Psy-X,Y,Z...

Et lutte contre les pseudo-sciences et les obscurantismes

Message par Wapi » 18 Fév 2005, 20:00

voila pour le transfert, en attendant cyrano...

a écrit :L’aliénation transférentielle
Philippe. RAPPARD
CHS Barthélémy-Durand

L’aliénation transférentielle

La thérapeutique, en psychiatre, se veut procédé de changement, là où le symptôme en général et le délire en particulier ne sont que les moyens de s'accomoder d'un statut quo. Car en pathologie mentale la guèrison qui ne serait qu'un retour à l'état antérieur, n'aboutit qu'à la rechute à court ou moyen terme et l'on sait que les évolutions périodiques, caractérisées par les crises et décompensations à répétition, correspondent à l'évolution actuelle des thérapeutiques à visée essentiellement symptômatique. Le traitement étiologique est celui qui modifie l'infrastructure et permet le développement de la personnalité et non la crise décompensatoire, qui la réorganise toujours en deça de ses possibilités réelles. L'au-delà de ce "principe de plaisir" qui recherche le bien-être psychique dans son fonctionnement le plus économique, cet au-delà se situe dans l'ordre symbolique, c'est à dire dans le social. Or ce social, lieu des relations interpersonnelles et des dépendances mutuelles, est à aménager pour que puisse y être projeté ce dont la rétention dans l'individuel produit la névrose et la psychose. Toute thérapie concerne les relations interpersonnelles, duales ou plurales dans une structure sociale concrète.

Mais, en thérapeutique, comme en politique, il s'agit de déterminer l'autre sans le dominer ou le réduire, car le malade mental est justement celui qui est capable d'échapper à toute domination en se rétractant dans l'autisme. Les thérapeutes alors sans cesse doivent analyser leur désir de guérir toujours mélé de détermination et de domination. Déterminer l'autre dans le social sans le dominer a toujours été le grand problème de la thérapie, problème soulevé par le désir de guérir et sa mise entre - parenthèses à travers la psychanalyse du contre - transfert. Ce dernier en effet prédétermine toute relation transférentielle utilisée à des fins thérapeutiques et n'opère qu'en se libérant de la domination sur laquelle se fondaient jusqu'alors la médecine et l'hypnose.

Le travail délirant et la psychanalyse ont quelques points communs et pour cause. Disons qu'en dehors du champ transférentiel il n'y a plus de psychanalyse mais du délire. L'hypnose et l'identification primaire au chef réalisent, pour Freud, une "foule à deux" et fonctionnent comme préalable nécessaire aux organisations sociales et à la psychanalyse. Cependant le délire effectue au niveau individuel ce que l'identification primaire n'a pas réussi au niveau collectif et réalise un travail de réparation permanent sans modifier la structure. Le transfert rendrait possible cette modification mais encore faudrait-il que soit réussie l'identification primaire.

Comme le fait remarquer Freud : "le transfert est un phénomène humain général, il décide du succès dans tout traitement où agit l'ascendant médical ; bien plus, il domine toutes les relations d'une personne donnée avec son entourage humain". Ainsi ce n'est pas la situation analytique qui, pour Freud détermine le transfert, elle ne fait que le découvrir et l'isoler et c'est à partir de lui que s'effectue l'analyse. Le phénomène du transfert et le rapport hypnotique ne sont pas sans analogie et lorsque manque la tendance au transfert "comme dans la démence précoce ou la paranoïa", Freud conclut que "la possibilité d'influencer psychiquement le malade n'existe du même coup plus.".

La pratique cependant avait montré que les psychotiques (démence précoce et paranoïa évoquées à l'instant) évoluaient favorablement ou défavorablement en fonction des caractéristiques des groupes ou des établissements où ils étaient placés et qu'il était possible d'influencer psychiquement ces malades par un biais différent de la relation médecin-malade classique ou de la relation duelle. Le psychotique ne projette plus dans le groupe mais s'identifie à lui et comme le disait Tosquelles en 1962 à Barcelone à propos des problèmes cliniques et techniques du contre-transfert : "c'est le contre-transfert qui amène le thérapeute à ne pas voir, dans sa propre originalité et dans son primat positionnel le groupe comme un fait en soi, avec son propre dynamisme et sa propre structure." Hermann Simon avait déjà remarqué qu'il s'agissait de ne pas agir directement sur le malade perturbateur mais sur le milieu ambiant considéré comme cause ; tantôt il faudra appliquer ces mesures à "l'ambiance générale du quartier en question, tantôt à d'autres malades, à la conduite inadéquate du personnel infirmier, à celle du médecin et jusqu'à celle du Directeur lui-même."

Transfert et narcissisme

Le psychotique, quand il ne fait pas corps avec le groupe ou l'institution avec lesquels il fusionne de façon symbiotique, doit sans cesse reconstruire son évidence basale et ce travail de reconstruction permanent est épuisant. Même illéttré, le psychotique qui est soumis à ce travail délirant de reconstruction, se considère comme un intellectuel, car il a parfaitement conscience de la nature de ce travail totalement individuel et sans cesse à refaire mentalement. Mais le mécanisme obsessionnel de reconstruction de l'évidence par la pensée n'est pas le seul à s'offrir au psychotique en détresse. Le mécanisme hystérique intervient lui aussi, qui permet l'établissement d'un lien interpersonnel négociable dans des conditions différentes suivant que le patient est en mesure d'établir un lien transférentiel (névrose de tansfert) ou n'est pas en mesure de l'établir (névrose narcissique) dans la situation duelle qui reprend, en l'aménageant, la relation médecin-malade classique. Ces deux aspects (transfert et narcissisme) correspondent à la répartition des pratiques en psychothérapie psychanalytique individuelle pour les névrosés, et en prise en charge psychothérapique collective pour les psychotiques, qui ne peuvent élaborer de relation transférentielle qu'à partir d'une identification primaire sur une équipe qui les supporte, au sens propre et figuré du terme.

La folie en effet, n'est évitée qu'au prix d'une organisation communautaire qui entretient une situation de dépendance transférentielle. C'est ce qu'a démontré l'expérience asilaire du début du siècle qui, en n'organisant pas la vie sociale des malades mentaux, les condamnait à l'autisme, au délire chronique et à l'inexistence. Car, on le verra, si les psychotiques faisaient corps avec les établissements (appareils d'Etat) où ils s'étaient ségrégués, cette consubstantialité n'était pas négative mais nécessitait une intervention complémentaire du type de la relation transférentielle venant se greffer sur l'identification primaire et la symbiose avec l'institution.

Le transfert institutionnel sur une équipe, ou le transfert contractuel sur un thérapeute (analyste ou travailleur de la Santé Mentale) remplace les symptômes de la psychose ou de la névrose. Seule l'analyse de ce transfert permet sa liquidation et l'autonomisation du sujet. Mais l'analyse est souvent interminable, l'accession au symbolique se trouvant, chez certains individus ou groupes d'individus, barrée. La thérapeutique alors se transforme en assistance à réaliser aujourd'hui, non plus dans les établissements décretés inopportuns, mais dans la société civile. Les psychiatres et les travailleurs de la santé ont contribué au dépérissement de ces organes de l'appareil d'Etat que sont les établissements sans pour autant résoudre le problème de la psychose. Parce que ce n'était pas les établissements qui produisaient la folie, mais la folie qui secrétait l'établissement, support minimal de l'inexistence psychotique, à travers lequel il s'agissait de permettre l'acte d'exister. C'est donc au prix d'une certaine forme d'aliénation sociale que des sujets appelés malades mentaux se dégagent temporairement ou définitivement de l'aliénation mentale. Cette nouvelle forme d'aliénation envisagée de façon scientifique à travers le concept de transfert, implique un certain type de travailleurs de la santé mentale. Car la visée de cette pratique thérapeutique, c'est bien évidemment la liquidation du transfert qui seule aboutit à l'autonomie de l'individu dans son groupe social. Il s'agit donc de traiter une certaine forme de dépendance subsumée en termes d'aliénation, de transfert, voire d'identification primaire.

Toutes les formes dites historiques de la maladie mentale chronique, formes qui restent toujours latentes dans les prises en charge thérapeutiques les plus évoluées, sont décrites selon des terminologies similaires dans l'école française, allemande, italienne ou anglo-saxonne. Mais après la reconnaissance de plusieurs styles d'organisations délirantes de la vie psychique, l'intérêt s'est porté sur le style de la rencontre entre le malade et l'organisation de soins et d'assistance. Car c'est du style de cette rencontre que dépend l'évolution de la maladie mentale vers la guérison symptomatique ou vers certains comportements défensifs plus ou moins compatibles avec la vie familiale, sociale ou professionnelle. L'évolution des malades mentaux dépend en grande partie du lien symbolique qui s'est organisé avec l'organistion de soins, formelle ou informelle. Ce lien, instance supplétive, permet à l'individu de fonctionner comme sujet comme si la condition naturelle de l'être humain était de vouloir une servitude. Cette servitude fait de nous un être normal si sa cause est symbolique, un être psychotique si sa cause est imaginaire et un être pervers si sa cause est réelle. Socialité, folie et délinquance étant les trois voies qui s'offrent à notre humanité. La névrose est incluse dans la socialité, elle préfigure la folie et elle structure la délinquance.

La primauté n'appartient pas forcément au monde de la dualité originelle et pour nous, c'est le monde du souci et de la tâche qui apparaît comme fondamental. C'est bien déjà ce qu'avait formulé Hermann Simon, à partir des questions pratiques qui se posaient à l'hôpital psychiatrique dans le traitement des malades mentaux. Il fallait y développer ce qui était de l'ordre de la tâche. Toute l'oeuvre de H. Simon et le mouvement de psychothérapie institutionnelle se situent dans cette perspective, ce qui a amené les psychiatres psychanalystes de ce mouvement à essayer de dégager la psychanalyse du monde de la dualité originelle d'où elle semblait au départ être née et où il fallait craindre de la voir s'enliser. Ainsi, le médecin ou le psychanalyste s'occupait du monde noble de l'amour et l'infirmier psychiatrique du monde roturier de la tâche. Psychothérapie individuelle ou duelle et même de groupe d'un côté, psychothérapie collective ou ergosociothérapie de l'autre. En intégrant dialectiquement cette dualité dans une perspective plus vaste, on rejoint ici maintenant la conception de Freud qui avait bien précisé que l'amour ne guérissait pas et qu'il fallait le liquider à travers un travail appelé par lui "durcharbeit" et dont la traduction française de "perlaboration" semble un peu camoufler la nature.

Là où donc le délire apparait comme un travail de reconstruction du monde et de la personne, le transfert apparait lui comme l'occasion de réalisation d'un autre type de travail qui serait celui du développement. On pourrait même dire alors, qu'il doit s'agir non de développement, mais de libération. Le transfert permettrait un travail de libération préalable au développement qui viendrait de lui-même à partir d'une résistance, lorsque la place serait libérée. La question à traiter est celle des procédures à mettre en place pour que le développement puisse se manifester librement. Pardoxalement la procédure ne doit pas venir après coup pour étayer un développement imposée de l'extérieur, elle doit autoriser un développement qui, comme la guérison, vient de surcroit. Et cette condition préalable consiste à mettre en place un environnement dont l'individu ne se sente pas dépendant.

Si le psychotique ne supporte pas le leurre de la situation psychanalytique duelle orthodoxe et s'il demande une situation authentique aménagée, c'est qu'une condition préalable lui a manqué qui consistait en un environnement dont il avait besoin et qui ne devait être ni perçu, ni enregistré comme situation de dépendance. Ceux dont on a à s'occuper sont justement ceux pour qui le milieu dans l'enfance, n'a pas su jouer ce rôle et n'a pas suscité l'adaptation active. Tel est le paradoxe de la psychiatrie qui doit donner l'impression, à ceux dont elle s'occupe, qu'ils n'ont pas besoin d'elle. Paradoxe, car cette attitude complète celle, apparemment opposée, induite par la loi du 30 juin 1838 sur l'internement, loi qui impose à un individu qui ne demande apparemment rien, accueil et soins : c'est à dire sureté, bien sûr, mais également possibilité de développement de la liberté - autonomie.

Transfert et leadership démocratique

Là où l'organisation de la prise en charge ainsi que le statut des personnes et des établissements permettent l'identification primaire (en la maintenant ou en favorisant à partir d'elle l'organisation méta-psychotique selon les formes habituelles des descriptions nosographiques classiques) il convient donc de permettre l'apparition du transfert institutionnel. Transfert particulier chez les psychotiques rassemblés ou pris en charge de façon plus individualisée par une équipe, et qui est contemporain d'un contre-transfert institutionnel bien typé dont l'analyse doit permettre l'aménagement de situations de dépendance compatibles avec ce qui s'institue habituellement dans la société civile. Pour ce faire l'organisation hièrarchique médicale et paramédical, elle même inscrite dans la structure identificatoire primaire, doit susciter les situations favorables à un fonctionnement démocratique, reconnu dès lors comme oedipien par de là l'organisation pré-oedipienne voire narcissique de la masse des individus aliénés dans les appareils d'Etat, les chefs et les établissements. Si, comme l'explique Mélanie Klein, le conflit oedipien est un stade précoce, on conçoit que dans cette identification au chef dont le narcissisme est absolu, dans cette foule à deux qui caractérise aussi bien la psychose que la masse, est présente l'occasion de l'accession à l'ordre symbolique et au social à connotation oedipienne, par delà la relation fusionnelle de l'ordre narcissique. Ce qui doit être maintenu de la structure autoritaire ou despotique c'est bien évidemment la directivité au niveau des procédures formelles, le contenu restant libre dans ce qui le prédétermine, l'individu étant caractérisé à la fois par le développement et par l'histoire. Le cadre basal institutionnalisé est là et c'est à partir de lui que le développement individuel s'effectue dans le contrat oedipien.

Daniel Lagache, dans son rapport de 1951 au congrès des psychanalystes de langue romane, intitulé "Problèmes du Transfert", décrit la situation psychanalytique orthodoxe selon les termes de la dynamique des groupes Kurt Lewin. Il la situe comme conduite démocratique, distincte des conduites autoritaires et anarchiques. Pour Kurt Lewin sont autoritaires les structures directives au niveau des procédures et au niveau des contenus ; anarchiques les structures non directives tant au niveau des procédures que des contenus ; sont démocratiques les structures directives au niveau des procédures et non directives au niveau des contenus. La situation psychanalytique, directive au niveau de la procédure (règle du tout dire, etc...) et non directive au niveau des contenus (dire n'importe quoi) est démocratique tout en instaurant une situation de dépendance provisoire librement consentie. La loi de 1838 peut être ainsi considérée comme un précurseur de la dépendance psychanalytique dans la mesure où elle préconisait des procédures avec contrôle après-coup de leur opportunité, la volonté émanant non pas de l'individu mais de son entourage ou de l'autorité publique. C'est d'ailleurs la conjugaison de l'éthique psychanalytique et du rassemblement de nombreux psychotiques dans un même lieu qui a suscité la psychothérapie institutionnelle, c'est à dire cette psychanalyse générale qui s'instaura à partir des rapports de citoyenneté et non à partir des rapports inter-individuels exclusifs. Ainsi l'établissement se devait-il, par delà la sureté, de développer la liberté - autonomie des patients en greffant sur le narcissisme primordial des appareils d'état et de la psychose, des associations ouvertes sur le monde extérieur et organisées démocratiquement. Car l'identification primaire à la masse, à l'établissement, au chef, qui fonde la psychose et aboutit à la maladie mentale chronique à prévalence délirante et autistique, cette identification n'est pas le transfert, mais la condition préalable à tout transfert. Elle est donc à favoriser, à étudier scientifiquement comme cadre du transfert, c'est à dire de cette relation quasi-génitale qui s'instaure entre soignants et soignés. Et c'est l'apparition (la plupart du temps avortée si le dispositif démocratique n'est pas mis en place), de ce transfert qui fonde, ici, la règle dite fondamentale. Règle fondamentale qui, en situation psychanalytique duelle ordinaire réalise la plus petite démocratie en même temps que la plus intense, et qui, en situation institutionnelle (dans ou en dehors des établissements) réalise la grande démocratie, la plus banale et la plus difficile.

Car il y a du transfert et notre tâche est de ne pas l'étouffer dans l'oeuf. Le narcissisme est à traiter dans le collectif si l'on ne veut pas le voir érigé en entité nosographique réelle au niveau d'un individu. De même que les symptômes de la névrose disparaissent dans la situation psychanalytique duelle pour être remplacés par la névrose de transfert, de même les symptômes du psychotique sont déplacés dans le collectif ou mieux : le psychotique, en tant que symptôme de son groupe social, peut y fonctionner comme sujet. Lorsque le transfert institutionnel est pris dans la règle fondamentale de la discussion en groupe, qui assume le positif projeté sur les uns et le négatif projeté sur les autres (c'est à dire le conflit), il est entendu que le transfert négatif est le "noeud du drame analytique" : puisque c'est à travers la négation que toute position prend un sens et que la seule récompense qui nous reste à nous thérapeutes est l'ingratitude. Comme le précise Freud (cité par J. Schotte) : "Peut donc s'intituler psychanalyse, toute discipline qui reconnait ces deux faits transfert et résistance et les prend comme point de départ de son travail d'investigation". Dès lors le mouvement de psychothérapie institutionnelle et la politique psychiatrique dite de secteur ont contribué à l'avènement d'une psychiatrie scientifique. Cette psychiatrie est fondée sur l'homme malade mental en acte, là où Lacan donne du transfert la définition de "mise en acte de la réalité de l'inconscient".

Démocratie et dépendance

(de Wilhelm Reich à Tosquelles)

Dans le "Moi et le Ca" Freud fait remarquer que le progrès culturel et moral implique une régression libidinale. Mais il ne s'agit pas forcément d'une régression au stade anal et oral, il s'agit plutôt d'une régression narcissique, dans ces zones de l'identification primaire où peuvent être repris les phénomènes d'identification collective. Ainsi Reich posait-il au dessous de la conscience et de l'inconscient une couche encore plus profonde et naturelle prédisposant à la démocratie et au travail. Reich y adjoignait l'amour génital corrompu d'après lui, par la société patriarcale. Manifestement Reich projette sur ces zones une vision génitale adulte, zones où l'organisation démocratique doit faire évoluer les individus vers l'adaptation active, dans la mesure où elle ne leur fait pas percevoir leur dépendance et favorise ainsi l'accès à la socialité. Cet accès est manifestement entravé par l'exercice de la toute puissance d'un chef, ou par la méconnaissance de la communauté et c'est là qu'intervient le transfert, différent donc de cette relation autoritaire qu'est celle de la foule identifiée au chef et de l'hypnose, véritable foule à deux, selon Freud.

Le psychotique fonctionnant comme la foule il convient de mettre en place la sureté. Mais la sureté n'a de sens qu'à permettre la mise en place de ce qui favorise la liberté - autonomie et correspond à notre rôle de soignant prenant en compte le transfert. Dès que sont mises en place des procédures de type démocratique et que le médecin joue son rôle de "sujet supposé savoir", le transfert institutionnel opère. Pinel, on le sait, avait perçu le phénomène et s'en était inquiété, sans en faire la théorie et ne l'avait interprété que par rapport à l'identification primaire et à la figure paternelle du médecin. Par la suite les "philosophes spécifiques" comme Michel Foucault ont abordé le phénomène d'un point de vue antipsychiatrique en ne voyant que l'aspect répressif du phénomène et en niant le transfert. Car comme le répétait souvent Daumézon : "Et pourtant le vieil asile guérit...".

Il guérit à travers le transfert qui prend la forme soit de la névrose de transfert (avec les névrosés en situation psychanalytique duelle), soit de la psychose de transfert (avec ce qu'on appelle aujourd'hui les cas limites ou borderline en situation psychanalytique duelle), soit du transfert institutionnel (qui vise à orienter les expériences fusionnelles du patient psychotique sur le groupe des soignants et non plus sur un thérapeute qui ne peut réagir que de façon contre-transférentielle intense à la massivité de l'investissement dont il est l'objet).

Pour Kernberg, la psychose de transfert et le transfert psychotique des patients psychotiques en traitement intensif présentent des analogies. Telle par exemple la perte de l'épreuve de réalité, telle l'organisation fantasmatique traduisant les couches les plus précoces des relations d'objets internalisées et donc antérieures à la dyade et au triangle originaires, telle encore l'activation massive de l'identification symbiotique au thérapeute. Si les idées délirantes et les hallucinations incluent le thérapeute et l'entourage, les "patients-limites" pendant la psychose de transfert ressentent une frontière entre eux-mêmes et le thérapeute, ce que n'éprouvent pas les psychotiques en état de transfert, qui se vivent comme ne faisant qu'un avec le thérapeute. C'est en fonction de ces caractéristiques que la psychothérapie institutionnelle, selon Tosquelles, se devait d'organiser la rencontre thérapeutique non pas dans une relation fantasmatique duelle, mais dans des réseaux interpersonnels multiples d'ordre symbolique où les interprétations techniquement définies ne doivent pas être seulement vécues mais agies dans la praxis même, c'est à dire dans le réel hospitalier ou extra-hospitalier techniquement appareillé par les soignants. Comme l'indique en effet Elliott Jacques, l'un des éléments primaires de cohésion reliant les individus dans des associations humaines institutionnalisées est la défense contre l'anxiété psychotique. "En ce sens, on peut penser, dit-il, que les individus projettent à l'extérieur les pulsions et les objets internes qui, sinon, seraient la source d'anxiété psychotique et qu'ils les mettent en commun dans la vie des institutions sociales où ils s'associent. Ceci n'est pas dire que les institutions utilisées de cette façon deviennent "psychotiques", mais ceci implique effectivement que nous nous attendions à trouver dans les relations de groupe des manifestations d'irréalisme, de clivage, d'hostilité, de suspicion et d'autres formes de conduites mal adaptées. Ces manifestations sont le pendant social - mais non pas l'équivalent - de ce qui apparaît comme symptômes psychotiques chez les individus qui n'ont pas développé leur capacité pour utiliser les mécanismes d'affiliation aux groupes sociaux afin d'éviter l'anxiété psychotique". C'est une réunion d'équipe que ces manifestations sont étudiées afin que s'effectue la liquidation de ce transfert.

Non liquidé, le transfert institutionnel favorise les organisations paraphréniques (fantastiques, confabulantes, expansives ou systématiques) à tonalité maximale ou minimale en fonction des thérapeutiques psychotropes associées. Les constructions délirantes et les phénomènes d'automatisme mental y coïncident avec une bonne adaptation à la réalité sociale et Ey considérait ces formes comme des guérisons méta-processuelles. Elles surviennent quand le transfert sur un thérapeute, qui constitue le malade comme sujet parlant, n'est pas articulé avec le reste de l'institution, support elle aussi des identifications dramatiques. Il en est de même pour les états limites qui fonctionnent eux aussi de façon bipolaire au niveau de la personnalité et qui intègrent les phénomènes de milieu à la façon dont déjà Kretchmer l'envisageait pour la paranoïa sensitive. C'est le transfert qui conditionne la nouvelle clinique qui est une clinique d'activité.
Wapi
 
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Message par iko » 18 Fév 2005, 20:36

Merci Cyrano et wapi de vos apports et merci aux lecteurs de ne pas l’avoir assassiné. Alors je vais me lancer en reprenant ce que syrano nous a approté avec ce que l’œuvre de Lacan a imprimé sur moi.

Lacan enfin

Donc au début l’enfant est indifférencié, le sein lui appartient plus que ses propres membres.
Va apparaître la première expérience du manque. Et par lui le grand Autre, celui qui prodigue tous mes besoins et supprime ainsi ma charge énergétique source de déplaisir, va se découvrir comme manquant car absent. Il n’est pas toujours là pour éviter le besoin. Et qu’est-ce qu’il est parti foutre ailleurs ?

On entre dès le premier jour dans la dialectique de la Demande. Le bébé par ses cris demande à l’Autre, même s’il ne le sait pas encore. Ou plutôt cet Autre va interpréter ses cris comme un demande. IL va lui prodiguer l’objet de son besoin (le lait, la toilette du postérieur qui commence à s’irriter), mais ne pourra faire oublier qu’il y a eu expérience du manque. En revanche ce grand Autre va donner un en-plus, sous forme de caresses, mots doux, prénom… Donc cet Autre primordial va faire de manifestations de l’enfant qui est en manque, la première marque d’une demande. C’est donc l’Autre qui impose la Demande qui au début ne lui était pas adressée et les signifiants qui formuleront cette demande.

De ce besoin organique, primaire va surgir le désir, qui conserve ce besoin tout en le dépassant en allant nécessairement au-delà.à travers ces expériences répétées plusieurs fois par jour plus toutes les autres. On a faim, mais on a aussi envie de cette chaleur au sein ou au biberon, et des caresses.
Qu’est-ce qu’il me veut cet Autre pour me faire tous ces gizigizi devant le nez alors que je suis encore presque aveugle ? Et bien cet Autre, il me désire. Je suis dois bien être tout pour lui pour qu’il soit aussi ridicule à faire des grimaces pour que je lui sourie. Surtout qu’au début il est effectivement tout pour moi, sans quoi je serai déjà mort. Et moi, qu’est-ce que je vais me mettre à désirer ? Et bien mon désir sera le désir d’être désiré.
Le désir de l’homme (au sens de être humain), est désir d’être désiré, c’est le désir de l’autre.

C’est alors là qu’il faut bien comprendre que la « relation fusionnelle » avec la mère n’est pas, dès le départ une relation à deux, mais une relation à trois. La Mère primordiale (au sens où Cyrano vient de la décrire), l’enfant et le Phallus.
Le Phallus !
Le Phallus est un objet imaginaire, l’objet qui va au cours de la vie signifier le manque fondateur du Sujet. Il va avoir pleins d’objets métonymiques (la métonymie, c’est la condensation, c'est-à-dire prendre une partie pour le tout ; exemple, « une voile à l’horizon ») derrière lesquels on va courir ou au contraire se sauver… en gros, le macho voudra la plus belle des voitures car cela lui fait croire qu’il a vraiment ce phallus que tout le monde cherche. Le phobique au contraire incarnera ce phallus angoissant dans l’ascenseur qui monte et qui descend et sera quitte de son angoisse si il n’habite pas au quinzième étage.

Donc, pour revenir à note bébé, il va en fait vivre sa petite relation fusionnelle à trois, chacun des deux étant le phallus qui manque à l’autre. Mais cette chippie de Mère, elle se casse et me laisse tout seul alors que j’ai besoin d’elle, tout de suite ! (je rappelle que nous somme là face à la fonction maternelle quand on parle de la Mère) Elle se casse pour aller en voir un autre, ce salaud. Mais c’est qui l’objet du désir de la Mère, moi, ou ce qu’elle va aller retrouver ailleurs…

To be or not to be

Et on passe alors à la grande question d’Hamlet, « to be or not to be ». Être ou ne pas être le Phallus. Bref on doit passer du registre d’avoir été le phallus de la Mère, et de ne pouvoir au mieux que l’avoir, cet objet qui n’est rien qu’un objet imaginaire qui vient signifier mon manque structural.

Alors grosso modo, et c’est là où mes derniers lecteurs confiants vont vouloir m’étriper.
Et bien la circulation du Phallus va se faire selon certaines lois. Celles de Lévi Strauss, vous savez... la circulation des femmes…

Le père, avec son gros machin se présentera comme celui qui a le Phallus, que la femme va trouver chez lui… « Il ne sera pas sans l’avoir » comme dit l’autre.
La femme donc n’a pas le Phallus… ni de pénis…
Mais seules les femmes pourront s’approcher au plus près de « être le phallus » quand elles auront un enfant.

D’où deux conséquences d’une différence entre les hommes et les femmes : un homme ne saura jamais ce que c’est qu’être, pendant quelques mois, d’abord avec un vrai Phallus en soi, puis en étant tout pour ce phallus…
Et au niveau de la jouissance, la jouissance de la femme sera plus profonde et n’a pas fini de faire peur aux hommes, qui en restent à leur petite jouissance phallique de celui qui bande… et se vide comme un minable…

Castration et ordre du langage

Mais c’est quoi ce manque constitutif. C’est celui qu’impose le langage. Il vient instituer l’ordre symbolique qui nous sépare radicalement du monde animal, vient nommer les premières expériences de manque et en impose sa structure.
L’être humain est le seul animal qui doit passer par la castration. Il pourra maîtriser la Nature comme aucun autre animal, mais quelque chose lui manque à jamais. Tout simplement parce l’ordre du Langage existait avant sa naissance. Et le fait d’être né dans un monde de langage prive à jamais du rapport direct aux choses. « Le mot tue la Chose » (Freud)
C’est avant tout le langage qui impose la castration, car on doit accepter que quelque chose manque si on veut parler. Le jeune enfant doit accepter l’arbitraire de l’Autre qui lui impose ses propres signifiants pour exprimer ses désirs, ses demandes.

Mais la castration, ce n’est pas que le langage me direz-vous !
Et vlan ! Voilà que débarque encore et toujours la question de la différence des sexes dans ce bazar déjà assez difficile à démêler.
Et l’animal parlant aura ce privilège que la différence sexuelle – jusqu’à présent peu ou proue automatique en fonction des chromosomes femelle ou mâle –, n’aura rien de préétablie au départ en dehors de la différence anatomique.

La reconnaissance de la différence des sexes prend des formes bien différentes selon les sociétés et les époques. Au temps de Freud, on racontait aux enfants que leur origine venait d’une cigogne… Ils étaient assez dépourvus en arrivant à la puberté, surtout dans la Vienne du XIX ; car dans les campagnes, la nature apprenait ce que le Curé camouflait…

Alors la question de la castration, Freud l’a rencontrée à travers les névroses de l’époque, d’où toutes ces formules de l’envie du pénis, la castration chez la femme qui n’a pas de pénis… Il cherchait, il se trompait, il revenait, et il aurait continué comme ça encore longtemps, ce qui permet à ses successeurs de continuer aussi.

La castration, elle est valable pour tout le monde, c’est le prix à payer d’être un animal parlant. Homme comme femme, on doit en passer par là. Les psychotiques souffrent d’ailleurs de n’avoir pu y accéder.

A quoi au juste ?
Au fait « qu’il n’y a pas d’Autre de l’Autre ! » (Lacan).
Il n’y a aucune garantie dans la parole du grand Autre. Il est barré, (il faut l’imaginer écrit A avec une barre devant.)

« Papa, pourquoi ça ? », « Maman, pourquoi ça ? » pendant des heures… à le bouffer comme on dit. « Et bien parce que s’est comme ça, point ! » finit-on par répondre à l’enfant. C’est ça la castration…
Après, chaque sexe va faire sa propre danse du ventre, pour faire semblant ; mais c’est foutu, il n’y a aucune garantie à la parole du grand Autre, il n’y aura aucune garantie au final que mes choix cruciaux seront les bons.

Et dans cette phrase, vous voyez comment vont s’articuler l’aliénation mentale et l’aliénation sociale. Car qu’est-ce qui va différencier la parole castratrice structurante et la parole du chefaillon qui hurle « parce que c’est comme ça ! » lui aussi ?

On en reparlera une prochaine fois… (Excuse Shadoko).
iko
 
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Message par iko » 18 Fév 2005, 20:45

Avant de vous quitter pour deux jours, je vous envoie un texte d’un lacanien sur le transfert, dans sa forme classique, c’est-à-dire dans la « cure type ».
Restera à voir ensuite comment ce concept de transfert permet de travailler en équipe avec des malades mentaux.


a écrit :
[center]Le transfert et sa subversion [/center]
Joel DOR
Pour situer les tenants et les aboutissants lacaniens sur la question du transfert, il convient de repartir de la réflexion freudienne elle-même.
Nous pouvons distinguer trois étapes significatives dans les remaniements freudiens apportés à la théorie du transfert.

Première étape.
Freud est conduit à identifier un processus transférentiel dès qu'il introduit les associations libres au frontispice de la cure. De fait, la prescription des associations libres aux patients, soulève paradoxalement, un certain type de contrainte qui nous rappelle que quelque chose de l'inconscient insiste à se faire entendre. L'inconscient répète jusqu'à l'occurrence favorable qui permettra à la représentation refoulée d'advenir à l'insu du sujet, à la faveur d'un travestissement ou d'une formation de compromis. Freud y voit ainsi la marque même d'un certain transfert, comme il l'évoque dans la Traumdeutung  :
"La représentation inconsciente ne peut, en tant que telle, pénétrer dans le pré-conscient que si elle s'allie à quelque représentation sans importance, qui s'y trouvait déjà, à laquelle elle transfère son intensité et qui lui sert de couverture -c'est là le phénomène du transfert"  .
Donc, dès le seuil de son oeuvre, Freud associe le transfert à la répétition et le présente comme un moyen d'accès à l'inconscient. Si la répétition devient le processus nécessaire au retour du refoulé, de son côté le transfert permet le déplacement des représentations sur l'analyste en facilitant la répétition. Par voie de conséquence, la signification de telles représentations ne sera donc ouverte que si le transfert est interprété, de telle sorte que la répétition, peut céder la place à la remémoration. Par ailleurs, le transfert apparaît bien comme le lieu même de l'interprétation alors que la répétition se définit comme le moteur de la cure.
Nous retrouvons, chez Lacan, une adhésion significative à cette première position freudienne. A certains égards, nous pouvons considérer la répétition comme le ressort du symbolique lui-même. Dans son article sur le transfert , Michel Silvestre nous rappelle que cette thèse est, en effet, développée dans "Le séminaire sur <>" . De fait, par-delà le transfert et la répétition signifiante, se profile l'idée que c'est bien le registre symbolique qui devient le moteur de la cure.

Seconde étape.
Très rapidement, Freud va s'apercevoir que le transfert peut devenir un obstacle à l'analyse, c'est-à-dire un lieu de résistance, notamment en raison de la dimension d'amour qu'il suscite . En effet, l'accent est mis désormais sur la présence de l'analyste dans le transfert qui s'authentifie sur le terrain de l'amour de transfert. Un des ressorts essentiels de la résistance de transfert va ainsi se définir en la personne même de l'analyste. Lorsqu'il y a résistance, par exemple sous la forme d'un obstacle aux associations, c'est, selon Freud, qu'une idée de transfert est associée à l'analyste. Aussi bien est-ce reconnaître dans l'amour de transfert l'élément spécifique de la résistance.
Le génie de Freud sera alors de pressentir, à propos du transfert, l'incidence du désir de l'analyste. Mais, bien évidemment, il importe avant tout à l'analyste de désirer que l'analyse se poursuive en récusant la jouissance qui lui est proposée.
Certaines élaborations de Lacan prendront directement appui, comme nous le verrons plus avant, sur cette intuition freudienne : d'abord l'importance essentielle qui doit être accordée, dans le transfert, à la distinction entre la demande et le désir ; ensuite la place centrale du désir de l'analyste au sein même de la dynamique du transfert.

Troisième étape.
Pour autant qu'on puisse la considérer comme l'ultime période du remaniement de la théorie du transfert, il s'agit de prendre la mesure des derniers apports circonscrits par Freud dans son étude : "L'analyse avec fin et l'analyse sans fin" . La thèse du transfert comme lieu de résistance va se trouver renforcée à un tel point que l'on peut considérer la résistance comme isomorphe au transfert négatif. C'est d'ailleurs principalement en la personne de l'analyste que Freud pressent la raison ultime des résistances. Par-delà l'amour de transfert, l'analyste devient étranger et, comme tel rejeté au nom de "certaines exigences désagréables" (Freud) au titre desquelles figure, en première place, la castration.
Une fois encore, Lacan retiendra cette idée freudienne en lui donnant le complément qui lui convient. "Il n'y a pas  d'autre  résistance  à  l'analyste - précisera-t-il - que celle de l'analyste lui-même". Nous retrouverons également l'analyste "étranger" lorsque, à propos de la fin de l'analyse, Lacan soulignera que l'analyste n'est jamais réduit à autre chose qu'un pur et simple déchet.

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On ne peut pas, pour autant, se contenter d'imaginer que Lacan ait juste expliqué ce qui était déjà présent dans les élucidations freudiennes. Il a mené beaucoup plus loin l'analyse de la question du transfert. C'est d'ailleurs dans ce dépassement que nous pouvons saisir, au plus près, l'évidence du caractère proprement subversif du transfert.
Preuve en serait déjà de certaines mises au point formulées par Lacan à l'endroit de quelques développements post-freudiens  considérablement "frelatés". L'assainissement apporté par Lacan concerne avant tout l'implication la plus fondamentale de la découverte freudienne : ne fut-elle que mi-dite, la vérité adhère toujours à la structure du sujet qui l'énonce, soit à celle de son désir.
Nous pouvons déplorer cette aliénation, mais nous ne saurons jamais la circonscrire. Nul espoir  à nourrir du côté d'une quelconque maîtrise de l'ordre signifiant. Le sujet reste, envers et contre tout, un effet de détermination de l'ordre symbolique qui règle le cours de sa structure et des aliénations qui en résultent.
La juste mesure de cette fonction cruciale du symbolique nous est donnée par la notion du grand Autre qui intervient de façon prépon-dérante aussi bien du côté du langage  que de la parole.
Du côté du langage Lacan l'introduit dans la structure même du système des signifiants. C'est parce qu'un signifiant ne se spécifie qu'en opposition à tous les autres qu'il ne tire sa dénotation et sa connotation qu'au regard de l'Autre. S1 n'existe comme signifiant qu'en étant renvoyé à S2, c'est-à-dire à un autre qui lui confère son statut dans la structure du langage. S1 est ainsi renvoyé au système de tous les autres signifiants, soit précisément au grand Autre  comme "trésor des signifiants" (Lacan). Du côté de la parole, c'est aussi le grand Autre qui décide du sens, comme en témoigne, dans l'articulation du "graphe du désir", sa place au lieu du code . Dans le discours, le message ne se structure donc pas en référence à la maîtrise de la parole. Toute la destitution de cette maîtrise est préfigurée par le "Che Vuoï ?" sur le graphe, donc, à certains égards, par la structure du désir lui-même .
Aussi bien, le grand Autre apparaît-il comme le garant du statut de la parole du sujet. On ne saurait mieux en signifier l'incidence qu'en rappelant cet aphorisme lacanien : "un signifiant, c'est ce qui représente un sujet pour un autre signifiant".
A la lumière de cette élucidation nous pouvons mieux comprendre l'axe majeur de la conception lacanienne du transfert.

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Considérons que c'est à la mesure de la répétition signifiante que s'institue la dimension propre au transfert et à son analyse. Sous quelles conditions cette analyse peut-elle s'effectuer ?
A propos de cette question l'apport de Lacan règle déjà le sort de l'interprétation analytique hors du champ de toute possibilité herméneutique . D'autre part, il permet de résoudre une autre difficulté posée par la fonction du transfert, notamment le paradoxe qu'il soulève en se présentant sous un double versant : à la fois comme résistance/fer-meture à l'inconscient et ouverture ordonnant la voie à l'efficacité de l'interprétation.
Sans entrer dans le détail des arguments développés par Lacan dans son séminaire Le transfert , arrivons en à ses conclusions.
Comme le souligne Safouan , Lacan a sorti le transfert du carcan exclusivement imaginaire où il était enlisé depuis Freud.
Pour autant qu'Alcibiade attende un signe du désir de Socrate, plus exactement de l'agalma dont il l'a investi, Socrate n'y répond pas. Mais s'il ne donne pas suite à la demande d'Alcibiade, sa réponse se formule néanmoins ailleurs. En affirmant ne rien savoir de ce qu'Alcibiade demande, il spécifie par cette réponse même, "un lieu de non savoir dans le savoir lui-même" . D'une part, le transfert d'Alcibiade, est ainsi institué dans l'espace d'un savoir dont Socrate serait supposé détenteur. D'autre part, la réponse de Socrate épingle le caractère de "tromperie"  de ce transfert. De fait, ce qu'Alcibiade demande, il l'est déjà lui-même sans le savoir.
A travers le transfert, l'analysant demande l'agalma à l'analyste dans l'ignorance qu'il s'est déjà constitué comme tel en s'adressant à lui. C'est là que réside la tromperie sur soi qui se met en acte sur la personne de l'analyste. Toutefois, comme le rappelle Safouan , elle ne peut se mettre en acte que dans la mesure où l'analyste est interpellé comme sujet supposé savoir. Le savoir est donc toujours savoir de l'Autre et aucune analyse du transfert ne saurait être cohérente hors de cette assignation supposée au lieu de l'Autre.
Mais si le transfert installe l'analyste au lieu du sujet supposé savoir, c'est parce que le sujet qui s'adresse à lui ignore quelque chose de la structure du désir. En supposant que la vérité de son désir réside dans un savoir que l'Autre détient, il apporte la preuve même qu'il confond le désir et la demande. Seule l'analyse du transfert peut permettre de sortir de cette situation de semblant. Cependant l'analyste ne peut délivrer aucune interprétation qui laisserait entendre qu'il sait à la place du patient. Le savoir inconscient est bien suscité par l'analyste dans le transfert, mais nul autre que le sujet n'en est détenteur. Dans ces conditions, une question se pose : comment le savoir en jeu dans la cure circule-t-il entre les deux partenaires ?
A cette question, Michel Silvestre  répond que nous avons précisément là à prendre en compte aussi bien l'amour inféodé au transfert que la problématique du désir de l'analyste comme le rappelle Lacan  :
"[…] le transfert, n'est pas, de sa nature, l'ombre de quelque chose qui eût été auparavant vécu. Bien au contraire, le sujet, en tant qu'assujetti au désir de l'analyste, désire le tromper de cet assujetissement, en se faisant aimer de lui, en lui proposant même cette fausseté essentielle qu'est l'amour […]
C'est pourquoi, derrière l'amour dit de transfert, nous pouvons dire que ce qu'il y a, c'est l'affirmation du lien du désir de l'analyste au patient. C'est ce que Freud a traduit en une espèce de rapide escamotage [.…] en disant - après tout, ce n'est pas le désir du patient - histoire de rassurer les confrères. C'est le désir du patient, oui, mais dans sa rencontre avec le désir de l'analyste" .
Comment analyser le transfert dans ce dispositif ? Il faut s'aviser que le sujet supposé savoir  est un "constituant ternaire " (Lacan) par rapport aux deux sujets en présence. L'appel au savoir de l'Autre propose ainsi à l'analyste un "costume  prêt à porter" (Lacan) qu'il lui appartient d'endosser en s'instituant ainsi lui-même, comme l'Autre du désir.
Toutefois, le savoir qui doit advenir ne saurait jamais dépendre que des signifiants du patient. En ce sens, le sujet supposé savoir est donc toujours en position tierce vis-à-vis des deux protagonistes en présence. Si le savoir circule imaginairement entre les deux, c'est en raison de la supposition inhérente à la demande de savoir qui est sans cesse relancée. Par ce savoir supposé le sujet est renvoyé à l'impuissance de son discours à énoncer son désir . Il appartient  donc à l'analyste, par son énonciation, de surseoir à cette éficience des énoncés à l'égard du désir.
L'analyse du transfert est ainsi circonscrite à ce savoir qui doit être énoncé , donc au désir dont l'analyste doit faire énonciation . Mais l'analyste n'y parvient que dans la mesure où il n'est que le dépositaire de la signification de ce savoir -et de ce désir- à travers le transfert, via le constituant ternaire du sujet supposé savoir.

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A la suite de Lacan, nous sommes ainsi conduits inévitablement, par l'analyse du transfert, au problème de la fin de la cure, c'est-à-dire de sa limite logique. Comme le signale Michel Silvestre  la limite de la fin de la cure est marquée par la limite même qu'il convient de donner à ce savoir : celle à partir de laquelle le sujet peut envisager de cesser son appel au savoir de l'Autre. En d'autres termes, cette limite semble donc se définir comme celle de l'Autre lui-même dès lors qu'il n'est plus supposé en savoir encore. De fait, lorsque le sujet est suffisamment au fait de son inconscient, le savoir n'a plus à être supposé, et ceci d'autant mieux qu'il devient accessible au sujet. L'Autre ne sait donc plus pour le sujet dans la mesure où il n'est jamais dépositaire du signifiant dernier. Au contraire, le sujet fait l'expérience qu'un tel ultime signifiant n'existe pas. Il n'y a de signifiant qu'à représenter le sujet pour un autre signifiant, de telle sorte qu'il ne peut pas ne pas exister de manque dans l'Autre ; d'où l'algorithme lacanien : S(A) qui métaphorise le savoir sur la castration.
Dans le meilleur des cas, cette symbolisation circonscrit la liquidation du transfert, c'est-à-dire la reconnaissance du manque qui marque le lieu de l'Autre, soit la béance que le sujet ignore dans la dynamique de son désir, mais qui le cause.
Ainsi s'amorce, selon Lacan, la destitution de l'analyste. Le refus de savoir qui sous-tendait la résistance du sujet à travers le transfert, se transforme. Pour reprendre ici une expression de la "Proposition d'octobre 1967" celui qui était supposé savoir, dès lors qu'il ne sait plus, est alors rejeté "tel du fumier" .
Joel DOR


iko
 
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Message par Cyrano » 18 Fév 2005, 21:54

Y'a des textes tellement longs qu'ont été posté que j'ai préféré attendre... A cette heure ci ça se calme, alors..
go!
Cyrano
 
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Message par Cyrano » 18 Fév 2005, 21:55

Regarde qui arrive ? Oh, la cata…

– Elle est chiante avec ses sautes d'humeur, elle te pourrit une soirée, je ne l'invite plus.
– Hou la la, je l'ai vu avant-hier, il ne va pas bien, il est en arrêt maladie. Il se fait une montagne de n'importe quelle petite chose à accomplir, ça le paralyse. Il n'arrive même plus à conduire sa bagnole.
– C'est une angoissée, t'as vu comme elle se bouffe les ongles ? Elle pourrait se bouffer les doigts, elle le ferait. Elle se fait de ces peurs sur des conneries, c'est incroyable.
– Hein, ah non, terminé ce genre de plans : elle voulait que j'éteigne la lumière, elle n'aimait pas que je la touche là, que je lui fasse ceci, elle me touchait même pas, et pour finir elle se levait en pleurant… Elle a dit que elle se sent ainsi depuis qu'elle est ado…
– Je l'ai croisé dans la rue, wouah ! pas la joie de vivre. Il n'était même pas rasé, il s'est mis tout de suite à me raconter ses milliasses de malheur, que ça n'arrive qu'à lui, et patati… Des histoire, j'te dis pas : je n'ai rien compris ! Il dit qu'il n'ouvre même plus les volets chez lui.


Non, non, c'est pas le transfert. Un constat : Mettez-vous ça en tête : "Elle" ou "Lui", ça va pas bien, on dirait, non ? "Elle" ou "Lui" devraient consulter un psy…
Oui, on peut ricaner sur le transfert : on oublie trop facilement qu'on ironise sur des gens en souffrance.
Cyrano
 
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Message par Cyrano » 18 Fév 2005, 21:56

On consulte ?

Pourquoi j'écris ça, le message précédent ? Juste pour que vous ayez en tête une idée toute bête : quand le vent est aimable, que le soleil frôle la peau, que les amours sont délicieuses, que le quotidien ne bouffe pas l'énergie, que la vie frissonne en soi, eh bien, on n'est pas con au point d'aller consulter son docteur – comme dans la pub : la meuf en dessous bleus, tornade glamour chez un docteur épuisé qui lui demande ce qu'elle bouffe au p'tit déj'…
C'est quand ça ne va pas qu'on y va.
Ça semble idiot de le répéter, mais le psy-x,y,z a devant lui une personne qui souffre et qui vient consulter pour vivre mieux, pasque avec l'entourage ça ne va plus (ils ne comprennent pas mon problème) ou pasque avec le manque d'entourage, ça ne va plus (je ne trouve personne à qui parler). On va pouvoir en parler à quelqu'un ! Enfin…
– Docteur, dites, dites moi que ce sont tous de sales cons, dites moi que c'est ça ?
– Docteur, dites moi que tout ça, c'est de la merde, que ça ne vaut rien… c'est bien ça ?


On ne parle pas du tranfert, là. Ayez en tête cette notion entre le psy et son patient : cet état, ce besoin, cette attente.
Oui, on peut pourfendre la notion de transfert : ça suppose, j'espère, une bonne connaissance de ce qui se passe, là, entre un psy et son patient – sinon, d'ailleurs, vous allez peiner à expliquer les gourous…
Cyrano
 
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Message par Cyrano » 18 Fév 2005, 21:57

Present only is blessed ! Rest is remembered… (Jim Morrisson)

– C'est dingue, ça ! je ne sais pas ce qui le paralyse, il est incapable de faire la démarche pour demander tout simplement. On dirait un gamin.
– Ah dis donc, c'est comique : dès que ses parents viennent chez elle, c'est la folie du ménage, du rangement, et elle est d'une humeur massacrante. Elle est agitée de partout, on dirait une gamine.
– Ah ! Lui, j'en ai l'habitude, dès qu'il voit qu'il a fait une connerie, il veut pas l'avouer ! Têtu comme une mule ! Pire, il trouve plein de raisons pour se justifier, c'est pénible. C'est bien simple : on dirait un gamin.
– Elle est incroyable ! Dès que tu lui fais une remarque, hop, elle est tétanisée, elle ne sait plus quoi faire, elle fond en larmes. On dirait qu'elle redevient gamine.


Rien à voir avec le transfert… Ceci est dit uniquement pour vous montrer que dans des situations d'ici et maintenant, on peut se trouver à les vivre comme des situations d'avant, du temps qu'on était gamine, gamin. On avait mal vécu ses situations, et lorsque un événement fortuit semble créer les mêmes conditions, l'inconscient manifeste sa présence et vous fais ressentir ce que vous ressentiez alors… Et vous le prenez, impuissant, comme argent comptant…

Ayez en tête cette notion que la patient qui va consulter y va justement parce que des besoins refoulés taraudent ses comportements, et que les besoins et les règles qui en régissent l'expression ne viennent pas de la veille…
Certes, on peut nier le transfert : on peut nier aussi, contre vents et marées, la résurgence incongrue des refoulements d'avant, bien avant dans les situations d'ici, maintenant.
Cyrano
 
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