a écrit :4,8 millions de tonnes de produits chimiques nocifs ont été recensés.
France : premier bilan des toxiques professionnels
Par Eliane PATRIARCA
Libération mardi 9 janvier 2007
Près de 5 millions de tonnes de produits chimiques cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques (toxiques pour la reproduction) ont été utilisés en milieu professionnel en 2005 dans l'Hexagone. C'est ce que révèle une étude réalisée pour la première fois par l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS) à la demande du ministère de l'Emploi (1). Menée en 2005 dans 2 000 entreprises couvrant trente secteurs d'activité, cette étude inventorie 324 agents chimiques cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques (CMR), parmi les plus toxiques ou les plus courants. Selon Raymond Vincent, auteur de l'étude et responsable de l'unité «caractérisation du risque chimique» de l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS), les principaux utilisateurs de ces 4,8 millions de tonnes de produits CMR sont l'industrie chimique, bien sûr (3,5 millions de tonnes), mais aussi les labos pharmaceutiques. Viennent ensuite les fabricants de peintures, de matières plastiques et de détergents.
Inquiétant.
Parmi les substances CMR les plus fréquentes, on trouve 10 produits dont la consommation est supérieure à 100 000 tonnes par an. Ainsi le benzène, utilisé à raison de 715 000 tonnes par an, concernerait plus de 35 000 salariés de l'industrie, notamment en chimie organique (fabrication de résines, colles...) et en pharmacie. Autre polluant notoire : le formaldéhyde, que l'on trouve dans la fabrication des panneaux de bois, la pharmacie (désinfectants comme le formol) et l'industrie textile (cuirs). Plus de 42 000 salariés y seraient exposés. Viennent ensuite le toluène, utilisé comme solvant pour les encres d'imprimerie (13 500 salariés exposés), le phénol, employé pour la fabrication de produits chimiques (4 000 salariés).
Au total, environ 500 000 salariés des industries chimique, pharmaceutique ou textile seraient concernés. «Mais attention, précise Raymond Vincent, ces chiffres sous-estiment le nombre total, car on a recensé seulement les travailleurs exposés à ces substances utilisées en tant que matières premières.» En effet l'étude ne prend pas en compte les salariés utilisant des produits fabriqués avec ces agents toxiques : elle comptabilise par exemple ceux qui travaillent dans la fabrication de peintures, mais pas ceux qui les utilisent, comme les peintres en bâtiment. En réalité, si l'on en croit l'enquête du ministère de l'Emploi sur l'exposition aux risques professionnels portant sur 2002-2003 (baptisée Sumer), ce serait au moins 2,7 millions de travailleurs qui seraient exposés aux CMR...
Dans ce contexte inquiétant, l'étude de l'INRS souligne néanmoins une évolution encourageante. «Sur les 324 agents toxiques recensés, plus de la moitié ne sont plus utilisés de manière significative en France.» Les industriels les ont abandonnés ou ont engagé un processus de substitution par des produits censés être moins nocifs. Ainsi il n'y a plus en France de production d'auramine, utilisée pour la teinture du papier, du cuir et des textiles, et qui conduisait à de forts risques de cancer de la vessie. Et les éthers de glycol éthyléniques, toxiques pour la reproduction, ne sont quasi plus utilisés.
«Irremplaçables».
Cette évolution s'explique, selon Raymond Vincent, par l'évolution de la réglementation depuis 1981, qui implique des tests d'homologation plus contraignants pour les substances chimiques. «Les industriels ont préféré abandonner des molécules trop douteuses plutôt que de les soumettre à des tests coûteux.» Une preuve de plus de l'intérêt du règlement européen Reach adopté en décembre et qui obligera les industriels à faire la preuve de l'innocuité de leurs substances. En améliorant les connaissances sur l'impact sanitaire et environnemental des produits, Reach aidera à réaliser une substitution à bon escient, c'est-à-dire avec des produits moins nocifs. Pour ce qui est des produits encore «irremplaçables», tel le benzène, il faut améliorer la prévention, c'est-à-dire la sécurité des utilisateurs.