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L'éthiopienne Selam, plus vieux bébé du monde[/center]
REUTERS
La découverte de l'enfant de 3 ans, née il y a 3,3 millions d'années, au squelette presque complet, va permettre l'étude de la croissance des australopithèques. Par Sylvie BRIET
QUOTIDIEN : Jeudi 21 septembre 2006 -
Une enfant de 3 ans, âgée de 3,3 millions d'années : le plus vieux bébé du monde, du moins le squelette le plus complet, a surgi des bords du fleuve Awash, en Ethiopie. La «fille» de Lucy en quelque sorte, qui, elle-même, n'était peut-être pas une femme, et sûrement pas notre grand-mère. Et si, ici, le bébé affiche 100 000 ans de plus que sa «mère», toutes deux sont bien des australopithèques afarensis, déjà bipèdes et également bonnes grimpeuses. Pour les chercheurs, voici la relève assurée.
Savane. L'enfant a été prénommée Selam, hier, lors d'une conférence de presse à Addis Abeba, ce qui signifie «paix» en langue amharique. Jusqu'ici, ses découvreurs l'affublaient d'un mystérieux Dik 1-1, du nom du site Dikika 1 : dans les collines de l'Hadar, à 10 kilomètres de là où reposait Lucy, sur la rive droite du fleuve Awash. Cette région, à 450 kilomètres de pistes d'Addis Abeba, n'est pas facilement accessible, mais elle regorge de fossiles, au coeur de la fameuse vallée du Rift. Dik 1-1 vivait dans la savane arborée, au milieu de girafes, antilopes, rhinocéros, rongeurs et autres crocodiles. C'est sans doute une crue qui a permis l'ensevelissement très rapide de la petite femelle retrouvée au milieu des grès déposés dans la rivière. Ce qui explique l'exceptionnelle découverte, les os d'enfants très fragiles ayant rarement le temps de se fossiliser. Les spécimens les plus fréquents sont des enfants de Néandertal, mais ils sont évidemment bien plus récents (autour de 100 000 ans maximum). Quant au seul contemporain de Lucy, il se résumait à un crâne, celui de l'enfant de Taung, du nom de la région d'Afrique du Sud où il fut découvert en 1924, mais aux datations incertaines. Les paléontologues crurent qu'ils avaient affaire à un babouin avant de réaliser qu'il s'agissait du premier australopithèque jamais découvert.
Un chercheur éthiopien signe la découverte de Selam, publiée aujourd'hui dans la revue scientifique Nature (1). A 39 ans, Zeresenay Alemseged, rattaché à l'Institut Max Planck d'anthropologie de Leipzig, en Allemagne, a la main heureuse : il a commencé ses premières prospections en 1999 et découvert son bébé en décembre 2000 ! Du jamais vu dans une spécialité où il faut des années de patience avant de tomber sur un os. Mais la fragilité de son bébé lui a donné du fil à retordre : cinq années ont été nécessaires pour exhumer les os de leur gangue de sédiments. «Nous y avons passé des milliers d'heures. Le crâne est apparu d'abord, puis une omoplate, des vertèbres, et, petit à petit, les os des membres. Aujourd'hui, des côtes et des vertèbres sont encore collées, toujours prises dans les sédiments, raconte Zeresenay Alemseged. Nous continuons ce travail de dégagement en laboratoire. Nous avons beaucoup plus de fossiles que ceux que nous avons publiés, il y a d'autres individus.»
Dents de lait. Les milliers de restes d'australopithèques trouvés en Afrique de l'Est, du Sud et au Tchad permettent de tracer le portrait de ces primates bien particuliers qui vécurent entre 4,5 et 2 millions d'années avant notre ère. On en dénombre aujourd'hui une dizaine d'espèces : légèrement plus grands que les chimpanzés, ils possèdent un cerveau comparable à celui des grands singes. Leurs dents massives montrent qu'ils mangeaient des aliments durs. Ces primates ne marchaient pas tout à fait comme les hommes : ils posaient le bord externe du pied avant le talon, ce qui devait leur donner une démarche chaloupée et trottinante.
Le nouveau bébé, avec des dents de lait bien en place et une partie des dents définitives déjà visibles au scanner, confirme les connaissances accumulées. Des membres inférieurs qui indiquent que l'enfant était bipède, et des membres supérieurs qui rappellent ceux du gorille. «Mais pouvait-il se déplacer à travers les arbres aussi habilement qu'un singe ? C'est encore en débat», note Bernard Wood, anthropologue à l'université de Washington. «Il va être passionnant d'étudier la croissance de ces australopithèques, et ce squelette est le premier à le permettre», poursuit Alemseged. Mais il en faudra beaucoup pour que Selam vole la vedette à Lucy, australopithèque décidément trop célèbre.
(1) Nature du 21 septembre.