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Message Publié : 16 Déc 2006, 10:41
par canardos
dans le Figaro:

a écrit :

[center]Les dépressions liées à l'âge trop souvent négligées[/center]

CATHERINE PETITNICOLAS. Publié le 16 décembre 2006

L'obsession de la maladie d'Alzheimer a de plus en plus tendance à masquer une maladie dépressive.


VIEILLISSEMENT, dépression et désespoir forment-ils une triade obligée ? « En tout cas ils entretiennent d'intimes connivences », analyse le Dr Thierry Gallarda, du Centre d'évaluation des troubles psychiques et du vieillissement (service du Pr Olié à l'hôpital Sainte-Anne de Paris). Pour ce psychiatre, ces maladies sont insuffisamment diagnostiquées et traitées, c'est ce qu'il a souligné à maintes reprises lors du colloque organisé hier à Sainte-Anne sur « Les dépressions dans la deuxième partie de la vie ».

Il est important de savoir interpréter, pour mieux les prendre en charge, l'apparition de certains troubles du comportement inhabituels chez un proche comme de l'irritabilité, de la colère, un égocentrisme inhabituel, des récriminations ou alors des plaintes douloureuses somatiques. Il existe d'autres symptômes évocateurs, comme une addiction tardive à l'alcool chez la femme. Ou encore une inquiétude excessive vis-à-vis de banals troubles de la mémoire qui sont en fait strictement de l'ordre de la dépression car, au vu de leur évolution sur des années ils ne se transformeront ni en démence ni en maladie d'Alzheimer. Les spécialistes parlent même à ce propos d'« hypochondrie mnésique », une sorte de phobie de la maladie d'Alzheimer aggravée par la médiatisation à outrance de ses troubles. « Il est symptomatique que les troubles de la mémoire sont mis en avant par certains patients avec tout ce que cette plainte peut représenter », analyse le psychologue Benoit Verdon.


« Il n'existe non pas»une* mais»des* maladies dépressives », poursuit le Dr Gallarda. « À l'extrême, on pourrait affirmer que chacune d'elle est unique par la singularité de l'individu qu'elle affecte. La personne âgée ne devrait pas échapper à cette règle. »


« Oui, il existe bien une spécificité de la dépression chez la personne âgée, du fait de cette longue traversée de la vie », reprend Benoit Verdon, pour qui les difficultés présentées par certains patients lorsqu'ils dépassent les 80 ans, font écho à des difficultés rencontrées dès la crise du milieu de la vie qu'il aurait alors fallu prendre en compte. « Mais un adulte qui a vieilli demeure toujours un adulte », s'empresse-t-il d'ajouter. « Attention à ne pas infantiliser les patients âgés, sous prétexte de cet état passager de grande vulnérabilité. »


La question d'un «mouvement psychique naturel»


« Mais la nature même du vieillissement n'impose-t-elle pas de se déprimer ?», s'interroge un brin provocateur le Pr Jérôme Pellerin, chef de service de psychiatrie de la personne âgée à l'hôpital Charles-Foix d'Ivry. « N'est ce pas un mouvement psychique naturel au cours duquel la plupart des individus - bien qu'il existe toujours des exceptions - n'ont plus les ressources suffisantes pour affronter les multiples contraintes liées à des problèmes physiques, à l'isolement, la perte du conjoint, les difficultés financières... de leur existence ? Ne pourrait-on pas aussi considérer la dépression comme une période nécessaire où l'individu, après une période de vie très active, voire survoltée, hypercompétitive prend le temps de se retrouver lui-même », analyse ce psychiatre. « N'est ce pas une phase nécessaire durant laquelle le fait d'aller mal n'est qu'une étape passagère pour vivre mieux ensuite ? » Question fondamentale à méditer.


Parmi les données scientifiques récentes, le Pr Kenneth Wilson de Liverpool (Grande-Bretagne) a longuement abordé le problème du lien entre dépression et anomalies vasculaires cérébrales. Qu'elles soient liées à de l'hypertension artérielle, à de l'athérosclérose, à un diabète ou à un accident vasculaire cérébral de la région frontale du cerveau passé inaperçu (sans aphasie, ni hémiplégie), toujours est-il qu'à l'IRM, des lacunes sont visibles au niveau de la région cérébrale frontale. On peut alors imaginer que de telles lésions sont génératrices de difficultés à réguler les émotions. Certains circuits cérébraux indispensables seraient entravés par ces anomalies de plus ou moins grande taille.


Pendant longtemps on a prétendu que les antidépresseurs n'avaient aucune efficacité pour ces malades. Aussi ce spécialiste a-t-il adopté des stratégies de traitement beaucoup plus agressives associant un inhibiteur de la recapture de la sérotonine à un autre, agissant aussi sur la noradrénaline ainsi qu'à du lithium. Et surtout il a mis en place des structures de réhabilitation psycho-sociale, avec des cours de gestion de certaines situations stressantes (prise de ­décision par exemple) avec des ­résultats très positifs sur l'apathie, la sensation de mal-être d'isolement. « Ce n'est pas une approche classique de type psychothérapie, c'est plutôt une réhabilitation du handicap », résume le Dr Gallarda.


Pour finir, le psychiatre dé­plore l'absence de campagnes d'information sur la dépression alors que les enjeux de santé publique apparaissent majeurs dans ce ­domaine.



a écrit :

[center]À 82 ans, Colette fait face pour la première fois à la maladie[/center]

DELPHINE DE MALLEVOÜE. Publié le 16 décembre 2006

Méconnue et peu diagnostiquée, cette pathologie touche de très nombreuses personnes âgées.


COLETTE est une femme indépendante. À 82 ans, elle se débrouille seule dans son petit pavillon de L'Haÿ-les-Roses, en banlieue parisienne. Ses mots croisés, son jardin, Victor Hugo... sa vie est plaisante, même si rien n'a su combler l'absence de son défunt mari, mort il y a de nombreuses années. Mais sans prévenir, un de ces drôles de matins où le monde semble ouaté, tout bascule. Colette ne sait plus comment elle s'appelle. Et ce satané thé qu'elle n'arrive pas à préparer, alors qu'elle répète ce geste quotidien depuis tant d'années. Pis, désormais, au lieu de tourner le bouton, elle souffle sur le gaz pour l'éteindre, au grand effroi de sa belle-fille.

Alzheimer ? Démence sénile ? « Dépression », a diagnostiqué l'hôpital Charles-Foix d'Ivry-sur-Seine. Depuis une semaine, Colette est hospitalisée dans cet établissement gérontologique, près de Paris.

Méconnue et largement sous-diagnostiquée chez les personnes âgées, comme s'accordent à dire les spécialistes, cette maladie toucherait 10 à 20 % de la population âgée et même 30 % dans les maisons de retraite. Elle est d'autant plus sournoise qu'elle revêt des symptômes très variés : confusion mentale, laisser-aller, irritabilité, troubles de l'alimentation, idées noires, douleurs somatiques, envie de rester alité, lenteur, agressivité, repli sur soi... Si bien qu'il y a parfois « une errance médicale de plusieurs années », explique le Dr Marc Derderian, gériatre à l'hôpital Charles-Foix. Conséquence : les patients ne sont pas du tout pris en charge (« 40 % des cas en ville ne sont pas diagnostiqués », selon lui) ou ils ne sont pas traités comme il le faudrait. « 20 % des sujets reçoivent un traitement inadapté », atteste le médecin en évoquant la prescription très fréquente de simples anxiolytiques, voire d'antalgiques.

« Deux tiers des cas se soignent très bien »

Face à l'expression diverse de ces symptômes, la société a vite fait de dire qu'« on perd les pédales », comme le dit Colette. Comme si la vieillesse rimait forcément avec la démence, la tristesse ou plus communément ce qui passe pour de la bougonnerie. Or, d'un avis unanime du corps médical, la dépression du sujet âgé n'est pas une fatalité. Loin de là. Selon Jean-Baptiste Bordé, interne à Charles-Foix, « les deux tiers des cas se soignent très bien », traitement médicamenteux et accompagnement psychologique à l'appui. Parfois même, il y a des guérisons spectaculaires, ajoute le Dr Derderian en se souvenant d'un patient de 80 ans totalement revenu d'un comportement pourtant profondément « mutique et délirant ».

Si les résultats sont là, il reste à sensibiliser les familles, la société « et même le corps médical », souligne Thierry Gallarda, psychiatre responsable du centre d'évaluation des troubles psychiques et du vieillissement à l'hôpital Sainte-Anne à Paris. Ce qui permettrait d'assurer une meilleure prise en charge et de rattraper « l'incroyable retard de la France sur le reste de l'Europe », souligne le spécialiste. Pour lui, la dépression des vieillards est un  « énorme problème de santé publique », d'autant que le troisième âge est la catégorie de la population qui se suicide le plus après les adolescents.

L'alerte pour les familles, explique le Dr Derderian, c'est « le changement brutal de comportement de la personne âgée, une rupture qui, souvent, se date très bien ». Les facteurs déclenchant sont nombreux : chute, conflits familiaux, solitude, problèmes financiers ou avec le voisinage, veuvage... Un événement grave ou anodin : « le moindre grain de sable chez le sujet âgé suffit à tout déstabiliser et à entraîner chez lui une polypathologie », affirme le médecin qui parle ainsi de vraie « spirale infernale », d'où la nécessité d'être vigilant.

« J'ai honte »

« Jamais je n'aurais cru qu'une telle chose m'arriverait, dit Colette qui commence à reprendre ses esprits. Vous vous rendez compte, c'est dingue d'oublier comment on s'appelle, non ? J'ai honte. Même mon arrière-grand-mère se portait mieux que moi au même âge. » Elle dit vivre un « chaos »,  une « déchéance » et surtout, être « un poids pour les autres ».  C'est cela, la perte de son autonomie, que Colette a le plus de mal à supporter. Alors elle dort, « parce que pendant ce temps-là au moins, je ne me rends pas compte ».

Ce que décrit Colette, Nadia Omara, psychologue clinicienne à Charles-Foix, l'entend tous les jours. « Le drame de la dépression, c'est le sentiment de perte, qu'il s'agisse de ses fonctions motrices, de ses repères, du deuil d'une personne ou de biens matériels, explique- t-elle. Mais dès que les patients sentent à nouveau qu'ils peuvent compter pour quelqu'un, ils retrouvent la valeur de soi et vont mieux. C'est le sens de l'accompagnement psychologique que l'on fait avec eux. »