les arbres génétiquement modifiés

[canardos]

Le lundi 27 novembre 2006


[center]Le dilemme des arbres transgéniques[/center]

Éric Moreault

Le Soleil


Dans une clairière au nord de Québec se cache peut-être l'avenir de la foresterie canadienne. Une embûche catastrophique, clament plutôt certains groupes verts. Après les OGM de triste réputation, voici venir les AGM - les arbres génétiquement modifiés. Défrichage autour d'un sujet qui pousse.

Depuis une dizaine d'années des biogéniticiens de plusieurs pays redoublent d'ardeur dans leurs laboratoires pour rendre les arbres résistants à la maladie et aux insectes comme la tordeuse des bourgeons de l'épinette. En Chine, on a même commencé la plantation, à petite échelle.

Ici, le gouvernement canadien a autorisé trois essais à l'air libre, menés dans la région de la capitale depuis 10 ans. Ce que craignent les environnementalistes : que le pollen de ces peupliers et épinettes contamine les autres arbres, avec des effets inconnus sur la faune et la flore.

Ça ne s'est pas produit, jure Armand Séguin, le chercheur responsable de l'expérience, dont l'équipe a assuré une surveillance serrée des lieux. Le Service canadien des forêts mettra fin à l'expérience cet hiver. Des recommandations seront émises sur la façon d'éviter toute contamination biologique par dispersion. Sa principale conclusion est, «sans être sûr à 100 %», que la technologie est stable dans le temps. M. Séguin se défend de jouer les apprentis sorciers avec la nature : les peupliers contenaient un gène marqueur (neutre, en quelque sorte) et les conifères, un gène d'une bactérie (le Bt) utilisée dans la composition d'un insecticide biologique. Et les arbres étaient stériles.

Se décrivant lui-même comme un écologiste, il dit comprendre les réticences après les scandales du sang contaminé et de la vache folle ainsi que l'imposition des OGM à la population. «Si on décide (dans le futur) que c'est socialement inacceptable, pas de problème.»

Économie de connaissance

Mais en attendant, le Canada ne peut faire l'économie de la connaissance sur les AGM, pour deux raisons principales, même si les verts craignent leur commercialisation.

La première : si jamais les forestières étrangères veulent planter des AGM sur notre territoire, peu importe la position des gouvernements, «il faudra aiguiser nos arguments avec des données scientifiques solides».

La deuxième : dans le contexte actuel d'exploitation de la forêt dont les coûts d'énergie (et les GES qui en découlent) et d'exploitation sont élevés, ces AGM permettraient de sauver de la destruction bien des écosystèmes qui deviendraient subitement moins attrayants financièrement. À condition qu'on exploite un jour de petites superficies à rendement maximum d'AGM.

Car les recherches sur les AGM ne représentent que 10 % à 15 % de celles que mène le docteur Séguin pour rendre les arbres plus résistants. Son rêve : trouver un «vaccin» contre les maladies en stimulant les gènes du système immunitaire - des arbres génétiquement améliorés pour résister aux fléaux.

«L'arbre transgénique n'est pas une fin en soi, mais peut devenir un moyen pour trouver comment faire un croisement traditionnel», explique-t-il.

Avec, au bout du compte, moins d'insecticides, de «cochonneries» dans la nature. Il est encore trop tôt pour penser à l'exploitation des AGM sur une base industrielle, mais si ce jour arrive, il faudra être prêt.

Ce temps d'expérimentation dont disposent scientifiques et gouvernements devrait être utilisé à bon escient pour éviter de répéter les erreurs commises avec les OGM, notamment en sensibilisant la population sur les tenants et les aboutissants de ces manipulations génétiques.

Les groupes environnementaux et les médias auront dans ce contexte un rôle crucial de chien de garde à jouer, en évitant de se concentrer sur l'arbre génétiquement modifié qui cache la forêt exploitée.