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[center]Les Grands Lacs menacés[/center]
François Cardinal
La Presse
Les Grands Lacs sont menacés. Et le Canada, bien plus que les États-Unis, est responsable de la dégradation du plus grand écosystème d'eau douce au monde.
Alors que les usines américaines ont diminué leurs rejets dans l'air de 3 % ces dernières années, les installations canadiennes les ont augmentés de 24 %.
Voilà ce qui ressort d'un important rapport de l'organisme Pollution Watch obtenu par La Presse et qui sera dévoilé simultanément à Toronto et à Detroit jeudi. En comparant les données officielles les plus récentes, les auteurs concluent que les installations canadiennes bordant les cinq lacs et le Saint-Laurent font «bien piètre figure» lorsqu'on les compare à celles du voisin.
Ce sont en effet elles qui contribuent le plus «à la pollution de l'air associée à différents effets potentiellement néfastes pour la santé, écrit-on. Individuellement, les données appariées pour les installations canadiennes indiquent que ces dernières ont rejeté en moyenne 79 % plus de toxines respiratoires dans l'air que les installations (états-uniennes), et 93 % plus de polluants cancérogènes».
Globalement, les installations canadiennes situées autour des Grands Lacs et du fleuve ont émis 73 % plus de polluants atmosphériques que celles que l'on retrouve du côté américain de la frontière. Plus de 4000 installations sont visées par l'étude : usines, centrales électriques et autres infrastructures émettant des rejets dans l'air et dans l'eau.
«On ne peut le cacher, le Canada contribue beaucoup plus que les États-Unis à la pollution des Grands Lacs, confirme Rick Smith, directeur général de Défense environnementale. Ça fait plus de 10 ans que la pollution n'est plus un enjeu prioritaire au pays. Le Canada a perdu son leadership au point où le gouvernement Bush nous donne aujourd'hui des leçons...»
Preuve supplémentaire : si les rejets dans l'air ont globalement diminué entre 1998 et 2002, cela est essentiellement dû aux installations américaines. Il est ici question de toxines respiratoires cancérogènes et de toxines nuisibles au développement et à la reproduction.
Peu reluisant
Cela dit, les États-Unis ne sont pas sans faille non plus. Leur bilan lié aux rejets de polluants dans l'eau est pire que celui du Canada, même si celui-ci est loin d'être reluisant. Entre 1990 et 2002, ce type de pollution a crû de 13 % au Canada comparativement à 23 % au sud de la frontière.
Individuellement, précise-t-on, les installations américaines ont rejeté dans l'eau 39 % plus de polluants en 2002 que les installations canadiennes.
«Les Grands Lacs sont en très mauvaise santé parce que nous avons cessé de nous préoccuper de la pollution très réelle qui existe dans cette région, estime Paul Muldoon, directeur général de l'Association canadienne du droit de l'environnement. Nous demandons instamment au gouvernement canadien de saisir cette occasion pour adopter un plan de protection de l'écosystème des Grands Lacs.»
Réalisée conjointement par l'Association canadienne du droit de l'environnement et l'organisme Défense environnementale, réunis sous l'égide de Pollution Watch, l'étude vient à point nommé puisque les gouvernements américain et canadien doivent entreprendre incessamment la révision de l'Accord relatif à la qualité de l'eau des Grands Lacs, signé conjointement en 1972.
En vertu de ce traité, les deux parties doivent mettre tout en oeuvre pour rétablir et préserver l'intégrité chimique, physique et biologique des eaux de l'écosystème du bassin des Grands Lacs (Supérieur, Michigan, Huron, Érié et Ontario).
«Malheureusement, la mise en oeuvre de l'accord est loin d'être terminée et la santé des Grands Lacs n'a pas réussi à retenir l'attention concertée des décideurs au cours de la dernière décennie», déplore-t-on dans le rapport.
On s'étonne ainsi que ni les États-Unis ni le Canada ne jugent bon de compiler annuellement les rejets et transferts de polluants dans les Grands Lacs, une tâche qui incombe maintenant à des organismes à but non lucratif.
Intitulé La Pollution des Grands Lacs en provenance du Canada et des États-Unis : évaluation d'un phénomène qui se poursuit, le rapport se fonde sur des données officielles provenant d'Environnement Canada et de son Inventaire national de rejets de polluants ainsi que de l'Environmental Protection Agency et de son Toxics Release Inventory. Il s'agit des données de 2002, les plus récentes actuellement disponibles.