dans Libération:
a écrit :
[center]Virulente polémique sur la relation ou non entre l'effet de serre et la fréquence accrue des ouragans.[/center]
[center]Les esprits s'échauffent chez les ouraganologues américains[/center]
Par Pascal RICHE
lundi 06 février 2006
Washington de notre correspondant
L'homme est-il responsable de l'augmentation du nombre d'ouragans dévastateurs sur les Etats-Unis ? La question déchaîne tant les passions, chez les météorologues américains, qu'elle a perturbé l'organisation d'un très sérieux colloque la semaine dernière à Atlanta (Géorgie). L'affaire a été rapportée par le Wall Street Journal : les organisateurs de l'assemblée annuelle de l'American Meteorological Society avaient prévu une table ronde sur le changement climatique. Ils avaient invité deux éminents «ouraganologues» : William Gray, 76 ans, prof à l'université d'Etat du Colorado, et Greg Holland, du National Center on Atmospheric Research, un de ses anciens élèves. Pour Gray, l'aggravation des ouragans est liée à des cycles pluridécennaux naturels propres au système climatique tropical de l'Atlantique. Greg Holland, lui, a cosigné l'an dernier une étude tendant à prouver le contraire : le réchauffement a déclenché un accroissement de l'intensité des ouragans. L'affiche était belle, et les centaines de scientifiques se pourléchaient d'avance les babines. Las, au dernier moment, les organisateurs ont pris peur et ont annulé la table ronde.
L'affaire n'est qu'un épisode de plus dans une guéguerre qui a commencé avec la hausse des désastres causés par les ouragans formés dans l'Atlantique. «C'est une querelle scientifique classique. Mais elle est devenue bien plus poignante depuis Katrina», note Franck Lepore, du National Hurricane Center, à Miami, qui dépend de la NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration).
Pendant des années, William Gray avait réussi à imposer ses vues. Comme lui, la majorité des experts trouvait absurde l'idée de lier l'augmentation du nombre d'ouragans dévastateurs au changement global de climat. Si c'était le cas, argüaient-ils, ces ouragans se seraient multipliés au niveau planétaire, ce qui ne s'est pas avéré (leur nombre s'est accru depuis dix ans dans l'Atlantique mais il a décru dans le nord-est du Pacifique).
Contre-effets. «L'impact du changement de climat sur les ouragans est marginal», nous expliquait l'an dernier Chris Landsea, un protégé de William Gray qui travaille au National Hurricane Center. Il citait une étude produite par Princeton, qui évalue à 5 %, au bout de... quatre-vingts ans, l'augmentation de l'intensité des ouragans liée au réchauffement. «Il y a des effets et des contre-effets», expliquait Landsea. Les ouragans naissent de la différence de température entre l'eau et l'air ; or un réchauffement climatique augmente la température des deux.
La polémique a explosé lorsqu'un scientifique, en 2004, a osé défier le patriarche Gray. Kevin Trenberth, responsable du climat au National Center for Atmospheric Research à Boulder, dans le Colorado (où travaille Greg Holland), affirme que les changements climatiques liés à l'activité humaine augmentent l'intensité des ouragans. Furieux, Landsea claque la porte du Groupe d'experts sur l'évolution du climat de l'ONU : il refuse de bosser avec Trenberth.
Empirisme. Des scientifiques tentent d'étayer la conviction de Trenberth par des recherches empiriques. Deux articles, l'un dans Nature en août, signé par Kerry Emanuel, du Massachusetts Institute of Technology, et l'autre dans Science, rédigé par Peter Webster, du Georgia Institute of Technology, et cosigné par Greg Holland, affirment que si le réchauffement n'a pas de conséquences sur le nombre des ouragans, il explique l'augmentation de leur intensité.
Ces articles controversés regonflent la polémique. William Gray y voit de la poudre aux yeux médiatique. Sur son site web (1), il en pointe les erreurs. Il déclare à propos de Judith Curry, 52 ans, qui a aussi cosigné le papier de Webster : «Elle ne sait pas de quoi elle parle !» Celle-ci rétorque en évoquant la «fossilisation cérébrale» du septuagénaire. Une autre conférence est prévue en avril à Monterey (Californie). Emanuel et Webster auraient annoncé qu'ils ne s'y rendraient pas si Gray y était présent.