
dans le Figaro:
a écrit :
[center]Omo-Turkana, la nouvelle vallée des paléontologues [/center]
En Ethiopie, ce site qui s'étend sur une centaine de kilomètres regorge de pierres et d'ossements. Un hominidé de près de 5 millions d'années vient d'y être découvert. Visite dans ce berceau de l'humanité.
Isabelle Brisson
[21 janvier 2006]
IL FAIT «FRISQUET» aujourd'hui dans le bassin de l'Omo-Turkana, dans le sud de l'Ethiopie, seulement 40 °C au lieu des 50 habituels ! Une rafale de vent nous accueille. Et fait vibrer les tentes de notre campement, installé en plein soleil, sur le site de fouilles de Fejej où nous accompagnons Albert II de Monaco, venu suivre un cours magistral de préhistoire. Une tradition familiale qu'il entend perpétuer. «C'est génétique», déclare le nouveau prince régnant. Son ancêtre le prince Florestan Ier (qui régna de 1841 à 1856) a fouillé les grottes de Grimaldi (près de Vintimille) alors que cette discipline en était à ses balbutiements. Un peu plus tard, un autre de ses aïeuls, le prince Albert Ier (1848-1922) a fondé l'Institut de paléontologie humaine à Paris, après avoir réalisé lui aussi quelques fouilles.
Notre campement a délogé pour un temps les serpents, araignées et scorpions qui occupent cette région semi-désertique. A perte de vue, des cailloux et de l'acacia en buissons rabougris qui couvrent une fine couche de terre brune. Ce site aride du bout du monde est occupé deux mois de l'année par l'équipe de chercheurs animée par Henry de Lumley, professeur et directeur de l'Institut de paléontologie humaine (IPH). Et par quelques chercheurs étrangers qui viennent à l'occasion compléter leur recherche.
Il fonctionne avec le soutien financier du ministère français des Affaires étrangères. C'est cette équipe et Yonas Beyene, ancien élève d'Henry de Lumley, boursier de l'IPH et du gouvernement français, devenu directeur du patrimoine en Ethiopie, qui ont mis au jour les fossiles et les pièces archéologiques révélant des étapes de l'évolution de l'homme.
Sous le soleil brûlant, l'équipe de scientifiques cherche des fossiles dans un rayon de 5 ou 6 kilomètres du campement. Le site FJ-50 a révélé une partie du squelette du plus ancien fossile éthiopien, un Australopithecus anamensis antérieur à celui qui a été trouvé au Kenya. Ce spécimen a pu être daté : la période à laquelle il appartient est comprise entre 4,2 et 5 millions d'années.
Plus vieux que Lucy
C'est-à-dire qu'il est antérieur à Lucy (3,2 millions d'années), mise au jour non loin de là, dans l'Afar, par une équipe composée de Donald Johanson, Maurice Taïeb et Yves Coppens. Henry de Lumley estime que ce nouvel hominidé est peut-être l'ancêtre d'Australopithecus afarensis, lui aussi mis au jour en Ethiopie et daté de 3,5 à 3 millions d'années.
Cette découverte laisse supposer au chercheur que le nouveau venu était peut-être contemporain d'Ardipithecus ramidus, de 4,5 millions d'années. Et que ce dernier appartiendrait à une autre branche parallèle d'hominidés, ce que l'on ignorait jusqu'à présent. Quoi qu'il en soit, s'il marchait déjà debout, A. anamensis ne taillait pas encore d'outils. Pas plus que les autres hominidés, qui apparaissent dès 7 millions d'années, avec Toumaï (Sahelanthropus tchadensis) mis au jour par l'équipe de Michel Brunet.
Les scientifiques ont localisé des couches de tuf volcanique où ils pensent trouver des fossiles. Ce sont les pluies diluviennes qui ont libéré les restes d'A. anamensis. Un morceau de crâne, un morceau de mandibule et une molaire ramassée en deux parties à quelques jours de différence. Voilà pourquoi ici, pendant chaque campagne de fouilles, on n'hésite pas à repasser plusieurs fois sur le même endroit et à tamiser. «Vous devez être très pauvre pour laver la terre ici en pleine chaleur», compatissent les pasteurs nomades du clan Dassanech, avec qui les chercheurs entretiennent d'excellents rapports. En voyant se baisser devant nous l'un des spécialistes, nous pouvons constater qu'il faut vraiment son oeil avisé pour reconnaître un os fossilisé d'un caillou sur ce sol.
Un oeil avisé et de la persévérance. «Quand nous sommes venus ici pour la première fois, en 1992, se souvient le docteur Emmanuel Desclaux, directeur du laboratoire de préhistoire du Lazaret, à Nice, il fallait trois jours en 4 x 4 d'Addis-Abeba. Nous prenions des risques en partant avec une seule voiture, sans téléphone et sans GPS. Il nous est arrivé de perdre nos provisions dans un fleuve en crue après des pluies torrentielles.» La petite ville d'Omoraté, qui est le premier point d'eau, se trouve à 55 kilomètres d'ici. Pour y accéder, il n'y avait pas de route. C'est l'équipe qui l'a tracée en marquant les arbres à la peinture blanche, au cours des six missions précédentes.
Une région démunie
Après un coucher de soleil sur le lac Turkana, à quelques kilomètres en contrebas et une nuit passée dans les logements de toiles multicolores, nous empruntons la route vers Omoraté. Nous emmenons un petit garçon dassanech (d'une ethnie de pasteurs semi-nomades qui vit dans la région). L'enfant, qui s'est blessé dans le dos, est accompagné par ses parents. Ici, après le sida, la dysenterie et la tuberculose, la septicémie survient souvent chez les enfants à la suite de petites blessures. En effet, il n'y a pas de médicaments pour désinfecter les plaies ni de médecin pour les soigner. Cette maladie figure parmi les premières causes de mortalité infantile.
C'est de cela aussi que le Prince Albert II de Monaco va parler avec le responsable du dispensaire d'Omoraté, au nom de la Croix-Rouge monégasque. Il est venu livrer en mains propres une première liste de médicaments réclamés par ce centre et prévoit la formation de médecins, qui manquent cruellement ici. Des médecins itinérants seraient souhaitables, parce que les gens n'ont pas les moyens de se déplacer rapidement dans le sud de l'Ethiopie.