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[center]Tous au charbon ![/center]
LE MONDE | 02.09.06 |
Entretien avec Peter Schwartz, directeur du GBN, un "think tank" américain. Peter Schwartz, directeur du GBN, un "think tank" américain, annonce le recours massif au charbon pour répondre aux besoins exponentiels en électricité.
Le charbon est, selon vous, l'une des principales solutions à la crise énergétique annoncée. Pourquoi ?
La demande mondiale d'électricité connaît une croissance exponentielle : en 2030, elle aura progressé de 60 %. Or les prix du pétrole et du gaz ont fortement augmenté, l'énergie solaire est encore très coûteuse et peu fiable, l'éolien n'est pas très cher, mais pas très fiable non plus. Quant au nucléaire, il fait face à une opposition politique très forte, sauf en France. Même si les attentes sur les énergies renouvelables sont grandes, il leur faudra du temps pour prendre des parts de marché au pétrole. Nous ne pourrons pas répondre aux besoins mondiaux en électricité sans un recours massif au charbon.
Quand ce basculement aura-t-il lieu ?
Nous y sommes déjà ! La quasi-totalité des projets des vingt-cinq prochaines années concerne des centrales à charbon : d'ici à 2010, de nouvelles capacités de 220 gigawatts vont être construites, puis de 500 gigawatts entre 2011 et 2020, et encore de 670 entre 2020 et 2030. Les deux tiers seront localisées dans les pays émergents, dont la Chine et l'Inde.
Ces nouvelles centrales rejetteront de grandes quantités de CO2...
C'est le problème majeur. Durant leur vie, elles émettront autant de CO2 que tout ce qui a été rejeté dans l'atmosphère depuis 1750. Nous avons largement sous-estimé ces rejets futurs. Il existe bien sûr de nouvelles techniques pour capter le CO2 émis et le séquestrer sous l'océan ou sous terre, mais les premières usines utilisant cette technologie ne démarreront qu'en 2011. Trois projets - deux aux Etats-Unis et un au Danemark - sont en cours de réalisation. C'est encore très onéreux et nous ne savons pas le faire à grande échelle. Résultat : plus de 85 % des nouvelles capacités prévues d'ici à 2030 utiliseront les vieilles technologies polluantes.
Si on y ajoute le fait que 2 milliards d'êtres humains vont devenir riches dans les cinquante prochaines années et qu'ils voudront acquérir une voiture, une chose est sûre, nous produirons beaucoup trop de CO2. La vraie question est de savoir si la planète peut devenir plus riche sans détruire le climat. Nous allons accélérer le changement climatique.
Que préconisez-vous ?
Le protocole de Kyoto n'est pas assez ambitieux. Les dirigeants de la planète doivent prendre des décisions radicales pour endiguer cette hausse annoncée des émissions : limiter le recours au charbon, accélérer le développement du nucléaire, investir dans les recherches sur les nouvelles énergies, récompenser ceux qui utilisent des véhicules plus propres...
Mais vous dites vous-même que les énergies renouvelables ne sont pas encore à la hauteur de l'enjeu...
C'est vrai. Depuis les années 1970, des milliards de dollars ont été dépensés pour améliorer les cellules solaires, notamment pour convertir en électricité plus d'énergie provenant des rayonnements. Actuellement les chercheurs explorent la piste de cellules solaires sur film organique très fin. Mais, jusqu'à présent, les améliorations ont été modestes, et cette technologie est encore très onéreuse. De plus, le problème du stockage n'a toujours pas été réglé : vous produisez le jour mais, souvent, vous avez besoin de courant la nuit. Pour l'éolien, le stockage est également problématique et aucune bonne technique n'a été trouvée.
Quel est l'avenir des biocarburants produits à partir de maïs, de betteraves, de canne à sucre ?
Cela marche dans certains pays, mais nous partons de bas, et cela prendra beaucoup de temps pour se développer. Ce qui peut se faire aux Etats-Unis et au Brésil ne peut sans doute pas se faire en France, où les surfaces disponibles pour les cultures nécessaires ne sont pas suffisantes.
Pour quand voyez-vous la fin du pétrole ?
Le problème est double. Quand devrons-nous sortir du pétrole ? La réponse est simple : dès maintenant, si nous regardons les conséquences environnementales de son utilisation. Quand serons-nous obligés d'en sortir parce qu'il n'y en aura plus ? La réponse est plus floue. Sans réduire notre consommation, nous avons quelques décennies devant nous. Mais il existe de nombreuses incertitudes sur les réserves pétrolières et leur exploitation : en Irak, de gigantesques zones pétrolifères pourraient être développées ; en Russie, le potentiel des gisements a été mal évalué durant la période soviétique, et ces zones sont encore mal exploitées, notamment à grande profondeur en raison d'insuffisances technologiques ; enfin, la région de la mer Caspienne est aussi prometteuse mais politiquement instable.
Ne faudra-t-il pas réserver l'or noir, de plus en plus rare, au transport aérien ?
La demande future de kérosène sera tellement importante qu'une solution envisagée, dans les prochaines décennies, est en effet d'utiliser en priorité le pétrole pour l'aéronautique. En théorie, on pourrait faire voler des avions avec du biocarburant, c'est une piste actuellement explorée. Pour les voitures, tout le monde recherche une alternative au tout-pétrole et le marché automobile va être assez confus dans les trente prochaines années. Les consommateurs auront au choix plusieurs types de motorisation, de carburants : moteurs hybrides, piles à combustible, hydrogène.
En quoi cette fin du pétrole modifiera-t-elle le jeu économique ?
Il y aura de moins en moins d'entreprises pétrolières privées parce que les opportunités de développement et de production se réduisent. Les entreprises étatiques gagnent du terrain, en Russie, dans les pays de l'ex-URSS, au Moyen-Orient, en Amérique latine... Il y a à peine dix ans, Mobil, Texaco, Elf existaient encore. Elles ont été absorbées, et la consolidation du secteur se poursuit. Les plus petites sont actuellement mangées par les plus grandes. Dans vingt ans, je ne vois plus que trois ou quatre grandes compagnies de dimension internationale.
Propos recueillis par Laure Belot et Jean-Michel Bezat
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CHIFFRES
LE CHARBON DOMINE LA PRODUCTION D'ÉLECTRICITÉ MONDIALE
(39 % en 2004), devant le gaz naturel (20 %), l'hydraulique (16 %), le nucléaire (16 %), le pétrole (7 %), les énergies renouvelables hors hydraulique (2 %).
LE PROTOCOLE DE KYOTO
engage les pays signataires à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) - comme le dioxyde de carbone (CO2) et le méthane (CH4) - d'ici à 2012. L'Union européenne doit réduire ses émissions de 8 % par rapport à 1990. Les Etats-Unis ne l'ont pas signé. La Chine et l'Inde, comme une centaine de pays émergents, sont signataires mais n'ont aucune obligation de réduction. A Montréal, en 2005, a été prise la décision de prolonger le protocole au-delà de 2012.