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[center]Menaces sur la pêche : l'aquaculture prend le relais[/center]
LE MONDE | 12.09.06 | 15h37 • Mis à jour le 12.09.06 | 15h37
L'aquaculture peut-elle prendre le relais de la pêche en mer, dont la ressource stagne depuis vingt ans ? La question est cruciale pour l'approvisionnement en protéines et acides gras (oméga 3) de la population mondiale. Aujourd'hui, comme le révèle un rapport de l'Organisation des Nations unies pour l'agriculture et l'alimentation (FAO), publié le 4 septembre, près de la moitié du poisson consommé dans le monde est élevé dans des fermes aquacoles et non plus capturé.
Les projections montrent que si l'on veut maintenir une consommation par habitant au niveau actuel - 12 kg par an en moyenne -, il faudra tirer 40 millions de tonnes supplémentaires de l'aquaculture en 2030. Ce qui signifie doubler la production.
L'enjeu est donc de faire de l'aquaculture, qui dépend elle-même de la pêche pour l'approvisionnement en farine de poisson des espèces d'élevage, une activité durable. "Il est impossible d'envisager l'avenir de l'aquaculture sans faire référence à la pêche, et réciproquement", constate André Gérard, responsable de l'aquaculture à l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer), auteur d'un rapport de prospective sur la pisciculture marine.
La montée en puissance de cette dernière a été rapide. En 1980, 9 % seulement du poisson venaient de l'aquaculture, contre 43 % actuellement, qui correspondent à une consommation de 45,5 millions de tonnes, et à une valeur marchande de 63 milliards de dollars (50 milliards d'euros).
La Chine est, pour une grande part, responsable de l'explosion de l'aquaculture. A elle seule, elle en produit 70 % du total, auxquels il faut ajouter les 22 % en provenance de l'Asie et de la région Pacifique, contre seulement 3,5 % pour l'Europe occidentale.
Autre précision d'importance, le poisson ne représente que la moitié de la "récolte" aquacole, qui englobe mollusques, crustacés, algues et invertébrés. De plus, l'aquaculture se pratique pour moitié en eau de mer, la Chine étant la championne de l'élevage en eau douce, avec sa prédilection pour les carpes.
A l'inverse, du côté de la pêche, les captures sont stables depuis le milieu des années 1980, tournant autour de 90 millions de tonnes par an, avec une baisse relative des prises de table au profit de celles destinées à l'alimentation animale.
Dans sa dernière évaluation des stocks halieutiques sauvages, publiée en 2004, la FAO estime que 52 % de ces stocks sont pleinement exploités, 25 % sont soit surexploités (17 %), soit épuisés (7 %), soit en voie de reconstitution (1 %). Enfin, 20 % sont modérément exploités, quand seuls 3 % sont classés dans la catégorie sous-exploités.
Ces évaluations sont peut-être encore optimistes, dans la mesure où des prises stables peuvent cacher un mitage des stocks, comme l'indiquait une étude publiée en 2004 par l'Institut de recherche en développement. Philippe Cury, l'un de ses auteurs, juge que "si on ne va pas vers une pêche plus scientifique, on n'aura pas d'activité durable".
"Le problème de fond, c'est que la flotte de pêche est surdimensionnée, ce qui met en péril sa rentabilité et engendre une surexploitation du fait de la concurrence entre pêcheurs", confirme Philippe Gros, responsable de la recherche halieutique à l'Ifremer. La chasse au thon rouge illustre ce mécanisme.
La FAO encourage donc l'aquaculture, sans être certaine qu'elle pourra constituer un relais efficace, comme l'indique son rapport, qui passe en revue les obstacles économiques et environnementaux. Sachant qu'il faut en moyenne 3 à 4 kilogrammes de poisson pour obtenir 1 kilogramme d'un poisson comme le saumon (mais 2 kilos pour 1 kilo de crevettes, 200 grammes pour la carpe), ne risque-t-on pas de vider les océans pour emplir les élevages ?
Ainsi, le poisson le plus pêché au monde, l'anchois du Chili, est essentiellement destiné à la fabrication de farine et d'huile. Au total, la pêche dite minotière représente un quart des prises mondiales (22 millions de tonnes) et fournit, après transformation, 6 millions de tonnes de farine et 1 million de tonnes d'huile. Depuis vingt ans, cette production s'est stabilisée. Si, par le passé, l'essentiel de la production servait à l'alimentation animale (poulet et porc), l'aquaculture en consomme toujours plus : 53 % de l'offre mondiale de farine de poisson et 87 % pour l'huile y sont désormais consacrés.
La disponibilité de cette dernière risque de devenir problématique. "On sait désormais nourrir les poissons carnivores avec des farines végétales, indique André Gérard. Mais on a toujours besoin d'huile de poisson pour la finition, lors des derniers mois d'élevage, afin que le goût soit préservé." Et aussi la teneur en acides gras oméga 3, qui en font tout l'intérêt nutritionnel. Dans la mesure où la nourriture peut représenter jusqu'à 80 % du coût de l'aquaculture intensive, le renchérissement des ressources minotières devrait hâter les recherches dans ce domaine.
C'est que la ressource est fluctuante, même si au niveau mondial, la production paraît stable. Ainsi, en 1998, les prises d'anchois du Pérou ont chuté à 1,7 million de tonnes, contre près de 9 millions de tonnes en année moyenne. La faute à El Niño, cette bulle d'eau chaude qui le prive périodiquement de sa pitance.
"Ces phénomènes ont toujours existé, rappelle Philippe Gros. Mais on ne peut additionner ces effets à ceux de la pêche."
Un autre défi posé à l'aquaculture est la limitation de son impact sur l'environnement. Si la FAO se félicite des progrès de la vaccination des poissons, elle note que "les antibiotiques n'ont pas toujours été utilisés de manière responsable". Et si, au niveau mondial, l'aquaculture ne représente que 0,1 % des apports de phosphate et d'azote versé dans les océans par l'agriculture et les égouts, cette part atteint 55 % pour le phosphate en Norvège, championne de la pisciculture.
Les contaminants qui se trouvent déjà dans l'océan sont aussi source d'inquiétude : des mers polluées comme la Baltique abritent des poissons contaminés, dont la farine peut, par ricochet, empoisonner les poissons d'élevage. En 2005, l'Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA) concluait que "globalement, en ce qui concerne la sécurité du consommateur, il n'y a pas de différence entre poisson sauvage et d'élevage". Les substituts végétaux présentent l'avantage de ne pas concentrer les polluants, tels que dioxines et méthyle mercure.
Le développement de l'aquaculture concentrée près des côtes est par ailleurs confronté à des "conflits d'usage" avec la pêche, l'industrie, le tourisme et la protection du littoral. Derrière l'agriculture, l'aquaculture serait responsable de 10 % de la destruction de la mangrove dans les zones tropicales. En France, parce que l'espace est compté, l'activité piscicole marine est anecdotique (6 000 à 7 000 tonnes par an) et la pêche minotière inexistante.
Deux pistes sont envisagées pour gagner cette guerre de l'espace. Elever à terre les poissons en circuit fermé, y compris avec de l'eau de mer reconstituée. Ou bien gagner le large. Mais l'élevage offshore suppose des moyens industriels considérables. Aussi son essor ne devrait-il pas intervenir "avant une vingtaine d'années", prédit André Gérard. Une troisième voie est poursuivie par la Chine, avec ses poissons nourris à l'herbe. Une solution qui aura peut-être du mal à séduire les consommateurs occidentaux...
Hervé Morin
a écrit :
[center]Le saumon d'élevage, un danger pour son frère sauvage[/center]
LE MONDE | 12.09.06 | 15h37
C'est le succès le plus spectaculaire de l'aquaculture : le saumon d'Atlantique, autrefois produit de luxe, est devenu un mets presque aussi commun que le steak. Alors qu'on pêchait, il y a une quarantaine d'années, quelques milliers de tonnes de saumon de l'Atlantique, la production de son cousin d'élevage dépasse aujourd'hui un million de tonnes.
Cette explosion de la salmoniculture est partie de la Norvège dans les années 1970, d'où elle s'est exportée vers l'Ecosse, l'Irlande, le Canada et, surtout, le Chili. Ce dernier, avec 35 % de la production mondiale, talonne la Norvège et ses 37 %. Le développement de la salmoniculture a permis le maintien d'une activité économique dans des régions écartées de la Norvège, et assure au Chili une recette de 1,5 milliard de dollars.
Si la réussite économique est incontestable, le bilan environnemental est moins convaincant. "Notre principale préoccupation, dit Maren Esmark, du WWF (Fonds mondial de la nature), est que, pour nourrir les saumons, les fermes consomment beaucoup de poissons : environ 3 kg de poissons pour 1 kg de saumon. Or plusieurs stocks utilisés pour cette nourriture sont surexploités, comme les tacauds, les sprats et surtout les équilles."
Une solution est de substituer aux poissons des aliments d'origine végétale. "Mais cela finit par dénaturer le produit en modifiant le goût et la consistance de sa chair", dit Dag Naess, PDG de Saumon France Cherbourg.
Autre préoccupation : de nombreux saumons s'échappent en raison de l'usure du filet ou de collisions de bateaux avec la structure flottante qui tient le filet. En Norvège, en 2005, 600 000 saumons se sont échappés dans la nature, selon le ministère norvégien de l'environnement. Les évadés concurrencent les saumons sauvages pour l'espace, la nourriture et les partenaires de reproduction, et pourraient accroître la mortalité des populations sauvages.
Les solutions seraient de changer plus fréquemment les filets, de stériliser les saumons ou de les marquer, pour identifier l'éleveur responsable de la fuite. Car, en Norvège, un éleveur peut être poursuivi en justice s'il est prouvé que sa mauvaise gestion est cause de la fuite.
Autre problème : plusieurs parasites infectent les animaux enfermés. Une étude canadienne a ainsi montré que le pou de mer se transmettait facilement aux saumons sauvages - normalement indemnes - passant à proximité des cages. Un autre parasite, Gyrodactylus salaris, infeste plusieurs dizaines de rivières en Norvège. La seule solution pour l'éradiquer est de traiter les rivières à la roténone, un insecticide puissant qui tue tous les autres poissons du cours d'eau. Au Chili, les maladies sont traitées en utilisant des doses massives d'antibiotiques et de fongicides.
Enfin, les excréments rejetés par les salmonicultures pèsent sur l'écosystème. Au Chili, l'association Oceana estime que les "marées rouges" de plus en plus fréquentes, provoquées par la prolifération incontrôlée d'algues, sont dues aux rejets des élevages de saumons.
Une gestion plus respectueuse de l'environnement est possible. Mais la compétition entre le Chili et les Européens pèse sur les prix, ce qui limite les incitations à prendre soin de l'écologie.
Hervé Kempf