
BONsoir tout le monde :-P
a écrit :=le monde e mémoire de forestier, on n'avait jamais vu ça !" D'un geste navré, Samuel Autissier, responsable de l'unité de Vierzon de l'Office national des forêts (ONF), montre l'étendue des dégâts. Devant lui, la chênaie n'est qu'un champ de désolation. Des fûts secs et pelés dressent vers le ciel, dans une plainte muette, leurs houppiers dégarnis. Des troncs sont fendus ou brisés net. D'autres, tombés à terre, gisent parmi les fougères et les herbes jaunissantes. "Adultes ou jeunes, tous les peuplements sont touchés", s'afflige-t-il, en désignant un groupe de tiges souffreteuses coiffées d'un toupet clairsemé.
CHIFFRES
SUPERFICIE. La forêt française couvre 15 millions d'hectares, soit 29 % du territoire. Sa surface a doublé depuis 1850 et s'accroît de 40 000 hectares par an.
ESSENCES. Les chênes (rouvres, pédonculés, pubescents ou lièges) occupent 5,5 millions d'hectares. Les feuillus couvrent au total 9 millions d'hectares, les résineux 5 millions d'hectares.
ÉCONOMIE. 3,8 millions de propriétaires privés se partagent 74 % de la surface forestière. L'Etat en possède 10 % et les collectivités territoriales 16 %. La filière forêt-bois fait vivre plus de 450 000 personnes.
Soulignant ce tableau funèbre, des rangées de grumes, coupées avant que le bois n'ait perdu toute valeur commerciale, bordent le chemin. "Depuis 2003, calcule Samuel Autissier, nous avons dû récolter en urgence 75 000 m3 de bois, soit 25 000 arbres. Mis bout à bout, ils couvriraient la distance Vierzon-Nantes. Pour un gestionnaire forestier, en être réduit à sauver les meubles, c'est traumatisant."
Le mal est apparu voilà cinq ans dans la forêt domaniale de Vierzon, 5 000 hectares de chênes dont 3 000 hectares de chênes sessiles et 2 000 hectares de chênes pédonculés, deux espèces génétiquement très proches mais aux exigences écologiques contrastées - le chêne pédonculé supporte mal la sécheresse et les fortes variations hydriques -, qui dominent dans le centre et l'ouest de la France. "Au début, se souvient Samuel Autissier, on ne s'est pas trop inquiété. Des dépérissements, on en avait déjà observé. Mais, à partir de 2003, il a fallu se rendre à l'évidence. Aussi loin que remontent nos archives, jusqu'en 1750, on n'avait jamais assisté à une mortalité d'une telle ampleur ni aussi brutale." Aujourd'hui, sur les 2 000 hectares de chênes pédonculés, 200 sont anéantis et 1 000 autres en piteux état.
POUDRE BLANCHÂTRE
On a peine à imaginer, en cette glaciale matinée d'hiver où les sous-bois sont recouverts de givre, que le fautif présumé est le réchauffement climatique. "Plusieurs facteurs pénalisants se combinent, décrit Pascal Jarret, responsable du service technique et recherche de la direction Centre-Ouest de l'ONF. Un sol sableux qui s'imbibe ou s'assèche rapidement, ce que n'aime pas le chêne pédonculé. Une sylviculture en futaies serrées, mal adaptée à cette espèce, qui a besoin d'espace et de lumière. Des accidents climatiques à répétition : sécheresses, pluies abondantes et grêles." Mais, poursuit-il, "le facteur déclenchant semble être l'oïdium".
Ce champignon microscopique se répand, comme une poudre blanchâtre, sur les feuilles des chênes pédonculés - il délaisse généralement celles des chênes sessiles - qui se recroquevillent et se nécrosent. L'hypothèse des forestiers est qu'à la faveur de la hausse des températures enregistrée ces dernières années, ce parasite, qui sévissait naguère durant la seconde quinzaine de mai, est devenu actif plus tôt dans la saison. Précisément lors du débourrement, c'est-à-dire de l'éclosion des bourgeons, qui se produit vers le 15 avril pour les chênes les plus précoces. Or, explique Pascal Jarret, "le premier mois de végétation est décisif. Pour la première poussée de feuilles, l'arbre puise dans ses réserves glucidiques de l'année précédente, qu'il reconstitue ensuite par photosynthèse, ce qui permet les feuillaisons ultérieures. Mais si ces premières feuilles sont détruites par l'oïdium, le cycle est stoppé."
Les sylviculteurs n'ont pas observé de visu une apparition prématurée du champignon. Mais leur scénario paraît validé par une étude de l'Institut national de la recherche agronomique de Bordeaux, confirmant une présence du parasite anticipée d'environ deux semaines.
Que faire ? Dans l'immédiat, attendre et surveiller, ont décidé l'ONF et le département de la santé des forêts du ministère de l'agriculture. "Le chêne est une essence qui présente une très grande variabilité génétique, donc une capacité d'adaptation élevée, souligne Pascal Jarret. Elle a su faire face par le passé à des modifications climatiques majeures : lors de la dernière glaciation, elle avait quasiment disparu d'Europe, à l'exception du sud de la péninsule Ibérique, du sud de l'Italie et des Balkans, ce qui ne l'a pas empêchée de recoloniser avec succès le continent." Mais, ajoute-t-il, "le changement de climat actuel est extrêmement rapide. Le chêne saura-t-il cette fois s'adapter ? C'est une course contre la montre qui est engagée."
Pour aider s'il le faut la nature, en sélectionnant les plants les plus résistants, un enclos a été aménagé, où est étudié le comportement d'une centaine de chênes sessiles et pédonculés provenant de différentes régions françaises, mais aussi du Danemark, d'Irlande, de Pologne, de Bulgarie ou d'Arménie. Pour l'instant, les arbres les plus performants se révèlent être les "grands crus" - les chênes issus des futaies de référence comme celle de Tronçais - ou les "crus locaux", originaires de la région. Mais les forestiers n'excluent pas de devoir, demain, importer des espèces méditerranéennes mieux accoutumées aux températures élevées. Voire de planter, dans la chênaie, des résineux. Un véritable bouleversement du paysage forestier.
Pierre Le Hir
Article paru dans l'édition du 01.03.06