a écrit :Quand le psychisme est réduit au biologique*
Notes au sujet de la synthèse du rapport « Psychothérapie, trois approches évaluées » de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale
« Ils semblaient craindre d’accorder à la vie de l’âme une certaine autonomie, comme s’ils eussent dû, ce faisant, quitter le terrain de la science »
Le cadre du rapport, en citations :
« La psychiatrie française a été l’une des plus brillantes. Maintenant, l’évaluation se fait par rapport à un passage aux Etats-Unis. L’INSERM semble avoir complètement intégré l’idée que la bonne recherche est à l’étranger. »
Note : Comité d’interface Inserm-psychiatrie , compte rendu de la réunion du 4 décembre 2000 « La DGS […] a sollicité l’Inserm sur le thème : “Evaluation des psychothérapies : étude et évaluation sur la réalité des pratiques de psychothérapie proposées en France par différents acteurs de santé en corrélation avec les études menées sur l’évaluation des psychothérapies“. »
Note : Comité d’Interface Psychiatrie, Compte-rendu de la réunion du 18 septembre 2001 « « Evaluation des Psychothérapies »
- 1ère réunion à l’Inserm, sous la présidence de Mme Etiemble avec des représentants de l’IC (MC. Mouren-Simeoni, JL. Martinot) , du CI (JM. Thurin), de l’animation de la recherche (Mmes J. Delbecq et S. Ledoux) : définition des bases de l’expertise, existence d’une bibliographie, composition du groupe d’experts
- 2ème Réunion DGS-ANAES-INSERM sur les psychothérapies (J.M. Thurin)
positionnement de l’INSERM : se centrer sur la littérature internationale
positionnement de l’ANAES : établir un état des lieux des pratiques de psychothérapie en France Actuellement. »
Comité d’interface psychiatrie, Compte rendu de la réunion du 4 Février 2002 Le rapport de l’Inserm répond donc à moitié à la demande de la Direction Générale de la Santé. Il devra s’articuler, se « corréler » avec un travail de l’Agence Nationale d’Accréditation et d’Evaluation en Santé, répondant à la demande « étude et évaluation sur la réalité des pratiques de psychothérapie proposées en France par différents acteurs de santé » (c’est ainsi que l’on peut comprendre l’acharnement à recenser les « psychothérapeutes » au moyen de « listes »).
Il était attendu par l’équipe du ministère de la santé : « Favoriser l’évolution des pratiques professionnelles au travers du développement d’une culture d’évaluation et d’une clarification des métiers en santé mentale (rôles respectifs des différents intervenants, psychiatres, psychologues, médecins généralistes et infirmières). Une expertise collective de l ’INSERM sur le thème de l’évaluation des psychothérapies est en cours et devrait contribuer à établir des propositions pour mieux encadrer cette pratique. Au-delà de la répartition des compétences, la discipline doit s’engager sur la voie de l’évaluation et des bonnes pratiques professionnelles en liaison avec l’ANAES. »
Note : Priorité à la santé publique, la prévention et la sécurité sanitaire. Le projet de loi de santé publique (p.7) La suite du volet psychiatrie du Projet de loi de santé publique nous rappelle que la réalisation de l’Inserm s’inscrit dans le « Plan d’actions » qui nous est maintenant familier :
« Pour mener à bien ces différents chantiers, une mission a été confiée au Dr Philippe CLERY-MELIN, psychiatre. […] Les propositions émanant de ces deux missions seront remises en septembre 2003 et contribueront à la définition des mesures prioritaires pour rénover la politique de santé mentale en France et préciser le rôle des différents intervenants dans le champ de la psychiatrie et de la santé mentale. »
Note : ibidem Le contenu de la synthèse :
L’Avant-propos nous donne le « la ». Les psychothérapies sont incluses pour les auteurs dans la discipline médicale. Elles existent dans le cadre du « soin », s’adressent à des « troubles mentaux » et, exercées en institution par des « infirmiers, psychologues… » (notons l’ordre), sont placées « souvent » sous la responsabilité d’un psychiatre (Avant-propos, p.5).
Voilà un « la » bien dissonant avec notre réalité quotidienne. La raison en est-elle simple, les études utilisées décrivant essentiellement la réalité américaine ? Non, puisque celle-ci est abordée après. Il s’agit bien plutôt de l’aveu d’une idéologie de la psychothérapie (voire d’une promesse d’avenir). Comme le confirme son inclusion dans les « traitements » médicamenteux : « Comme d’autres traitements, les différentes méthodes de psychothérapie ont fait l’objet de nombreux travaux scientifiques. » (ibidem).
Puisque la psychothérapie est réduite au rang du médicament, il est logique de lui appliquer les outils d’évaluation propres à ce type de produit. Cette soi-disant étude « scientifique » rate donc la première marche, et se dévoile pour ce qu’elle est : un outil de propagande. Propagande qui veut se servir d’associations de patients et de proches de patients (associés à la demande de la DGS) pour atteindre son but, la médicalisation du psychisme.
Elle rate aussi la seconde : les praticiens français rejettent l’aberration des outils anti-cliniques que sont le DSM américain ou la CIM de l’OMS. Peu importe, ils permettent les statistiques, alors ils seront ceux que l’étude utilise ! Que l’on rentre dans une clinique virtuelle n’arrêtera pas nos évaluateurs pour qui « Le choix de la mesure d’efficacité est sûrement le point méthodologique le plus important. » (p.

. La validité de l’expertise ne le serait pas ? Le véritable chercheur qui sommeillait se réveille enfin : peut-on mesurer un processus psychique ? Hélas, le « sens commun » l’aveugle et il manque aussitôt la troisième marche : il suffit d’appeler ce processus une « amélioration » ; ça, tout un chacun sait que l’on peut le décrire en plus ou moins, et donc le mesurer. Mais il ne fait que trébucher : « Cette mesure est cependant toujours assujettie à la théorie définitoire que ses concepteurs ont explicitement ou implicitement utilisée. Ce point est capital si l’on s’intéresse à l’évaluation de psychothérapies ; il peut y avoir en effet un biais lié à l’antagonisme ou à la congruence de la théorie définitoire de l’instrument de mesure et du support théorique de la psychothérapie étudiée. » (pp.8-9). Se reprendrait-il ? Encore hélas, ce n’est que pour chuter plus magistralement : un patient présente une réponse à la thérapie qui lui est propre ; comment comparer différentes thérapies s’il n’y a pas de patient standard, reproduisant à volonté une réponse identique ? La solution classique du tirage au sort du type de thérapie n’est pas satisfaisante, car la psychothérapie fonctionne sur une rencontre entre un patient et un thérapeute. Alors, aporie ? Mais non, c’est le cas de tout médicament ! « Par exemple, si l’on évalue l’efficacité d’une antibiothérapie dans le traitement de la tuberculose pulmonaire, l’essai devra s’étaler sur une ou plusieurs années. Si un investigateur souhaite reproduire l’essai une fois les résultats publiés, il est possible que l’écologie du germe ait changé et que l’expérience ne soit plus tout à fait la même. » (p.9). Et comme ce phénomène n’a pas empêché de trouver des médicaments dont on peut mesurer l’efficacité, il n’y a plus de problème. Heureusement que la psychothérapie ne traite que d’objets médicaux selon les auteurs, parce que comparer les différences subjectives à « l’écologie d’un germe » pourrait choquer…
Rater tous les échelons démonstratifs n’empêche pas de rêver au sommet : « Au total, il n’existe pas de frein conceptuel évident à la mise en œuvre de l’évaluation scientifique de l’efficacité d’une psychothérapie. » (ibidem)
Il reste pourtant bien difficile de trouver un « placebo de psychothérapie » (p.10), nécessaire à tester l’efficacité d’un médicament. Peu importe, on met quand même en route la machine statistique, pour se livrer à une parodie de science. On prend toutes les études sur l’efficacité des psychothérapies, on les mélange pour n’en faire qu’une grande, et on continue à mesurer grâce à l’outil dernier cri : la taille d’effet (p.12). Suffit-il d’enfiler une blouse blanche et de sortir la calculette pour ne plus exister comme sujet ? Là, les statistiques elles-mêmes se retournent contre les apprentis sorciers : « Luborsky et al […] a conclu que 69% de la variabilité des tailles d'effet dans les comparaisons de traitement était due à l'allégeance du chercheur vis à vis d'une thérapie particulière. A partir du moment où la grande majorité de la recherche portant sur les thérapies validées de façon empirique est réalisée par des chercheurs d'orientation cognitivo-comportementale, les différences qui sont trouvées entre les CBT et les autres thérapies sont probablement davantage influencées par l'allégeance du chercheur que par des critères spécifiques. »
note « Évaluation des psychothérapies psychodynamiques. Que trouve-t-on dans la littérature ? », Dr Jean-Michel THURIN. « 3. Une "bonne recherche" garantit-elle le sérieux de ses résultats ? »
http://psydoc-fr.broca.inserm.fr/Actualitesante.html Cette expérience semble bien reproductible, puisque l’étude de l’Inserm aboutit elle aussi à la supériorité des Thérapies Cognitivo Comportementales sur les autres (on notera la chute du préfixe « psycho », qui ne devait pas faire assez médical, dans l’appellation consacrée « TCC »). Elles utilisent en effets les mêmes présupposés et outils que la « recherche » de l’Inserm. Les statistiques de Luborsky et al. rejoignent donc la toute simple figure de la tautologie.
Pourquoi l’Inserm s’expose-t-il ainsi au ridicule ?
Que la recherche s’intéresse aux neurosciences produit des résultats intéressants. Qu’elle sorte de son domaine, missionnée par des enjeux idéologiques et économiques est une faute. On sait que l’apparition des thérapies « brèves » standardisées (les seules considérées par cette « expertise ») ne tient pas à une question scientifique mais à un choix économique. Tenter de faire croire au public qu’elles pourraient être aussi efficaces qu’une thérapie taillée sur mesure, dont la durée sera celle qui conviendra à l’unicité de la personne reçue, est une honte scientifique.
Que dire du fatras qui est censé représenter les thérapies psychanalytiques, sinon qu’une thérapie brève standardisée est antinomique du principe même de la psychanalyse ? Comment peut-on ignorer à ce point la psychanalyse appliquée à la thérapeutique pour présenter des exclusions d’indication aussi loufoques ? Pourquoi mentir en affirmant que « L’ensemble de la formation, en tenant compte de l’analyse personnelle, dure entre cinq et huit ans. Il assure une qualification à des personnes qui ont déjà une formation universitaire et clinique. » (p.16), si ce n’est pour inscrire la psychanalyse dans un format universitaire ?
La psychanalyse ne permet pas d’assimiler le psychisme à un organe malade, dont la médecine aurait les outils de guérison. Elle ne se rangera jamais dans la médecine, car elle représente ce qui de l’homme s’excepte de la nature.
L’Inserm, que l’on veut faire rêver aux prix Nobel (celui de Pavlov en 1904 ?), sert-il à dénier aux hommes leur humanité ?
Vincent Lucas
*paru dans Ne vois-tu pas… ? N°3, bulletin électronique de l’Association des Psychologues Freudiens (
http://www.psychologuesfreudiens.org/)