...
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Roland LEBRET
Date: 15-02-2005 22:15
Ce que je lis parfois me pousse à vous proposer ma lecture de la circulaire du 25 octobre 2004.Ce fut écrit avant les annonces du Ministre et alors que je n'avais pas connaissance du document de travail d'où il a habilement extrait ses annonces.
[b][center]MORT SUR CIRCULAIRE OU LA PSYCHIATRIE DISSOUTE DANS LA SANTE MENTALE[/center][/b]
Il nous est arrivé par le passé de combattre l'ordre psychiatrique afin d'arracher la psychiatrie à son obscurantisme et redonner la parole aux sujets. Nous ne pensions pas alors que la psychiatrie pouvait disparaître, du moins celle à laquelle nous voulions participer.
Aujourd'hui, c'est chose faite.
La psychiatrie est coulée dans le béton de la santé mentale. Son organisation au sein de ce qui fut appelé le secteur est liquidée. C'est cette liquidation que nous conte la circulaire du 25 octobre 2004 qui, si nous n'oublions pas de l'associer à ce qui se joue autour de la réglementation des psychothérapies, transcrit la totalité du rapport Cléry-Melin, dont l'histoire pourra retenir qu'il acheva la liquidation d'une pratique en psychiatrie qui, faute de lutter, de cesser de s'interroger, a fini par accepter la bassesse des compromissions de l'ordre chimique, de l'ordre moral et de l'ordre économique.
Vous avez des besoins !
Ils ne sont pas satisfaits !
Nous allons les satisfaire !
Voilà ce que nos fossoyeurs bienveillants nous déclarent. Ils pensent ainsi nous captiver en nous invitant à ne pas penser. Nous aurions tous des besoins en santé mentale soit pour être soignés soit pour nous sentir en sécurité face aux besoins et aux troubles des autres. Ce dernier point est un peu trop à la mode de nos jours. Il parait que la psychiatrie de secteur ne peut les satisfaire. Il est vrai qu'on a souvent oublié de lui en donner les moyens et qu'on c'est même méthodiquement efforcé de les lui enlever. En conséquence comme on n'a pas l'intention de rectifier le tir, bien au contraire, il est donc logique d'affirmer qu'elle ne pourra pas, à l'avenir, les satisfaire davantage.
Alors exit le secteur psychiatrique et vive le SROSS DE TROISIÈME GÉNÉRATION qui, aux générations précédentes, a déjà si bien oeuvré pour développer les alternatives à l'hospitalisation et les soins ambulatoires, dans le seul but de liquider le tissu des structures de l'intra et de l'extra-hospitalier public.
Voilà comment on réécrit l'histoire non pas au nom de funestes besoins mais au nom de funestes désirs. La politique de secteur se voulait, au moins pour certains, une recherche théorique et pratique qui ne partait pas des besoins mais, pour le dire le plus simplement, du symptôme. Qui refusera de voir la véritable régression mentale qu'on nous offre en nous encrant dans les besoins ! Les besoins à la place du désir et de la pensée.
Là où était la psychiatrie publique de secteur doit advenir le SROSS de troisième génération qui unira la médecine, le social, le médico-social, l'éducatif et le judiciaire et bien sûr les structures de soins privées. Le secteur n'est plus pris que par son biais fonctionnel pour soit disant assurer l'accessibilité, la continuité, la pluridisciplinarité et la fameuse qualité des soins.
Exit ce qui faisait sa particularité : la prévention, le diagnostic, les soins, la réadaptation et l'insertion sociale. Virons le maximum au social et au médico-social, aux structures privées et, pourquoi pas, au judiciaire qui a déjà amplement pris sa partie dans l'affaire. Il ne faudrait quand même pas oublier que vos besoins peuvent devenir des troubles à éradiquer. N'oublions pas non plus que pour voir nos besoins en santé mentale satisfaits, il vaut mieux que nous en ayons qui soient prioritaires parce que relevant d'une classe d'âge ou de troubles : enfants et adolescents, personnes âgées, les handicapés pour cause de troubles psychiques, les autistes et les troubles envahissants du développement, les précarisés et les exclus dont on laisse entendre qu'ils ne faut pas trop nous en occuper afin de ne pas psychiatriser le malaise social et, enfin, ceux qui ont des pratiques addictives.
A lire cette liste, pas de doute : les populations à risques ne sont pas oubliées ! De la naissance à la mort ! Et le tissu social et médico-social,éducatif et judiciaire doit être dans le coup. La psychiatrie n'est finalement nécessaire qu'à la marge et ponctuellement.
Pour que cette vaste entreprise marche bien, il faut évaluer les besoins !Actuellement des modules d'évaluation épidémiologique des besoins en santé mentale sont en cours de rodage. Disons que les régions devront évaluer toutes de la même façon à terme. Pas question de se laisser aller. La psychiatrie, coulée dans le béton de la santé mentale ainsi ferraillé, du social au judiciaire, assurera une fonction de conseil et de formation et, n?en doutons pas, disparaîtra tout à fait dans la fonction d'expertise qu'on lui aura réservé pour lui faire oublier sa mort.
Résumons : La psychiatrie publique de secteur n'a pas rempli sa mission et elle ne le pourra pas.Seuls les SROSS de troisième génération le permettront parce qu'ils réduisent la psychiatrie à n'être qu'une action ponctuelle entre des institutions et des acteurs qui en amont et en aval se chargeront de faire ce qu'elle faisait ou aurait du faire, si on lui en avait donné les moyens. Il s'agit de dépsychiatriser c'est-à-dire de mettre fin au service public de psychiatrie de secteur.
Exit donc le secteur et ses pratiques qui ont, remarquons le au passage, abrité la pratique de la psychanalyse dans de multiples secteurs à une époque dont nous nous éloignons de plus en plus.
Et vive le territoire de santé qui remplace et détruit le secteur afin de faire passer le service public de psychiatrie au médico-social et au secteur privé. Les recettes sont bien connues. L'ambulatoire se voit accolé aux soins généralistes de premier recours et l'hospitalisation complète n'existe que sous réserve que la qualité et la sécurité des prises en charge soient assurées ! Autant dire qu'elle devrait disparaître sur l'ensemble du territoire ! On nous propose de différencier les réponses aux besoins, de regrouper les patients selon le mode de placement, la durée et, bien sûr, la mutualisation des ressources disponibles, y compris avec le privé. Toutes ces mesures doivent accélérer la politique de liquidation en marche depuis ces 20 dernières années. L?intersectorialité et les fédérations doivent permettre de faire advenir le territoire qui au-delà du département peut créer des structures pour les agités, les dépendants institutionnels, les difficiles au niveau régional ou interrégional et tout ceci dans l?alliance public-privé lucratif et non lucratif, sans oublier la nécessaire délégation au social et au médico-social.
Le territoire qui va du département à l'interrégional sera aussi territoirede concertation. Exit le CDSM et vive les expériences diverses de concertation qui excluent les organisations syndicales comme les commissionsde psychiatrie, les conseils de secteurs, les conseils locaux de santé mentale etc Le tout sera parachevé par des conférences sanitaires.
Tout ce beau monde fera le diagnostic de nos besoins. Soyons certains que même nos besoins pourraient bien nous échapper !
Cette circulaire signe la mort d'une psychiatrie publique ouverte à tous et qui considère que sa tâche est d'être à l'écoute de tous ceux qui s'adressent à elle. Cette circulaire a précisément pour mission de faire qu'on ne s'adresse plus à elle et que, dissoute dans la médecine générale, le social, le médico-social, l?éducatif, le judiciaire, elle ne soit plus que l'ombre de ce qu'elle a pendant quelques décennies souhaité devenir, tout au moins dans certains lieux et dans la pratiques d'un certain nombre de ses acteurs.
Là où la psychiatrie publique de secteur a échoué, le territoire doit advenir. En Indre et Loire, Mission Massé et Commission de psychiatrie ont préparé le terrain pour ne pas dire le territoire !
La lecture que nous vous proposons de cette circulaire est une lecture qui tient compte de tout ce qui l'encadre. Il serait trop long de tout reprendre ici. Cette circulaire permettra sans doute à certains d'en faire une tout autre lecture, en se laissant aveugler par les termes de soins de proximité, de qualité, d'ambulatoire, d'accessibilité, de continuité, de cohérence, de réponses souples et évolutives.Qu'il suffise de nous rappeler que le drame de PAU aurait probablement pu être évité si la psychiatrie se voulait ouverte à toutes les demandes et qu'elle en exigeait les moyens. Le drame de PAU ne saurait faire oublier tous ceux qui se déroulent en silence.Le couple psychiatrie et santé mentale qu'on veut nous faire accepter n'est qu'une arnaque pour ne pas dire pire : une saloperie aux conséquences dramatiques. Le plan de santé mentale annoncé samedi 5 février, ne soyons pas dupe ne fera que reprendre cette circulaire, même s'il a l'habileté de le dissimuler. S'il prétend autre chose : alors il doit annoncer l'annulation de celle-ci.
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