a écrit :
[center]Corot, satellite et chasseur d'exoplanètes[/center]
LE MONDE | 26.12.06 |
Le satellite Corot a une dette envers les planètes extrasolaires. Si tout va bien, son lancement, prévu mercredi 27 décembre de Baïkonour (Kazakhstan) à bord d'une fusée Soyouz, peut lui permettre de commencer à la rembourser. Le petit engin, français à 70 %, ne doit rien de moins que sa survie à l'étude des astres qui sont en orbite autour de leur propre étoile, très loin de notre système solaire. Son histoire mouvementée ne tient qu'à l'essor de ce nouveau secteur de l'astronomie qui a bousculé bien des certitudes dans sa recherche d'un corps céleste semblable au nôtre, et abritant peut-être la vie.
En 1995, Corot avait à peine germé depuis un an dans l'esprit des scientifiques et des ingénieurs du Centre national d'études spatiales (CNES) lorsque la première exoplanète autour d'une étoile semblable au Soleil fut officiellement signalée par les Suisses Michel Mayor et Didier Quéloz. Le satellite était alors principalement consacré à l'analyse des ondes sonores qui font vibrer les étoiles comme un pouls régulier, et seulement très marginalement à la recherche des planètes lointaines. Mais au fil du temps, les promoteurs de la mission ont appris à étoffer et à mettre en avant cet objectif plus accrocheur, pour résister aux multiples menaces de coupes budgétaires, voire d'enterrement pur et simple du projet.
Onze ans plus tard, la chasse aux exoplanètes est devenue une discipline florissante, forte de plus de 200 découvertes, de programmes de recherches ambitieux, de couvertures de magazines, d'expositions et de conférences qui témoignent de la curiosité du grand public.
Et pour Corot, sauvé par la popularité de cette cause et par le renfort de plusieurs agences européennes et de celle du Brésil, la perspective s'est radicalement inversée. L'analyse de la sismologie stellaire occupera la moitié de l'équipe (le satellite lui doit aussi deux tiers de son nom, qui n'a rien à voir avec celui du peintre puisqu'il abrège les mots COnvection, ROtation et Transits planétaires) et le même temps d'observation que les exoplanètes, mais elle est à peine mentionnée dans les communiqués. Que pèsent ces données, pourtant cruciales pour déterminer l'âge ou la composition des étoiles, face à ce fait qui associe la fierté de la France scientifique et l'intérêt des profanes : le CNES est en passe d'envoyer dans l'espace le tout premier chasseur de planètes extrasolaires, près de deux ans avant son premier concurrent américain, Kepler ?
OBSERVATEURS AVEUGLES
Pour un budget modeste de 170 millions d'euros, Corot pourrait ainsi permettre à notre connaissance de ces astres lointains de franchir un nouveau palier. Sans rien changer à un amusant état de fait : le domaine de l'astronomie, qui jouit actuellement de la plus grande visibilité médiatique, est pratiqué par des observateurs qui ne voient rien de ce qu'ils cherchent. Les très rares images d'exoplanètes ont été prises dans la lointaine périphérie d'étoiles qui ne brillent pas. Pour toutes les autres, celles qui tournent autour d'astres semblables à notre Soleil, la difficulté est la même : une planète ne produit pas de lumière, elle se contente de refléter un peu de celle de son étoile.
Vue de loin, de la Terre, en l'occurrence, cette lueur est noyée dans la luminosité intense de l'astre rayonnant. Un jour, les télescopes seront devenus assez puissants et précis pour opérer un tri entre les particules de lumière, les photons, émises par l'étoile, et celles de la planète.
D'ici là, les astronomes ont transformé ce qui les gêne en allié. Ils savent forcer la lumière qui les aveugle à trahir la présence d'un ou de plusieurs compagnons. L'analyse de ses variations régulières peut ainsi révéler les évolutions de l'orbite d'une étoile, perturbée par l'attraction, faible certes, mais sensible, exercée sur elle par une planète voisine. C'est la méthode des "vitesses radiales" qui a permis de deviner la présence de la grande majorité des exoplanètes recensées à ce jour, y compris la première. Cette méthode, centrée sur l'interaction gravitationnelle entre les deux corps, permet de connaître la masse (du moins sa limite inférieure) de la planète et le temps qu'elle met à accomplir sa révolution autour de l'étoile (la période orbitale).
A tâtons, elle a révélé l'existence d'une catégorie d'astres qu'aucun astronome
n'avait prévue : des géantes gazeuses surchauffées parce qu'elles tournent très près de l'astre central, en quelques jours. Leur surreprésentation actuelle dans les statistiques ne signifie pas pour autant que ces "Jupiter chauds" soient majoritaires parmi les milliards de corps qui doivent accompagner les milliards d'étoiles de notre galaxie. Elle reflète un biais de la méthode, qui favorise les astres massifs et placés sur des orbites très courtes.
D'ailleurs, au bout de onze années, les temps allongés d'observation et l'amélioration des techniques ont permis de détecter des planètes gazeuses aux masses plus proches de celles de Saturne ou Neptune. Avec le temps, les astronomes peuvent espérer commencer à percevoir des variations de longue durée dans la lumière stellaire, qui indiquerait la présence de planètes mettant plus d'une grosse dizaine d'années, comme notre Jupiter, pour boucler leur révolution.
Les spécialistes peuvent aussi compter, depuis l'an 2000, sur une autre méthode. Cette étude des "transits" repose sur la chance qu'une planète passe entre son étoile et la ligne de visée de ses observateurs terrestres. Lors de cette traversée, le corps très peu lumineux provoquera comme une infime éclipse localisée. Il se comportera comme un petit rideau qui retiendra quelques photons émis par l'étoile. De cette diminution passagère, mais régulière, de la luminosité globale, les astronomes peuvent déduire la présence d'une planète, et son diamètre. Pour peu que la méthode des vitesses radiales puisse aussi être appliquée, les chercheurs croiseront masse et taille et obtiendront une donnée précieuse : la densité du corps détecté, qui peut permettre de commencer à fonder une science exoplanétaire de précision.
Corot appliquera justement cette deuxième méthode, beaucoup plus fertile en enseignements potentiels. Destiné à l'étude de précision des étoiles, le satellite avait déjà tous les atouts pour devenir un bon détecteur de transits. Pendant les deux années et demie de sa mission, il sondera des champs d'étoiles, 120 000 au total, dans l'épaisseur du disque de la Voie lactée. Normalement, sa précision doit lui permettre de percevoir des baisses de luminosité de l'ordre du 1/10 000. Le nombre de planètes à transit détectées (14 actuellement) pourrait ainsi être multiplié par dix. Et, en plus des inévitables "Jupiter chauds", permettre d'accéder à la nouvelle population que tout le monde guette. Celle des super-Terre, solides et non plus gazeuses, et d'un diamètre, dans les meilleurs des cas, à peine deux fois supérieur à celui de la Terre.
EVITER L'ÉBLOUISSEMENT
S'ils sont détectés, ces nouveaux mondes telluriques présenteront toutefois une différence majeure avec le nôtre : ils se situeront beaucoup plus près de leur étoile. Là encore, cette proximité s'explique par un biais observationnel. Par souci d'économie, Corot doit être placé sur une orbite terrestre basse, à 800 km d'altitude. Sur sa trajectoire polaire, il devra avant tout chercher à éviter de se laisser éblouir par le Soleil. Tous les six mois, il sera obligé de se retourner, pour viser un champ d'étoiles à l'opposé de la nôtre. Ces manoeuvres limitent sa capacité maximale d'observation à des périodes de 150 jours d'affilée. Sachant qu'il faut au moins trois observations de transits consécutifs pour forger une présomption solide sur la présence d'une exoplanète, Corot aura peu de chances de dénicher un astre qui mette plus de cinquante jours à boucler son tour d'étoile. Cette brève période orbitale l'exposera donc au souffle brûlant de son astre central. Et devrait exclure la possibilité d'y supposer la vie.
A moins que... "Parmi les étoiles que Corot va observer, un petit nombre sont considérées comme froides, avec des températures de surface de 3 500 ºC, bien inférieures aux 5 700 ºC du Soleil, explique Jean Schneider, l'astronome de l'Observatoire de Paris-Meudon qui a développé la partie exoplanétaire de la mission Corot. Une petite planète aurait besoin d'en être beaucoup moins éloignée pour être éventuellement habitable."
Au-delà de tels cas particuliers, les spécialistes espèrent surtout que Corot sera en mesure de faire accomplir un bond quantitatif aux observations. Plus d'une centaine de nouvelles exoplanètes, dont on pourrait calculer la densité, permettraient de nourrir les statistiques, de faire tourner les programmes informatiques et d'éliminer certains modèles de formations de systèmes planétaires. D'affiner nos connaissances, en sachant que, dans ce domaine de l'astronomie plus que tout autre, le lot du chercheur est d'être sans cesse dérouté par ce qu'il apprend.
Jérôme Fenoglio et Christiane Galus
a écrit :
[center]Une coopération entre ciel et sol[/center]
LE MONDE | 26.12.06 |
La recherche des exoplanètes est bien trop complexe pour pouvoir s'offrir une concurrence entre ses moyens terrestres et ses premiers engins spatiaux. Le lancement de Corot ne contraindra pas à la retraite les instruments déployés dans les observatoires, mais leur donnera une deuxième jeunesse.
La méthode des transits, utilisée par le satellite, a en effet besoin de confirmations et de prolongements. Corot fournira une estimation du diamètre de l'exoplanète repérée, les observatoires terrestres se chargeront d'en déterminer la masse, par la méthode des vitesses radiales. Cette collaboration devrait avant tout profiter à deux instruments européens de pointe déployés dans chacun des deux hémisphères. Au sud, le spectrographe Harps est installé sur l'un des télescopes de l'Observatoire austral européen (ESO), au Chili. Avec sa capacité à déceler des variations de vitesse des étoiles de l'ordre de 1 m/s, il est l'outil terrestre actuellement le plus efficace.
Au nord, il a reçu le renfort d'un nouvel instrument, dont les débuts coïncideront à peu près avec ceux de Corot. A l'Observatoire de Haute-Provence, le spectrographe Sophie vient en effet succéder à Elodie, première relique de la quête des exoplanètes. C'est Elodie qui a permis, en 1995, la découverte de la première planète lointaine. Sophie doit poursuivre sur cette lancée, en atteignant la précision des 1 m/s.
TRIER LES CANDIDATES
"Au cours de chaque période d'observation, Corot devrait trouver une centaine de candidates au statut d'exoplanètes, explique François Bouchy de l'Institut d'astrophysique de Paris (IAP). Un premier tri entre ces phénomènes sera opéré par un instrument situé au Very Large Telescope de l'ESO, au Chili, capable d'éliminer les sources d'erreurs possibles." Les astronomes redoutent particulièrement les confusions éventuelles entre des taches qui se créeraient à la surface de l'étoile, comme on en voit sur le Soleil, et le passage d'une planète. "Une fois cette sélection opérée, Harps ou Sophie examineront les candidats les plus sérieux, en déterminant leur masse, puis s'attacheront à mieux préciser les caractéristiques de l'étoile autour de laquelle un astre a été repéré." Ces données doivent fonder une vraie science des exoplanètes.
Le même type de collaboration se poursuivra en 2008, avec le lancement de Kepler, le premier engin spatial américain dédié à cette chasse. Celui-ci disposera d'avantages considérables sur Corot. Ce ne sera plus un satellite mais une sonde qui naviguera loin de la clarté terrestre, et pourra donc étudier sans interruption le même champ d'étoiles pendant quatre ans. Mais la précision qu'y gagneront ses observations ne lui permettra pas encore de se débrouiller toute seule. La concurrence entre instrument au sol et dans le ciel ne devrait se déclarer que dans plus de dix ans, lorsque les futurs télescopes géants et les sondes de la deuxième génération se disputeront l'honneur de la première photographie d'une planète en orbite autour d'un soleil lointain.
J.F. et C.G.
a écrit :
[center]La longue quête de la vie extraterrestre[/center]
LE MONDE | 26.12.06 |
La quête d'une vie extraterrestre est concomitante de la recherche de nouvelles planètes habitables similaires à notre Terre. C'est aussi une vieille interrogation de l'humanité. Certains philosophes grecs envisageaient déjà la pluralité de mondes peuplés comme le nôtre. Plusieurs siècles plus tard, Johannes Kepler, une des figures majeures de l'astronomie de la Renaissance, parlait de la vie extraterrestre à travers ses écrits. Et Voltaire mettra en scène un habitant de Sirius d'une taille imposante.
Aujourd'hui, les scientifiques ont pris le relais, et la recherche d'une vie se déployant ailleurs que sur notre globe fait l'objet d'une science nouvelle : l'exobiologie. Cette dernière bénéficie de la masse d'informations apportées par l'exploration du système solaire depuis vingt ans. Elle tire aussi profit des études menées sur l'origine de la vie sur notre planète. Dotée de ces données, cette science interdisciplinaire tente de définir ce qu'est la vie, pour pouvoir organiser ensuite sa recherche dans d'autres systèmes planétaires. La NASA s'est déjà dotée d'un programme d'exobiologie, tandis le CNRS vient de fonder un programme interdisciplinaire centré sur les "origines des planètes et de la vie", après avoir créé en 1999 le Groupe de recherche exobiologie.
Le petit satellite Corot ne pourra établir si une planète est habitable. Mais ce "sera un satellite défricheur", indique Annie Baglin, astrophysicienne à l'Observatoire de Paris et responsable scientifique de la mission Corot. Car il permettra de préciser si les planètes de type terrestre sont nombreuses ou non. Les données qu'il fournira, alliées à celles de son successeur américain Kepler, plus puissant, serviront à déterminer les modalités des missions prévues pour 2020 : le projet Darwin, de l'Agence spatiale européenne, et le Terrestrial Planet Finder de la NASA.
Ces engins détecteront directement les planètes telluriques autour d'étoiles proches, soit par la lumière qu'elles réfléchissent, soit par leur émission infrarouge. Grâce à la spectroscopie, ils pourront détecter sur ces planètes des constituants atmosphériques importants pour la vie, comme l'eau et le gaz carbonique. Et peut-être même, également, discerner des indices d'une éventuelle activité biologique, comme l'oxygène, l'ozone ou le méthane.
ZONES D'"HABITABILITÉ"
Auparavant, il faudra définir et caractériser la zone d'"habitabilité" au sein d'un système planétaire. C'est une région dans laquelle on pense que les conditions physiques sont favorables à l'émergence de la vie. Dans notre système solaire actuel, la zone d'habitabilité est située entre 0,9 et 2 unités astronomiques du Soleil (une UA est égale à 149 millions de km).
Mais avant d'aller interroger d'autres Terre que la nôtre, il faudra avancer dans la connaissance des origines de la vie sur notre planète. Or " nous sommes encore loin d'avoir défini ce qu'est la vie et quelle est son origine", explique Marie-Christine Maurel, professeur à l'université Paris-VI. On sait que la vie sur Terre est basée sur la chimie du carbone dans l'eau liquide. L'atome de carbone est en effet unique pour se lier de façon complexe avec lui-même et avec d'autres atomes pour former de longues molécules en chaînes.
Des chaînes carbonées de ce type ont été découvertes dans les comètes, dans les météorites et dans les poussières interstellaires. " Il y a donc une universalité de la chimie organique, précise Franck Selsis, astrophysicien au CNRS et au Centre astronomique de Lyon. Mais on ne sait toujours pas dans quel cas cette chimie permet l'émergence de la vie." Les plus anciennes traces de vie, sur Terre, remontent à 3,6 milliards d'années.
J. F. et C.G.