la genetique et les migrations humaines

Et lutte contre les pseudo-sciences et les obscurantismes

Message par Urriko » 24 Avr 2005, 16:55

Ci-dessous, deux articles ainsi qu'une interview d'une démographe réalisés par Libération en date du 23/04/2005

(Liberation.fr a écrit :L'expédition génétique

Collecter des dizaines de milliers d'ADN de populations indigènes pour retrouver l'histoire de l'Homme: c'est le projet lancé par la National Geographic Society qui investit un domaine de recherches en plein essor.

Par Corinne BENSIMON

samedi 23 avril 2005 (Liberation - 06:00)


On se souviendra du nom. Il se décline comme un rébus. Mon premier est la génétique. Mon second, la géographie. Mon tout s'appelle Genographic, le très ambitieux projet de recherches lancé le 13 avril dernier à Washington par la National Geographic Society (propriétaire du célèbre mensuel) et IBM avec le soutien d'une association américaine, la Waitt Family Foundation. Le projet Genographic promet de mettre «plus de 40 millions de dollars» sur cinq ans à la disposition de recherches sur les origines de l'homme moderne, Homo sapiens sapiens(/i]. Il sera piloté par le généticien américain Spencer Wells, «en résidence» au National Geographic avec le titre d'«explorateur».

Un titre sur mesure puisqu'il s'agit bien d'une exploration, dans l'espace et le temps. Genographic prévoit de collecter l'ADN de 100 000 personnes appartenant aux «populations indigènes» les plus isolées de la planète. Objectif : établir, grâce à l'analyse de ces ADN, la généalogie des populations humaines et la carte de leurs migrations depuis les origines. «L'ADN de chacun d'entre nous est porteur d'une histoire partagée par tous, explique Spencer Wells. Au fil des cinq prochaines années, nous déchiffrerons cette histoire.» Ted Waitt, fondateur de la Waitt Family Foundation, précise l'esprit de l'aventure : «Plus nous améliorons notre connaissance de l'origine commune et du voyage de l'humanité, plus nous pouvons nous considérer comme des membres de la même famille.»


Un nouveau filon

Humaniste, le projet Genographic sera d'abord une vitrine pour la National Geographic, qui sponsorise des expéditions archéologiques et naturalistes depuis 117 ans et se flatte de compter une audience de «300 millions de personnes dans le monde» grâce à son mensuel traduit en vingt langues et sa chaîne télé. Les tribulations scientifiques de Spencer Wells et ses collaborateurs seront le support d'un film, d'un «musée» on-line, et assurément de multiples reportages photogéniques. Déjà, National Geographic met son public en appétit en lui proposant de participer à l'aventure. Moyennant 70 euros, le «participant» pourra faire analyser son ADN par la firme texane Family Tree DNA. Fondée par Michael Hammer, auteur de la découverte controversée d'un trait génétique propre aux Cohen, c'est une des dizaines de sociétés exploitant le nouveau filon hautement spéculatif de la «généalogie moléculaire» (lire ci-dessous).

Richement financée et médiatisée, l'aventure de Genographic aura l'immense mérite de promouvoir un champ de recherches méconnu : la génétique des populations au service de l'histoire de l'homme. On estime que l'ancêtre de l'homme moderne, Homo erectus, a migré il y a 1,7 million d'années de l'Afrique vers l'Europe et l'Asie,qu'il a donné plusieurs espèces locales, dont Neanderal et Homo sapiens, la seule survivante.

Cette dernière aurait commencé une grande expansion il y a environ 50 000 ans, atteignant il y a 10 000 ans l'Amérique via le détroit de Béring après avoir gagné l'Europe, l'Asie, l'Océanie. Mais, comme l'observe le généticien André Langanay, les débats font rage sur le lieu et la date d'apparition d'Homo sapiens (150 000, 200 000 ans ? En Afrique de l'Est, au Moyen-Orient, en plusieurs lieux à la fois ?), le nombre de ces ancêtres de l'humanité actuelle (étaient-ils 5000, 10 000 ?), le détail des routes empruntées. «Aujourd'hui encore, on a une idée très approximative des origines de l'homme moderne, résume Luigi Cavalli-Sforza. Agé de 81 ans,aujourd'hui professeur émérite à l'université de Stanford, cet éminent généticien des populations a publié, dès 1994, la première carte des migrations de l'espèce intégrant des données génétiques.

L'ambition d'étudier l'ADN des hommes afin de connaître l'histoire de l'homme et la géographie de ses déplacements n'est en effet pas née le 14 avril dernier à Washington mais il y a près de quinze ans. En 1993, Luigi Cavalli-Sforza propose de lancer le projet Human Genome Diversity (HGDP), programme international d'étude des subtiles variations qui affectent le texte du génome humain. Des variations qui fondent la diversité génétique de l'humanité. Leur étude systématique, à l'échelle de la population mondiale, permettra de mieux connaître l'histoire de l'homme, plaide le généticien. Cette recherche, insiste-t-il, est urgente.


Des traces en voie de disparition

Issues de mutations ou de recombinaisons génétiques, les variations de l'ADN sont des «marqueurs» qui témoignent des échanges biologiques entre populations, de leurs rencontres physiques et donc de leur proximité géographique, et partant de leurs migrations (lire ci-contre). Toutefois, cette corrélation entre génétique et géographie est en voie d'effacement, observe Luigi Cavalli-Sforza dès le début des années 90. «Depuis les chemins de fer, les migrations sont devenues très rapides, on va vers une humanité globalisée, explique-t-il aujourd'hui. La distribution des variations génétiques devient plus uniforme et moins informative.»

Son projet propose de coordonner la collecte et l'analyse de l'ADN d'un millier de personnes appartenant à vingt «populations indigènes». «On désigne ainsi des ethnies qui étaient déjà dans leur région de résidence actuelle avant les dernières grandes migrations, celles des XVe et XVIe siècles», précise Cavalli-Sforza. De façon pionnière, il prévoit de retracer l'histoire de l'homme en intégrant génétique, archéologie, paléontologie et aussi linguistique : «Les gènes et les langues évoluent de la même façon», explique-t-il. Les uns et les autres se transmettent de parents en enfants et témoignent des rencontres entre populations. Douze ans avant Genographic, le projet Human Genome Diversity promet donc un voyage dans les cultures et les gènes. Mais il est accusé, dès son annonce, des pires intentions.

«Biopiratage» de l'ADN indigène à des fins commerciales. Non-respect du consentement éclairé des participants «vampirisés» (l'ADN est extrait de prélèvements sanguins). Projet «raciste». Ces accusations, lancées par des avocats des droits des peuples autochtones, paralysent le projet. «L'étude de la diversité génétique dément au contraire l'existence de races, rappelle pourtant Laurent Excoffier, professeur à l'université de Berne (Suisse). Elle montre qu'il y a plus de différences génétiques entre deux personnes d'une même population qu'entre deux populations.» Quant au biopiratage, le HGDP prévoyait le libre accès à sa banque d'ADN et à ses résultats scientifiques... Le projet est néanmoins renvoyé devant divers comités d'éthique américains avant d'obtenir enfin, en 1997, un feu vert... mais très peu de financements. Depuis 2000, le HGDP continue, sous la tutelle du Centre d'études du polymorphisme humain (CEPH, Paris), fondé par le Prix Nobel français Jean Dausset. Aujourd'hui, le CEPH héberge la plus grande banque biologique dédiée à l'étude de la diversité de la population humaine : «1 050 prélèvements provenant de 51 populations, des Hans de Chine aux Basques et aux Mayas, souligne Howard Cann, responsable du HGDP, étudiés par 70 laboratoires de recherche dans le monde.» L'étude de la diversité génétique humaine est donc aujourd'hui l'affaire de milliers de chercheurs, tous héritiers du projet Human Genome Diversity.

Lolke Van der Veen (CNRS, Lyon) a participé à quatre missions au Gabon sur l'origine des Fang, ethnie majoritaire qui affirme être venue du Soudan. Manfred Kayser, qui étudie à l'Institut Max-Planck de Leipzig (Allemagne) l'ADN de populations afro-américaines et européennes, a révélé l'emprise des maîtres blancs sur leurs esclaves noires. Plus récemment, une équipe française publiait une étude génétique de populations d'Asie centrale corroborant la légende clanique qui place un géniteur unique à l'origine de leur lignage. Genographic sera-t-il le prétexte d'une «énième collecte d'ADN», comme le redoute le généticien Jean-Louis Serre ?


Reconstituer l'histoire de l'ethnie

«100 000 ADN, c'est ambitieux», s'étonne Howard Cann, qui accueille avec perplexité le projet américain, dont il n'a été informé qu'après son lancement. «Comment vont-ils être analysés ? Et collectés ? Il est difficile d'expliquer à des populations pourquoi on vient leur prendre du sang.» Lolke Van der Veen, qui a collecté 1 000 échantillons au Gabon, témoigne : «Avec du sang, on peut faire de la sorcellerie. Il faut donc expliquer aux anciens qu'il s'agit de reconstituer l'histoire de leur ethnie.» Genographic promet de reverser ses bénéfices à des programmes sociaux en faveur des populations indigènes. Luigi Cavalli-Sforza, président honoraire du comité scientifique de Genographic, en espère aussi d'autres retombées : contrer le mouvement créationniste qui prône une vision biblique du vivant et freine, aux Etats-Unis, les recherches sur l'évolution. «La majorité des partisans du gouvernement Bush nient le darwinisme», dit-il. Le titre de la série télé diffusée pour lancer Genographic devrait les séduire : A la recherche d'Adam.



(Liberation.fr a écrit :Les variations de l'ADN, fil d'Ariane

Par Corinne BENSIMON

samedi 23 avril 2005 (Liberation - 06:00)


Tous les hommes sont parents puisqu'ils descendent tous d'une petite population de «premiers fondateurs». Mais comment établir l'arbre généalogique de cette parenté qui court sur plus de 150 000 ans? L'étude de l'évolution des variations de l'ADN humain peut y contribuer. Au fil de sa transmission de génération en génération, l'ADN est sujet à de subtiles modifications - dues essentiellement des échanges entre chromosomes, et des mutations. Or, lorsque des groupes d'hommes ont emprunté des routes différentes, ils ont emporté avec eux, dans leur ADN, des variations génétiques qui ont connu, dans chaque groupe, une évolution indépendante, s'accumulant au fil des générations et offrant un profil de plus en plus divergent. Résultat, une loi: plus les populations s'éloignent et s'isolent, plus leur ADN offre des variations distinctes. La «distance génétique» est donc généralement corrélée à la «distance géographique». En étudiant l'évolution de cette distance génétique, on peut espérer évaluer la proximité des populations, retrouver où elles se sont séparées, et de proche en proche retracer l'histoire des migrations humaines.

L'étude des variations du chromosome Y et de l'ADN contenu dans les mitochondries des cellules est particulièrement informative car ces deux supports génétiques ne subissent que des altérations relativement simples à tracer: des mutations. En outre, le chromosome Y, transmis de père en fils, permet de remonter la lignée paternelle directe. Et l'ADN des mitochondries, transmis par l'ovule, la lignée maternelle directe. Ces deux lignées- seules analysées par les sociétés de «généalogie moléculaire»- ne contribuent toutefois qu'à une infime partie de l'héritage génétique d'un individu.



(Liberation.fr a écrit :XXIe siècle. Recherche. Anne Lifshitz-Krams, démographe au CNRS, spécialiste de la généalogie:

«Remonter dans le passé pour créer du lien social»

Par Corinne BENSIMON

samedi 23 avril 2005 (Liberation - 06:00)


Le programme lancé par la National Geographic Society fait écho à l'intérêt croissant pour la généalogie. Comment expliquer cet engouement pour la recherche de nos ancêtres?

La généalogie est aujourd'hui pratiquée de façon extrêmement compétente par un nombre croissant de gens, si l'on en juge par le nombre d'associations dans lesquelles ils se retrouvent et la floraison de sites dédiés sur l'Internet. Cette recherche attire souvent aujourd'hui des personnes qui ont souffert d'une rupture du continuum historique, que cette rupture soit due à la guerre, à la Shoah  pour les Juifs , à l'esclavage  pour les Noirs américains  ou simplement à l'émigration. Dans tous les cas, il s'agit de recréer du lien social en inscrivant sa propre histoire dans une continuité historique qui a été interrompue : histoire familiale, histoire locale, voire histoire avec un grand H.


C'est une évolution nouvelle ?

C'est une demande différente de celle qui prévalait autrefois et qui était le fait de grandes familles au long enracinement, de nobles qui cherchaient à prouver leur rang dans la lignée, aimaient à aligner dans leur arbre généalogique des personnalités marquantes, des ancêtres prestigieux, et s'efforçaient de remonter le plus loin possible dans le passé. Les personnes qui s'engagent aujourd'hui dans une recherche généalogique espèrent elles aussi, évidemment, trouver un ancêtre original, pas nécessairement un grand nom, mais un porteur d'histoire. Ces généalogistes font d'ailleurs de plus en plus un travail d'historien et de sociologue, élargissant leurs recherches à l'histoire de la ville où vivait cet ancêtre, aux modalités de son métier, à la façon dont on prenait femme à l'époque, etc. Cela les conduit souvent à écrire des monographies sur une commune ou une famille. C'est une façon de s'enraciner dans un terroir virtuel tout en réalisant un travail très philanthropique de recherche et de partage de sources nouvelles, travail qui lui-même génère du lien social. Et puis il y a une autre tendance : on va remonter la lignée paternelle, le long du patronyme, pas nécessairement sur un grand nombre de générations, mais juste assez pour redescendre cette lignée et réinventer une large parentèle groupant les porteurs du nom que l'on invitera éventuellement à une grande réunion de famille. Remonter dans le passé pour recréer, dans le présent, du lien social est une démarche d'autant plus forte que les familles sont aujourd'hui plus réduites, à la fois en nombre d'enfants et du fait de l'absence de cohabitation des générations.


Des sociétés privées proposent des services de «généalogie moléculaire» permettant de trouver des affinités génétiques avec des populations anciennes ou de très lointains cousins. N'est-ce pas là valoriser les liens du sang plus que le lien social ?

Ce n'est pas si simple. Cette offre génétique risque sans doute de flatter le désir de repli clanique ou, à l'inverse, la volonté d'exclusion de ceux qui n'appartiennent pas au clan. Les multiples recherches de marqueurs génétiques de populations ou de groupes particuliers peuvent faire craindre l'émergence d'un nouveau racisme. En outre, la transformation quasi immédiate des résultats préliminaires d'une recherche balbutiante en tests commercialisés sur l'Internet a de quoi inquiéter. Cependant, les débats qui animent les forums de généalogie laissent supposer que l'usage des tests, au moins dans ce milieu, relève plus de l'espoir de s'inscrire dans une communauté et dans une histoire plus large que de celui d'en exclure les autres. C'est très différent d'un désir de repli. La généalogie aujourd'hui est le fait de «sans-familles», non pas de «grandes familles». La recherche d'ancêtres, même très lointains, voire remontant aux origines de l'homme, procède, me semble-t-il, de ce même désir d'«être en famille».



Avatar de l’utilisateur
Urriko
 
Message(s) : 1
Inscription : 12 Avr 2004, 16:09


Retour vers Sciences

Qui est en ligne ?

Utilisateur(s) parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 1 invité