a écrit :La Chine, poubelle du monde
par Laurent Arnauts
Monday, 15 January 2007
Dans le contexte de la mondialisation, et davantage encore depuis l’adhésion de la Chine à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), ce pays est devenu en quelque sorte « l’usine du monde ». Rares sont les produits dans le monde qui ne sont pas totalement ou partiellement « made in China ». Pour deux raisons, essentiellement : il constitue un inépuisable réservoir de main-d’oeuvre (très) bon marché, et on peut y produire sans trop se soucier des effets environnementaux. Mais les conséquences pour le monde et pour les Chinois eux-mêmes sont terribles. Sur le plan social, l’exploitation proche de l’esclavage des travailleurs chinois autorisée par les successeurs de Mao entraîne le monde dans une spirale à la baisse des conditions de travail. Même dans des pays en développement africains, des entreprises délocalisent ! Sur le plan environnemental, à elle seule la Chine rend illusoire tout espoir d’enrayer le réchauffement climatique, sans parler des conséquences pour la vie de ses habitants . Cette machine infernale, impulsée par la mondialisation économique, peut-elle s’arrêter ?
Les tenants de la « mondialisation heureuse » affirment que ces phénomènes vont se résorber naturellement avec l’augmentation du niveau de vie des Chinois. Selon la théorie néolibérale orthodoxe, en effet, les paysans chinois qui montent à la ville par millions pour y travailler se font certes exploiter, mais néanmoins devrait à un certain moment se développer une classe moyenne suffisamment forte que pour faire aboutir des revendications portant à la fois sur les conditions de travail et l’environnement de vie. Selon cette théorie, toujours, les délocalisations dans les pays occidentaux (et même dans des pays en développement, que la Chine parvient à concurrencer grâce à la faiblesse artificielle de sa monnaie, le Yuan), ne sont donc qu’un mauvais moment à passer. Il suffit d’attendre que les Chinois (et les autres travailleurs exploités de par le monde) fassent aboutir leurs revendications, pour que les délocalisations deviennent sans objet et que le niveau de vie mondial reparte à la hausse.
On connaît les réponses théoriques à ce modèle théorique : le réservoir de main-d’oeuvre ultra-pauvre sur la planète est tellement vaste - et n’est pas appelé à diminuer avec l’augmentation de la population mondiale- que le cercle vicieux n’est en réalité pas près de se transformer en cercle vertueux avant de nombreuses générations. S’il doit se faire sentir un jour, il y a fort à parier que le monde aura déjà irrémédiablement changé de visage, avec aux commandes une nouvelle caste inexpugnable de superriches qui aura pris soin d’adapter les législations pour réprimer toute velléité de contestation sociale ou politique (voir également page XXX l’article concernant le Military Commissions Act américain, ainsi que nos précédentes éditions à propos de la soi-disant « lutte contre le terrorisme »).
Ce que l’on sait moins, c’est que dans les faits les grandes entreprises mondiales présentes en Chine font elles-mêmes des pieds et des mains pour que ce modèle théorique sur lequel elles affirment s’appuyer, échoue ! En effet, la contestation sociale et environnementale en Chine a déjà commencé, même si la nature dictatoriale du régime de Pékin ne laisse pas apparaître au grand jour le mécontentement qui gronde. Aussi ce dernier a-t-il pris l’initiative d’un projet de Loi sur le Contrat de Travail (LCT) l’année dernière, qu’il a ouvert aux commentaires publics pendant une période de 30 jours. Parmi les quelque 200.000 commentaires reçus, révèle un rapport du centre d’études Global Labour Strategies (*), on trouve... celles des grandes entreprises internationales et de leurs groupements de lobbying. Qui s’opposent bec et ongles à la nouvelle législation!
Pourtant, celle-ci révèle à quel point la situation actuelle est catastrophique, beaucoup de travailleurs n’ayant même pas de contrat de travail, ceux qui en ont ne bénéficiant pas de protections minimales. Les réactions du « big business », des firmes comme Wal-Mart,
Google, UPS, Microsoft, Nike, AT&T, et Intel, représentées notamment par la Chambre américaine de Commerce de Pékin, sont éloquentes. Comme une loi de 1994 rendant obligatoire le contrat de travail écrit n’est pas appliquée dans les faits, la nouvelle loi considère par exemple que le paiement d’un salaire présuppose l’existence d’un tel contrat et des garanties afférentes, et que dans le doute il devra être interprété en faveur du travailleur. La Chambre américaine considère cependant que « de telles dispositions ne sont pas compatibles avec le système de recrutement des entreprises modernes », et que c’est la direction qui doit pouvoir fixer les conditions de travail unilatéralement, sans contrat écrit, pour tous les travailleurs, et notamment « les salaires, l’organisation de l’assurance sociale, le mode de licenciement et le montant des indemnités de préavis ». De même, alors qu’il est prévu d’instaurer des négociations avec une représentation syndicale pour la santé et la sécurité sur le lieu de travail, les licenciements, etc., la Chambre estime que « ce n’est pas faisable » et demande que cela demeure fixé unilatéralement par l’entreprise. De même, les entreprises veulent continuer à pouvoir demander des indemnités importantes aux travailleurs qui les quittent, pour « frais de formation ». Des indemnités qui ont souvent pour effet de supprimer la liberté de travail (puisqu’un travailleur qui ne peut pas payer l’indemnité demandée est bien forcé de rester aux conditions dictées par l’employeur), et que la nouvelle législation se propose de plafonner... Faut-il donc s’étonner que Robert Kwauk, managing partner du bureau d’études Blake Cassels & Graydon’s cité par le rapport, explique que « je dis à mes clients de ne pas paniquer, parce que les nouvelles règles sont toujours très raisonnables (sic) en comparaison à celles auxquelles beaucoup d’entre eux sont exposés (sic) dans leurs opérations domestiques et internationales » ?
De surcroît, les entreprises multinationales n’ont pas encore beaucoup à craindre de ces nouveaux droits, pas plus que du rôle régulateur en matière de salaires, de temps de travail et de conditions de travail que l’Etat envisage de se donner. En l’absence de droit d’association et de droit de grève, et avec des syndicats qui dépendent tous de la Fédération Chinoise des Syndicats qui est tout ce qu’il y a de plus officiel (souvent le représentant syndical est... le patron de l’entreprise), tandis que les tribunaux ne sont toujours pas indépendants, ce n’est pas demain que les choses changeront sur le terrain. Le gouvernement de Pékin se veut en effet toujours des plus accomodants, et veut maintenir une croissance exponentielle qui ne bénéficie qu’à la classe dirigeante (les salaires sont toujours ceux de... 1993!). La Chine n’est donc pas prête de sortir de son 19e siècle. Et tout porte à croire, comme le souligne le rapport du centre d’études Global Labour Strategies, que les grandes entreprises l’utilisent comme levier pour nous y faire retourner.
(*)
www.laborstrategies.blogs.com