des articles dans le monde d'aujourd'hui:
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[center]Des mégalopoles sous la menace de séismes majeurs[/center]
LE MONDE | 11.01.06 |
Vingt-six mille personnes tuées par le séisme de Bam (Iran), le 26 décembre 2003 ; 230 000 victimes du tsunami survenu au large de Sumatra (Indonésie) le 26 décembre 2004 ; 86 000 morts dans le nord du Pakistan après le séisme du 8 octobre 2005. Ces chiffres donnent le vertige. Ils démontrent que la planète est vivante, qu'elle s'ébroue avec violence, entrechoquant ses plaques tectoniques et provoquant des catastrophes humaines.
Cette sombre série préoccupe géophysiciens, géologues et tectoniciens car tous craignent qu'un tremblement de terre majeur n'affecte, demain, une mégapole. Pierre-Yves Bard, ingénieur des Ponts et chaussées qui étudie les risques sismiques au Laboratoire de géophysique interne et tectonophysique de l'Observatoire de Grenoble, estime que plusieurs grandes agglomérations pourraient être touchées à l'avenir. Parmi elles Tokyo, Osaka (Japon), Taïpeh (Taïwan), Djakarta (Indonésie), Calcutta, New Delhi (Inde), Dacca (Bangladesh), Téhéran (Iran), Istanbul (Turquie), Le Caire (Egypte) et Los Angeles (Etats-Unis), pour n'en citer que quelques-unes. Un risque qui devrait s'amplifier à l'horizon 2025, car à cette date 2 milliards de Terriens supplémentaires vivront dans des mégapoles.
Or, malheureusement, "à l'inverse de la météorologie, nous pouvons faire des prévisions à long terme mais pas à court terme", explique Paul Tapponnier, spécialiste de tectonique à l'Institut de physique du globe de Paris (IPGP). La prévision d'un séisme reste toujours un voeu pieux, les scientifiques n'ayant pas identifié les signaux précurseurs qui permettraient de prévenir les populations de ces risques. Et cela malgré la mise en place d'instruments d'observation terrestres, spatiaux, et parfois marins.
Quelques succès ont été obtenus en observant des phénomènes tels que le comportement des animaux, la concentration en radon — un gaz radioactif — des eaux souterraines proches d'une faille active, ou encore la détection de microséismes précurseurs de tremblements de terre de grande ampleur. Mais ces réussites sont rarement transposables et exploitables. La méthode VAN, imaginée dans les années 1980 par trois physiciens de l'université d'Athènes — Panayotis Varotsos, Kessar Alexopoulos et Kostas Nomicos — pour détecter des anomalies électromagnétiques générées dans le sous-sol avant un séisme est contestée, en dépit de quelques succès. Des recherches sont aujourd'hui menées sur les perturbations ionosphériques que pourraient engendrer un séisme ou un tsunami. Mais, malgré quelques corrélations, il n'est pas encore possible d'en tirer des prédictions fiables.
Un moyen d'agir consiste à étudier, à l'aide de sismomètres, des stations GPS et des images radar prises par satellite, les grandes failles susceptibles de générer un séisme majeur de magnitude supérieure à 7. Ces mesures donnent des informations sur les lentes déformations de ces ruptures de l'écorce terrestre. Combinées à l'étude des séismes passés, détectés en creusant des tranchées dans les failles en question, elles permettent aux chercheurs de dire qu'il existe une "lacune", c'est-à-dire un endroit où la faille n'a pas bougé depuis longtemps, et qui peut casser brutalement.
Le système Geoss (Global Earth Observation System of Systems), lancé en février 2005 par l'Union européenne et organisé autour d'une trentaine de satellites, devrait apporter des éléments nouveaux à l'étude des catastrophes. Il est également possible de faire appel à des robots sous-marins ou de larguer des sismomètres marins au fond de l'eau, autour et au-dessus de la faille. Mais leur nombre est pour l'instant réduit.
Les grandes failles "à risque" de la planète sont connues des spécialistes. Et l'on sait, grâce à la mise en évidence des "lacunes", qu'un aléa sismique important y est malheureusement prévu. Ainsi, la faille de Sumatra devrait rejouer dans sa partie située au sud de l'équateur, mais il est impossible de savoir quand. La ville d'Istanbul devrait
subir les effets d'un séisme annoncé en mer de Marmara. Et la baie de San Francisco a une "chance" sur quatre d'être frappée par un puissant séisme d'ici vingt ans. Les habitants de Tokyo, quant à eux, attendent aussi un "Big One".
Ces risques ne sont malheureusement pas exclusifs. On peut aussi citer la faille du Levant, qui part du golfe d'Akkaba et traverse tout le Proche-Orient jusqu'au nord d'Antioche, et qui présente un danger pour le Liban. Et dans la Chine du Nord-Ouest, un séisme majeur est à craindre dans la région très peuplée de Lanzhou. D'autres régions du globe sont aussi concernées telles que le nord du Chili, les Antilles, la Nouvelle-Zélande et la zone himalayenne.
Le défi à relever est immense. "Nous ne disposons pas de réseaux d'instruments assez denses pour évaluer les grandes failles à risque, qui peuvent être longues de plusieurs centaines de kilomètres", constate Paul Tapponnier. Les seuls pays à avoir pris des mesures en ce sens avec de gros moyens sont le Japon, pays soumis à des séismes permanents, et les Etats-Unis, qui auscultent régulièrement la grande faille de San Andreas. Ailleurs, les crédits sont plus chiches.
PASSER À LA VITESSE SUPÉRIEURE
Le problème, selon Paul Tapponnier, vient du fait que "dans notre spécialité, nous travaillons avec des moyens qui ne sont pas à la mesure de l'enjeu". "Une datation au carbone 14 pour évaluer l'âge et le comportement passé d'une faille coûte 300 euros, poursuit-il. Or, pour faire du bon travail, il en faut une centaine. Un sismomètre ou un instrument géodésique pour le positionnement spatial coûte environ 20 000 euros pièce." Le plus souvent, ajoute le scientifique, "nous travaillons à la petite semaine, c'est-à-dire que nous arrivons à décrocher 10 000 euros pour une année. Ensuite, il faut attendre l'année suivante".
Il est clair que "dans le domaine des sciences de la Terre, il faut passer à la vitesse supérieure, sinon on continuera à se faire prendre de vitesse par la nature", s'inquiète Paul Tapponnier. Les habitants de la Terre ont su fédérer leurs efforts pour l'étude du climat ou la conquête spatiale. Pourquoi ne pas imaginer une coordination similaire destinée à détecter les précieux signaux précurseurs des séismes ?
Christiane Galus
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Agenda
La Cité des sciences et de l'industrie présente jusqu'au 15 mai 2006 une exposition intitulée "Risques sismiques, que peut la science ?". Sur DVD, elle sera ensuite diffusée dans les réseaux culturels français à l'étranger.
a écrit :
[center]Les six zones déjà frappées sont sous surveillance renforcée[/center]
LE MONDE | 11.01.06 |
ISTANBUL (Turquie). Il existe une probabilité d'environ 90 % pour qu'un séisme important — de magnitude 7 à 7,5 — touche Istanbul, au plus tard dans trente-deux ans. Cette menace est due à la faille nord-anatolienne, qui balafre la Turquie d'est en ouest sur plus de 1 000 km et qui se poursuit jusqu'en mer de Marmara. Elle est la marque de l'affrontement de la plaque arabique contre la plaque eurasiatique. Les recherches menées par les scientifiques français et turcs en mer de Marmara ont permis d'observer au fond de la mer les traces de plusieurs séismes historiques datant de 1912, 1963 et 1999, et de constater qu'il reste, selon eux, 70 km de faille "à briser" face à Istanbul.
SAN FRANCISCO (Etats-Unis). Le risque pour la baie de San Francisco d'être frappée, d'ici vingt ans, par un séisme d'une magnitude supérieure à 7 est de 1 à 4. Le réseau de failles en jeu dans ce futur tremblement de terre part du fond du golfe de Californie et court tout au long de l'ouest de la Californie. Il résulte de l'affrontement des plaques américaine (à l'est) et pacifique (à l'ouest). Point positif : les règles de construction parasismique sont, en principe, respectées à San Francisco.
TOKYO (Japon). Le Japon est situé à proximité d'une frontière active de plaques. Il s'agit d'une zone de subduction où la plaque pacifique plonge sous la plaque eurasiatique. Celles-ci s'affrontent à la vitesse de 9 cm par an. Les autorités japonaises s'attendent donc à un séisme très important dans cette zone car la région de Tokyo-Yokohama est sous la menace de quatre failles actives. Elles redoutent une répétition du tremblement de terre de 1923, qui avait provoqué la mort de 142 000 personnes.
Nord du CHILI. La zone côtière du Chili est l'une des régions du monde où les sismologues attendent un séisme majeur, de magnitude supérieure à 8. La subduction de la plaque nazca sous celle du continent sud-américain s'effectue à une vitesse moyenne de 9 cm par an et entraîne du fait de cette "brutalité" des contraintes tectoniques énormes. Dans le passé, en 1868 et 1877, deux séismes majeurs ont rompu deux segments de cette zone de subduction. Or le temps de récurrence de ce type de séisme est d'environ cent ans.
LIBAN. La faille du Levant — zone frontière entre les plaques africaine et arabique — qui part du golfe d'Aqaba et traverse tout le Proche-Orient jusqu'à Antioche, présente un risque sismique pour la région. Une équipe française étudie le chevauchement "Tripoli-Beyrouth", qui plonge sous la mer à Tripoli et dont le glissement soudain a sans doute détruit Beyrouth en 551. La région a connu plusieurs grands séismes qui ont dévasté le Liban en 1202, 1759 et 1837.
Région de LANZHOU (nord-ouest de la Chine). Selon les spécialistes, la plus grande partie du territoire chinois est menacée par des séismes de magnitude supérieure à 8. Mais à une centaine de kilomètres de Lanzhou, région très peuplée du nord-ouest de la Chine, un segment de 200 km de la faille de Haiyuan n'a pas bougé depuis le XIIIe siècle. Du fait des tensions qui s'accumulent dans cette zone depuis cette époque, on peut s'attendre, à tout moment, à une rupture particulièrement brutale.
Christiane Galus
a écrit :
[center]Istanbul se prépare à un nouveau désastre annoncé[/center]
LE MONDE | 11.01.06 |
Istanbul, correspondance
Sans ses contreforts antisismiques, la mosquée de Sainte-Sophie n'aurait pas sa fameuse silhouette tout en rondeurs. Les traces laissées par les séismes au cours des siècles sont visibles sur de nombreux monuments d'Istanbul. Et la mégapole de 14 millions d'habitants vit dans la crainte permanente d'un nouveau tremblement de terre qui pourrait s'avérer destructeur.
Istanbul est construite à proximité de la faille nord-anatolienne, qui n'est pas totalement rompue. Les scénarios les plus alarmistes prédisent, dans les vingt à trente ans qui viennent, un séisme de 7 à 7,5 sur l'échelle de Richter, avec un épicentre à moins de 20 km d'Istanbul, qui pourrait faire 90 000 morts, 135 000 blessés et 600 000 sans-abri.
Le tremblement de terre de 1999 est encore présent dans tous les esprits. Il avait tué 20 000 personnes dont un bon millier à Istanbul, pourtant située à 90 km de l'épicentre. Le quartier d'Avcilar, parsemé de terrains vagues et de murs fissurés, en porte encore les stigmates. Le traumatisme a agi comme un déclic, et les autorités tentent d'anticiper un nouveau désastre. Elles ont créé plusieurs organismes spécialisés et se sont penchées sur l'état des constructions dans la ville. "Depuis 1999, des efforts ont été faits, reconnaît Sami Yilmaztürk, l'un des responsables de la chambre des architectes d'Istanbul. Grâce à de nouvelles normes, la qualité des matériaux et du ciment s'est améliorée et il y a davantage de contrôles."
D'après un rapport déposé, cet automne, sur le bureau du premier ministre Recep Tayyip Erdogan, près de 400 000 bâtiments, soit un tiers des immeubles, ne résisteraient pas à un tremblement de terre majeur. Pour éviter cette hécatombe, il faudrait s'attaquer au problème principal : 70 % des constructions à Istanbul sont illégales. Il suffit de lever les yeux pour voir, à chaque coin de rue, des immeubles de guingois dont les étages supérieurs ont été rajoutés à la sauvette.
Les gecekondu, littéralement "maisons construites en une nuit", sont encore nombreuses dans les quartiers populaires. Et plusieurs amnisties successives ont fini par légaliser cette anarchie urbaine. "Les politiques populistes ont montré leurs limites en 1999, et il faut en finir avec ça", tranche Lütfi Altun, directeur du département de transformation urbaine à la municipalité d'Istanbul. La mairie se targue d'avoir accéléré les destructions, et le nouveau code pénal turc a renforcé les sanctions contre ces pratiques frauduleuses. "La nécessité de se rapprocher des normes européennes favorise aussi les progrès dans ce sens", estime Lütfi Altun.
BATEAUX-HÔPITAUX
Mais surtout, après 1999, la mairie d'Istanbul, associée à des universitaires, a mis sur pied un plan de prévention, passant en revue les lacunes à combler : réhabilitation des immeubles, exercices de simulation et formation des secours... "Il fournit une feuille de route pour la réduction des risques liés à des séismes, à moyen et à long terme", décrypte Mustafa Erdik, qui a coordonné le plan. Le quartier de Zeytinburnu a été décrété arrondissement pilote. "Tous les bâtiments à risque sont répertoriés, classés et si besoin détruits, assure Lütfi Altun. Ensuite, il faut établir des corridors d'évacuation, informer la population..." En 2006, ce système devrait être étendu à d'autres quartiers, dont la péninsule historique d'Istanbul.
Dans le quartier résidentiel de Gayrettepe, sur la rive européenne, les responsables municipaux ont essayé de mettre en place un dispositif de premiers secours. "Le quartier est divisé en districts, des containers ont été disposés un peu partout, contenant lampes, pioches, couvertures, tentes, etc.", détaille l'architecte Sami Yilmaztürk. Mais les conteneurs ont été pillés... Le plan prévoit aussi la mise en place de bateaux-hôpitaux.
"La limite de cette politique sera le financement, résume Jean-François Pérouse, directeur de l'Observatoire urbain d'Istanbul. Le coût total est évalué à 50 milliards d'euros. Il y en a au moins pour trente ans." Les bailleurs de fonds internationaux devront donc mettre la main au portefeuille. La Banque mondiale finance déjà la consolidation des bâtiments publics. Les habitants, eux, sont incités à émigrer vers la périphérie où de gigantesques villes nouvelles sortent de terre, comme à Basaksehir ou Catalci. "Le risque sismique est utilisé comme alibi pour mener des opérations politico-spéculatives", selon Jean-François Pérouse. La Mairie a créé sa propre société immobilière privée, Kiptas, qui réalise la plupart de ces chantiers. Le prix du foncier a explosé dans ces quartiers.
Guillaume Perrier