la psychiatrie en France

Et lutte contre les pseudo-sciences et les obscurantismes

Message par Cyrano » 02 Mars 2005, 23:34

France-Inter. Mardi 22 février. Emission Alter-Ego. (suite)
Un reportage où on entend Jean-Charles Pascal, nouveau président de la Fédération Française de Psychiatrie.

La fermeture des lits en psychiatrie

J.C. Pascal : Sur l'Ile-de-France, que je connais bien, tous les soirs, c'est la recherche d'un lit. Il y a plusieurs heures passées par les cadres-infirmiers pour chercher un lit de psychiatrie. Donc, ce sont des conditions de travail tout à fait négative. Ce qui nous amène à faire ressortir des patients plus tôt qu'ils devraient pour, effectivement, pouvoir accueillir d'autres qui arrivent.
Bien évidemment, on ne fait pas sortir de patients dont on sait qu'ils ont un potentiel de dangerosité mais ce contexte général, dans lequel nous travaillons, n'est pas bon, ni pour les patients, ni pour la qualité du soin qu'on peut délivrer.
Il faut cesser de fermer les lits, ce qui amène à des nécessités budgétaires. Il faut que la psychiatrie conserve un budget autonome pour pourvoir se développer et délivrer des soins de qualités.
Cyrano
 
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Message par Cyrano » 02 Mars 2005, 23:35

France-Inter. Mardi 22 février. Emission Alter-Ego. (suite)

Schizophrénie et dangerosité
– J.P. Olier : Lorsque on parle des malades psychiatriques et dangerosité, on pense schizophrénie, il faut le dire.

– P. Martin : Qu'est ce que c'est d'ailleurs qu'un schizophrène ?

– J.P. Olier : Les troubles schizophréniques sont des troubles qui débutent vers l'adolescence et qui se manifestent par trois ensembles de symptômes – nous disons : trois patterns de symptômes – ou trois groupes de symptômes.
Ce sont, d'une part, ce que nous appelons des symptômes positifs, c'est à dire : des hallucinations, du délire, c'est à dire des manifestations psychiques positives, parce que elles n'existent pas dans la psychologie ordinaire; d'autre part, des manifestations psychiques que nous disons négatives, parce que il y a un déficit de ce qui existe normalement. Ces manifestations négatives, c'est le retrait, le repli, l'indifférence affective et émotionnelle, l'émoussement émotionnel. Et troisièmement, des éléments de désorganisation de la vie psychique et comportementale qui donnent des bizarreries…

– P. Martin : par rapport aux autres ? à la réalité ?

– J.P. Olier : Tout ça fait… Ces troubles schizophréniques débutent donc vers l'adolescence, qui débutent avant trente ans. Il y a tous ces symptômes qui peuvent s'allier, s'amalgamer de manières différentes selon l'individu.
Il s'agit d'une maladie chronique dont le destin, si je puis dire, se scelle dans les cinq premières années de son évolution. C'est à dire que ce qu'il en est après cinq ans d'évolution est très indicateur de ce qu'il en sera vingt ou trente ans plus tard.
Donc, c'est en général à propos des troubles schizophréniques qu'on évoque la dangerosité. Globalement, la population des patients atteints de troubles schizophréniques n'est pas plus dangereuse, agressive, que la population générale. Par contre, les patients atteints de troubles schizophréniques, qui sont premièrement : désocialisés, c'est à dire qui sont à la rue, qui n'ont pas de support social; deuxièmement : qui consomment des toxiques – et vous voyez que souvent les deux dont liés; et troisièmement : qui ne sont pas suivis, traités, qui ont interrompu leur traitement, eux, sont huit fois plus dangereux, commettent huit fois plus souvent des actes anti-sociaux que la population générale.
Qu'est ce que ça veut dire ? Ça veut dire que la première sécurité, la première prévention, c'est le soin. C'est à dire, c'est se mettre dans des conditions telles que l'on peut continuer à suivre ces patients; que s'ils tentent d'échapper aux soins on puisse savoir où ils sont (alors que ils sont sous un pont, alors, évidemment, on ne sait pas sous quel pont ils sont). Donc, pouvoir les protéger éventuellement des effets délétères des toxiques (cannabis, alcool).
Donc, ça il faut le savoir : le sujet pour lequel a été porté le diagnostic de trouble schizophrénique, qui se retrouve seul, décroché socialement, avec des toxiques, et qui ne prend plus sous traitement, et bien, là, on entre par définition dans une zone de dangerosité.
Cyrano
 
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Message par Cyrano » 02 Mars 2005, 23:37

France-Inter. Mardi 22 février. Emission Alter-Ego. (suite)

Suivi du patient, médicaments, DSM (classification psychiatrique anglo-saxonne).

En ligne, Emile Rafovitz, psychiatre, responsable d'un CMP (Centre Médico Psychologique) de Boissy Saint Léger qui a en charge la politique de secteur.

– E. Rafovitz : Monsieur Olier a dit des choses extrêmement importantes notamment, moi je retiendrai surtout ce qu'il a dit concernant la maladie mentale et le statut de la maladie mentale. Il a été dans l'obligation de dire : la maladie mentale existe. Il est vrai qu'aujourd'hui on assiste à quelque chose d'assez étonnant : c'est que depuis à eu près une quinzaine d'années le statut de la maladie mentale a perdu de sa pertinence probablement du fait d'une nosographie, une manière de classer les maladies mentales qui nous est arrivée des pays anglo-saxons – je parle du DSM 4 qui parle davantage de désordres mentaux et non plus de maladies mentales. [...]
Une bonne partie de notre activité, c'est d'écouter la patient. On ne le dira jamais assez : on ne peut pas faire de psychiatrie dans l'urgence, dans le temps de crise.
Il est vrai aussi que cette conception de la maladie mentale fondée, aujourd'hui, un peu plus qu'il y a quelques temps, sur un désordre biochimique, et que la place du médicament se trouve être mis en avant au détriment de tout ce qui est écoute, prise en charge au long cours, et l'accompagnement social. Il est probable que cette place du médicament… – on n'a pas encore trouvé la pénicilline de la maladie mentale, donc on ne peut pas la soigner… on ne peut pas la guérir définitivement – Il faut certes se servir du médicament mais plus encore il faut être à l'écoute, il faut s'accorder du temps, il faut connaître l'histoire du patient. Et ça, toute cette dimension s'est petit à petit atrophiée. [...]
J'ai sous les yeux, par exemple, un des dernier numéro de la revue "Esprit" de novembre 2004. Il est intitulé "Guerre du Sujet". Evidemment, c'est un peu forcé, bien entendu, c'est un titre accrocheur et Ehrenberg pour le nommer dit qu'il y a le sujet parlant et le sujet neuronal. Bien entendu cette espèce de clivage ne sert personne, il faut vraiment revenir à un dialogue nécessaire. Mais je dois avouer qu'il met en avant une des grosses difficultés pour la psychiatrie, à savoir qu'il s'agit de rétablir cette écoute nécessaire et ce lien psycho-pathologique que ces nosographies anglo-saxonnes mettent de coté au profit d'une description du comportement.
Je crois que là, si l'on veut effectivement – non pas, prévoir à tous les coups – mais être suffisamment présent auprès des patients pour les écouter dans un compagnonnage, je crois qu'il faut vraiment rétablir dans les formations cette écoute nécessaire sur ce qui joue dans le trajet et dans l'histoire de chacun des patients dont nous nous occupons.

– J.P. Olier : Je connais des psychiatres américains qui sont tout à fait catastrophés de la manière dont la psychiatrie tend à se pratiquer aux Etats-Unis.
La psychiatrie, comme toutes les disciplines… (et ça, j'insiste, parce que ce n'est spécifique à la psychiatrie – un diabétologue ne soigne pas bien un diabétique au long cours s'il n'a pas une relation privilégiée avec lui, s'il n'a pas un bon contact pour le convaincre de suivre son régime, d'être compliant à son traitement et à toutes les exigences de sa maladie), eh bien nous c'est pareil, c'est peut être plus encore, mais c'est pareil.
Il est bien évident qu'on en soigne pas un malade psychiatrique avec des médicaments – point à la ligne ! Et aujourd'hui, on ne soigne pas un malade psychiatrique avec une psychothérapie – point à la ligne ! Ou on ne le soigne pas avec des mesures sociales – point à la ligne ! On le soigne avec l'ensemble de ces choses là et en faisant du sur-mesure pour chaque patient.
Mais là où mon collègue… – je suis peut être un tout petit peu en décalage avec lui – c'est que, pour avoir de l'écoute, pour prendre le temps d'accompagner le patient, eh bien : il faut du temps effectivement, et il faut du temps humain, et il faut des moyens humains. Si on donne le médicament pour remplacer ça, c'est un usage détestable du médicament qui n'est pas fait pour ça.
Le médicament est fait pour faire que ce temps humain soit utilisable de manière constructive pour la patient et pour son entourage.
Cyrano
 
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Message par Cyrano » 02 Mars 2005, 23:39

France-Inter. Mardi 22 février. Emission Alter-Ego. (suite et fin)

Rapport de l'Inserm

[Patricia Martin résume les deux interventions précédentes puis, curieusement parle de la "psychanalyse", alors que le mot prononcé était "psychothérapie".]

– P. Martin : Faire les choses ensemble, et peut être même avec complémentarité… Par exemple, vous parliez à l'instant de la psychanalyse… il y a des psychanalystes qui ne sont pas médecins, qui ne sont pas psychiatres. On sait qu'ils ont été un peu mis à mal; là, ça a l'air de s'être arrangé. Il y a eu un forum organisé il n'y pas très longtemps à la Mutualité. Je crois que les propos du ministre de la santé qui se sont tenus là ont fait plaisir à tout le monde.

– J.P. Olier : Ah non, non, ils sont scandaleux. Je pèse mes mots.

– P. Martin : Parce que les psy étaient très contents…

– J.P. Olier : Non, non. Les propos du ministre de la santé sont scandaleux, je pèse mes mots.

– P. Martin : Et pourquoi ? [contrariée]

– J.P. Olier : Je pèse mes mots même si je dois aller lundi prochain au Cabinet du Ministre de la Santé. Ils sont scandaleux pourquoi ? Parce que aujourd'hui, personne ne peut dire qu'il a la vérité sur la maladie et la souffrance psychique. Personne !
La psychanalyse a apporté sa contribution, elle l'apporte; la neurobiologie, les neurosciences et les médicaments ont apporté leur contribution et ils l'apportent; la conception sociogénétique des sociologues ont apporté leur contribution et ils l'apportent. Personne ne peut dire qu'il a la vérité révélée.
Ce que j'appelle scandaleux, c'est l'attitude qui consiste à censurer un rapport de l'Inserm sur l'évaluation des psychothérapies, par monsieur Douste-Blazy. C'est irrecevable.
C'est irrecevable, pourquoi ? C'est irrecevable, parce que ce travail a été fait sous l'égide de l'Inserm, de manière tout à fait rigoureuse et ce travail n'a jamais eu la prétention d'apporter une réponse définitive. Il est une proposition, une réflexion sur : comment peut-on évaluer, à un moment donné, les stratégies que nous mettons en place. Et les attitudes – et si j'ai bien compris, à la Mutualité, c'était cette attitude – les attitudes qui consistent à dire qu'on n'a pas à évaluer eh bien je leur en laisse la responsabilité, parce que elles ne sont pas médicales, elles ne sont pas réalistes.
Et je dirais : elles ne sont pas respectueuses du patient.
Cyrano
 
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Message par Corto » 04 Mars 2005, 21:35

Cette article a été publié sur plusieurs site avec des titres diffèrents et en partie dans Libé.

Le drame de Pau a donné lieu à une médiatisation de la situation de la psychiatrie. Le ministre de la santé s’est mobilisé de façon remarquable sans doute pour ne pas reproduire l’erreur coupable de son prédécesseur face à la catastrophe sanitaire de la canicule. Sans doute aussi en réaction à l’horreur de ce double meurtre. On l’a vu en urgence réunir un dimanche les syndicats, puis retrouver les frissons d’une garde à l’hôpital psychiatrique. Spectacle !
Cependant, l’annonce immédiate de certaines mesures caressent l’opinion dans le sens du poil, et chercheraient à rassurer les soignants. Elles apparaissent particulièrement inadaptées face à l’ampleur des difficultés de la psychiatrie. La plus stupéfiante, car totalement à côté de la plaque : la mise en contact des services qui le demandent avec le commissariat de police le plus proche ! Comme si face à une situation de violence ou d’agitation, les soignants allaient appeler la police ! pourquoi pas la B.A.C. ou les CRS ? Et supposer la police accepter de se rendre dans un service ! Aucune réflexion quant au lien qui s’instaurerait dès lors dans l’esprit de chacun entre psychiatrie et police ! Voilà la fliciatrie promue par le ministre de la santé … C’est rester dans la droite ligne du tout sécuritaire ambiant, et éviter d’affronter les questions sous-jacentes à la violence qui se développent dans les services et sur le secteur.
C’est surtout poursuivre la politique de la poudre aux yeux, de l’esbroufe, de l’esquive, car malgré ces apparences ou les effets d’annonce, se met en place une politique très agressive…pour la psychiatrie et les hôpitaux
Nous avons également entendu des syndicats de psychiatres profiter de ce tragique évènement pour avancer de nouvelles revendications catégorielles, invoquer les rémunérations des psychiatres publics comme cause de la pénurie de psychiatres ! Une honte !
Ce qui frappe surtout dans les réactions publiques c’est la pauvreté de l’analyse, l’absence de mise en perspective de la crise profonde qui affecte le monde des soignants, et qui retentit sur le type des soins institutionnels proposé aux patients.
En effet, la pénurie a été dénoncée, le manque de moyens en personnel a été stigmatisé. Certes ce problème existe. Il est dramatiquement concret dans le quotidien des services et de la psychiatrie à l’extérieur des hôpitaux. Le manque d’infirmiers, la non-attractivité pour les jeunes diplômés (et le double meurtre de Pau ne va rien arranger à la situation), la diminution du nombre des psychiatres que ce soit dans le service public, comme dans le privé, l’insuffisance de postes de psychologues sont autant de témoins qui sont « au rouge ». Mais on ne peut plus se limiter à cet aspect. Ce qui est en question, c’est la transformation de la psychiatrie, l’abandon de sa dimension humaine, pour s’adonner à la technique. Quelle Politique est à l’œuvre dans le champ de la pratique ?
L’ampleur de la catastrophe qui atteint toute la psychiatrie, publique et privée, est telle qu’il n’est pas un congrès, un colloque, des journées institutionnelles, au cours desquels ne soit évoquée la « destruction » de la psychiatrie. Et ceci depuis plusieurs années. Le point d’orgue en fut les États Généraux de juin 2003 à Montpellier, qui avaient réuni plus de deux mille professionnels tous statuts confondus. Le drame de Pau vient susciter une effervescence légitime dans les hôpitaux : il est peut-être encore temps de lancer un large débat public, d’informer et de stimuler une profonde réflexion, de provoquer une remise en question des politiques, des psychiatres et des soignants. L’inflation des nouvelles demandes faites à la psychiatrie, amplifiée par la psychologisation de toutes les difficultés survenant dans le champ social et dans la sphère privée, doit être interrogée. Après l’affaire de la réglementation des psychothérapies, voilà un chantier qui doit ouvrir sur des transformations, car la crise est très profonde, dépasse le champ psy : elle concerne le lien social lui-même. Mais d’abord la violence : elle s’est installée dans les hôpitaux. Les hôpitaux, comme l’école, ne sont pas isolés du social. Cette violence est directement liée à la précarisation, à la pauvreté du Politique, à l’idéologie sécuritaire qui tient lieu de pensée, au triomphe de l’individualisme et à la dureté du libéralisme économique. La violence, elle, s’exhibe sur les écrans, elle est en expansion, parfois prenant l’aspect de la terreur aveugle, parfois sous le mode des politiques guerrières, répressives. Mais aussi sous d’autres modes, plus soft mais tout autant dévastateurs, dans le cadre des conditions de travail, par exemple.
Dans les hôpitaux psychiatriques, les soignants sont confrontés de plus en plus à des situations difficiles, et dans le désarroi qu’elles génèrent, des réponses à courte vue sont envisagées, et parfois se mettent en place : pavillons pour malades « difficiles »(?) « perturbateurs » ( ?); vigiles avec chiens ; élaboration de procédures pour mise en chambre d’isolement.. Des fiches « d’événements indésirables » doivent désormais être remplies ! Mesure dérisoire qui s’en tient à la quantification, donne l’illusion de la prise en compte d’un incident. Les chambres d’isolement se multiplient.
Une véritable régression s’opère et ceci malgré le développement des traitements psychotropes, les progrès psychothérapiques et psychanalytiques dans l’approche des psychoses, la diversité des alternatives à l’hospitalisation, l’implantation de la sectorisation,la multiplication des structures sur le territoire. Il suffit d’un incident de plus, d’une agression dans un service, pour que soit réclamé plus de traitement, que certains poussent à la création d’Unités spécifiques, que d’autres avancent des propositions de nouvelles ségrégations par pathologies !
Pourtant, un jeune interne avait écrit sa thèse sur « Essais de traitement collectif du quartier d’agités ». C ’était en …. 1951 ! Il s’appelait Philippe Paumelle. Les neuroleptiques n’existaient pas encore dans les HP. Un groupe de psychiatres s’était mobilisé depuis la guerre pour inventer des pratiques humaines d’accueil de la folie, travaillait à l’articulation entre psychanalyse et politique dans le cadre du mouvement de psychothérapie institutionnelle, se battait pour la création d’une Politique de Santé mentale : la psychiatrie de secteur.
Ce mouvement allait aboutir aussi en 1969 à la séparation de la psychiatrie de la neurologie. Autonomie de la psychiatrie au sein de la médecine, mais elle n’est pas une spécialité médicale comme les autres. Dans un article remarquable, Bernard Odier, psychiatre des hôpitaux, évoque une « menace interne, représentée par les psychiatres qui, au nom d’un idéal de scientificité, nieraient toute pertinence à ce qui, en psychiatrie, n’est pas scientifique. » Et plus loin : « Il y a chez les psychiatres une hâte à vouloir profiter des retombées de la médecine, par crainte d’en être rejetés (...). Symboliquement, il s’agit de mouvements d’allégeance à la médecine (...), ce qui les conduit à singer la médecine ».
En effet, un vaste mouvement de remédicalisation s’est opéré depuis 20 ans avec la disparition de l’internat de psychiatrie, la suppression du diplôme d’infirmier psychiatrique. Les élèves infirmiers effectuent désormais deux mois en psychiatrie dans le cadre de leur formation ! La formation des psychiatres s’organise dans les CHU, dans des services ayant trop souvent des pratiques axées sur une orientation biologique et comportementale. Les apports de la psychanalyse sont combattus violemment par les tenants des thérapies comportementales. À cela s’ajoute la suppression de la dimension soignante dans la formation et la pratique des cadres de santé (les surveillants-infirmiers) ; ils sont assignés à une position de stricte gestion administrative, avec parfois les outrances bureaucratiques dans lesquelles certains se complaisent ! Il en découle de terribles pressions sur les personnels, des luttes de pouvoir voire de défiance vis-à-vis des médecins. Il faut reconnaître cependant que ces derniers, dans leur majorité, ne sont pas indemnes de responsabilité dans ces conflits de pouvoir, l’esprit de féodalité ou de mandarinat infiltre toujours les positions médicales dans les services. La collégialité, le savoir-faire infirmier ne sont pas suffisamment pris en compte ce qui génère frustrations, rancoeurs, passages à l’acte institutionnels. Quant aux Directeurs des soins, nouvelle appellation des Infirmiers Généraux, imposée par le ministère au grand dam de tous les syndicats de psychiatres, ils sont de véritables courroies de transmission de l’Administration pour faire appliquer les politiques économiques et comptables. Ainsi nous avons une chaîne de pression qui opère dans toute l’organisation hospitalière. Il s’agit là d’une forme de violence aussi insidieuse qu’efficace!
Un fonctionnement bureaucratique est également à l’œuvre dans les établissements : il n’est question que de procédures, de protocoles, qui visent à uniformiser les pratiques, une entreprise de mise aux normes. Ce que nous retrouvons dans le domaine général de la Santé, de la pseudo réforme de l’Assurance Maladie avec le concept de « bonnes » pratiques, les conférences de consensus, les procédures d’évaluation, les ravages que peut provoquer l’A.N.A.E.S. Cet ensemble est exacerbé dans les processus d’Accréditation des établissements hospitaliers, de multiples réunions, des tonnes de documents sont élaborées pour améliorer LA qualité… mais attention, pas la qualité des soins, la qualité de l’apparence et des normes : la signalétique des établissements, l’affichage des droits des usagers, le nettoyage des surfaces, la traçabilité des aliments etc. etc. Même le dossier patient est l’objet d’une mise aux normes, avec en arrière plan la crainte d’éventuelles poursuites judiciaires par les patients. L’introduction des « transmissions ciblées » pour les infirmiers dans ce dossier vise explicitement à « un gain de temps », à ne plus se perdre dans le narratif, à gommer toute subjectivité, à aller à l’essentiel : une véritable novlangue est ainsi élaborée, une attaque du discours clinique singulier est entreprise : le discours du patient doit être formaté pour être consigné et réduit dans le dossier.
À tout cet ensemble, s’ajoute la question de la pratique proprement dite : la place des psychotropes, devenue prépondérante, rejetant dans l’oubli, voire dans le mépris, l’approche institutionnelle, collective, ignorant par exemple, la conceptualisation et les apports féconds de la psychothérapie institutionnelle. Les laboratoires pharmaceutiques ont mis au point des stratégies très fines pour séduire les psychiatres, investissant le champ de la formation continue, suscitant de façon très sophistiquée des demandes avant de proposer leur offre (par exemple en direction des familles de patients). L’obsession de la durée de séjour, les « externements arbitraires », l’absence d’activité pour que les patients ne prennent pas trop goût à l’hôpital (sic), auxquels s’ajoute la pseudo dissociation du sanitaire et du social pour les patients psychotiques, ont conduit au règne du « fast-traitement », à la psychiatrie « moderne » ! Les patients les plus lourds se retrouvent souvent dans la rue, clochardisés, au mieux dans des hôtels sordides, ou dans les prisons ! Cette politique des soins est le résultat du détournement de la critique de l’Asile des années 70. Certains psychiatres s’en sont faits les hérauts en prônant une installation de la psychiatrie dans les hôpitaux généraux, mais en ignorant totalement ce qu’il en est de la logique asilaire. Ce sont les mêmes qui vantent les bienfaits des traitements obligatoires à domicile, des injonctions thérapeutiques pour les délinquants sexuels… L’asile est bien de retour.
Ce dont nous avons peut-être le plus besoin aujourd’hui c’est d’un mouvement qui viendrait remettre vigoureusement en cause le nouvel ordre technico-médical et administratif, et le corporatisme qui nous ont apporté les merveilles du paysage psychiatrique actuel. En 1952, un numéro de la revue Esprit fut publié: il avait pour titre « Misère de la Psychiatrie ». Avons-nous progressé en cinquante ans ?

Paul Machto
Psychiatre - Psychanalyste
Corto
 
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Message par Wapi » 22 Mai 2005, 19:59

Dans LO cette semaine :

a écrit :Lutte Ouvrière n°1920 du 20 mai 2005

Hôpital psychiatrique Sainte-Anne (Paris) : fermeture de la Chirurgie

Les malades mentaux peuvent avoir besoin, comme n’importe qui, d’une intervention chirurgicale. Le service de chirurgie générale de l’hôpital Sainte-Anne, à Paris, avait l’originalité d’être adapté et réservé aux malades mentaux, ce qui facilitait leur prise en charge. Le personnel, formé à la psychiatrie, savait comment aider les malades à accepter les soins, à force de patience et d’expérience. Malheureusement, ce service vient d’être supprimé.

Au milieu des années 1980, l’encadrement commença à parler de fermeture de ce service spécialisé, sous prétexte que partout ailleurs les malades mentaux étaient opérés dans les hôpitaux généraux, ce qui allait dans le sens de leur «insertion sociale». En fait, c’était surtout pour des raisons d’économies: «Cela coûte trop cher. La double pathologie psychiatrique et chirurgicale réclame trop de personnel», entendait-on.

Obstinément, l’équipe de ce service, toutes catégories confondues (infirmières, aides-soignants, agents, etc.), a défendu le maintien de son activité. Il y a eu de multiples démarches auprès du directeur de la DASS et du ministère de la Santé. Face à une mobilisation tenace, la direction de l’hôpital a reculé la fermeture pendant des années. Néanmoins, elle a diminué petit à petit le nombre de lits qui, d’une quarantaine, sont tombés à quatorze, tout en prenant volontairement de moins en moins de malades. Alors la direction de l’hôpital s’est mise à ne plus remplacer les départs en retraite, réduisant peu à peu personnel et chirurgiens, jusqu’à la fermeture totale de mars 2005, avec redéploiement du personnel restant vers d’autres services.

Les conséquences négatives de cette fermeture se font sentir dans tout l’hôpital. Par exemple, alors que les services psychiatriques manquent de personnel, il faut qu’une infirmière parte accompagner un malade à Cochin, l’hôpital général le plus proche, et reste à ses côtés, souvent une demi-journée. Au retour d’une opération chirurgicale, les soins de suite posent souvent problème. Pour l’instant, le seul palliatif trouvé par la direction est la mise en place de consultations par un généraliste dans l’hôpital.

Pour tous les anciens de l’équipe de la «chir», c’est la tristesse et l’amertume de voir disparaître un service qui apportait un plus aux malades mentaux. Mais donner du fil à retordre à la direction de l’hôpital, pour défendre leurs conditions de travail et refuser une politique de restrictions budgétaires, les a soudés entre eux, et cela reste un atout pour l’avenir.

Correspondant LO
Wapi
 
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