lanceurs d'alerte : Une analyse sociologique

Et lutte contre les pseudo-sciences et les obscurantismes

Message par Louis » 21 Jan 2007, 21:10

Une analyse féconde que je vais me procurer (mais que je n'ai pas encore eu le temps de lire) fait le point sur le phénoméne des "lanceurs d'alerte" scientifique. En général, ces chercheurs confrontés a un risque potentiel mais caché, sont marginalisé dans l'institution (ou ils sont trés vite considéré comme des "empécheurs de rechercher en rond") , ils prennent le risque pas potentiel du tout de perdre programmes de recherches et positions institutionnelles C'est dire qu'ils ne sont pas trés nombreux

Un article de CNRS Info permet de faire le point sur ce phénoméne :


("cnrs info @ Décembre 1999" a écrit :L'étude de plusieurs affaires de santé publique montre que des " lanceurs d'alerte " s'étaient efforcés, en amont, de faire reconnaître risques et dangers. À travers l'analyse des dossiers de l'amiante, du nucléaire, et des maladies à prions (" vache folle ", Creutzfeldt-Jakob), deux chercheurs du Groupe de sociologie politique et morale* se sont intéressés à ces nouveaux acteurs. Ils ont étudié la manière dont l'alerte prend forme, les parcours qu'elle affronte avant d'être éventuellement prise en compte et suivie d'une action publique. Leur recherche est publiée sous le titre Les Sombres précurseurs. Une sociologie pragmatique de l'alerte et du risque.

 
Depuis les temps les plus reculés, on qualifie de prophète de malheur celui qui cherche à convaincre l'humanité qu'une ère de grands malheurs est ouverte et annonce l'Apocalypse. À l'inverse du prophète de malheur, le lanceur d'alerte (1) veut déréaliser ce qu'il annonce, éviter que le pire ne se produise, infléchir un processus ou en limiter les dommages. " J'avais prévenu et on ne m'a pas écouté " : c'est sous cette forme que témoignent les lanceurs d'alerte lorsque la catastrophe annoncée a eu lieu. Qui sont ceux qui lancent des cris d'alarme et à quels traitements leurs alertes sont-elles soumises alors que des actions correctrices sont encore possibles ? Par quels processus les alertes se constituent-elles et parviennent-elles, ou non, à provoquer des débats ou des polémiques, accélérer des décisions ou des réformes, modifier des dispositifs ?

L'annonce d'un risque de catastrophe pose deux questions : quelles sont les conditions d'une prise de parole publique dans une société complexe, où démocratie et haut niveau technologique ne s'accordent pas forcément (2) ? Comment s'établissent les différences entre alertes et prophéties, annonces délirantes et raisonnables, dangers relevant de la " santé publique " et dangers jugés inexistants ou incertains ? L'étude des alertes et des inquiétudes durables émanant de personnes ou de groupes œuvrant à la reconnaissance d'un danger ou d'un risque par les instances officielles s'inscrit dans une perspective de sociologie pragmatique. En effet, les alertes apparaissent comme de véritables mises à l'épreuve des dispositifs de veille et de gestion des crises déjà en place et, du même coup, mettent en jeu les modalités de passage entre le local et le global, entre l'individuel et le collectif, le profane et l'expert, le subjectif et l'objectif. Les auteurs posent comme hypothèse qu'il existe des conditions d'acceptabilité d'une mise en alerte qui peut engager une évaluation des personnes facilement suspectées d'" incompétence ", d'" inquiétude maladive " ou de " malveillance ". La description des actes effectués par les tireurs d'alarme et par les agents qui les évaluent (responsables administratifs, scientifiques, réseaux d'épidémiosurveillance, médias, élus) rend visibles les procédés mis en œuvre pour porter un jugement sur la réalité du danger ou du risque.

Le lanceur d'alerte humain reste supérieur à tout système d'alarme automatique. Il peut par son travail faire tenir ensemble des éléments a priori hétérogènes : indices ou traces, données statistiques ou témoignages, séries de précédents ou arguments convaincants. Il s'engage pour faire passer son message, par écrit ou de vive voix, dans une assemblée, via un média... Ce " cri d'alarme ", qui va s'installer dans la durée, rompt le silence et, souvent, va " réveiller " ceux qui, par routine, seraient enclins à dédramatiser ou à relativiser la portée des événements.

Les auteurs ont étudié trois dossiers (amiante, nucléaire, maladies à prions). Le parcours emprunté par chaque dossier est marqué par l'existence de précédents - et notamment de " grandes affaires " - qui influencent les modalités temporelles de l'alerte (urgence ou possibilité d'un délai, conséquences immédiates ou différées de l'exposition au danger, etc). Le logiciel utilisé pour cette recherche (3) a permis de représenter et de comparer dans leurs structures et leurs évolutions, les différentes formes d'expression et d'argumentation utilisées par les protagonistes.

Le dossier de l'amiante, bien qu'il concerne au départ des sites particuliers, présente des voies multiples d'extension (risques de pollution de l'environnement, circulation de produits amiantés). Comment ce dossier, si fortement constitué dans les années soixante-dix dans un climat de forte contestation sociale, a-t-il pu être " oublié " pendant près de quinze ans ? Après cette longue période de silence, l'affaire s'est réinstallée dans le débat public vers 1994 pour entrer maintenant dans une phase de normalisation. La reconstitution des transformations qui ont marqué ce dossier permet de décrire l'évolution des modes de traitement des risques, des réseaux d'acteurs et d'organismes, des dispositifs de preuve et d'argumentation.

La représentation des risques liés au nucléaire est d'abord insidieuse, les indices ne sont pas immédiatement perceptibles. Le dossier nucléaire relève plus d'une logique de dissémination (d'activités, de déchets, de radioéléments). Les transformations dans les rapports entre lanceurs d'alerte, militants contestataires, experts, exploitants, médias et décideurs politiques s'opèrent de manière plus graduelle. Malgré la présence d'enjeux politiques et économiques considérables, une logique de vigilance se met en place qui permet à de nouvelles configurations d'émerger sans reproduire l'opposition entre pro- et anti-nucléaires des années 1970. L'accident de Tchernobyl a produit une rupture dans la façon d'aborder le risque nucléaire.

Les maladies à prions peuvent être caractérisées comme un risque typique d'un monde organisé en réseau (4). Le suivi du dossier de l'encéphalopathie spongiforme bovine et de la maladie de Creutzfeldt-Jakob atteste de l'avènement d'un nouveau régime de traitement des risques collectifs. Jusqu'en mars 1996, la " vache folle " relevait en France de dispositifs d'alerte internes et, en dépit de crises antérieures (juin 1990), les controverses restaient confinées entre experts du domaine. Après la déclaration britannique du 20 mars 1996 et l'explosion médiatique du dossier, les modalités d'accès au terrain ont été considérablement affectées. L'étude souligne les alertes dérivées portant sur des objets désormais incertains : dérivés du bœuf, cosmétiques, produits sanguins.

Après la multiplication des affaires (Tchernobyl, transfusion sanguine, hormones de croissance, hépatite B, dioxine), il s'est formé une sorte de consensus sur la nécessité de reconfigurer la prise en charge publique des nouvelles situations d'alertes sanitaires. Ce changement a des effets directs sur les modes d'accès aux terrains d'enquête, notamment par la médiatisation répétée des dossiers. Comment faire face à la complexité des dossiers, aux doutes et aux incertitudes qui les caractérisent ? Peut-on donner la parole à tout le monde ? Pour éviter de répondre dans l'urgence -" comment en est-on arrivé là ? "-, de multiples acteurs s'efforcent de se placer le plus en amont possible des processus. Ils sont alors amenés à donner une place plus grande aux lanceurs d'alerte et aux dispositifs décentralisés de surveillance et de contrôle. Les nouveaux modes d'expertise s'appuient sur des alertes qui, loin d'être disqualifiées d'office comme subjectives ou irrationnelles, permettent d'organiser des réseaux de surveillance. Si l'on ne peut tout prévoir, l'idée s'impose que l'on peut être vigilant et accompagner les processus de façon à faire face aux inévitables " surprises ", " révélations " et autres " éléments nouveaux ". Les lanceurs d'alerte ont un rôle essentiel, ces sombres précurseurs redonnent à l'inquiétude toute sa positivité et témoignent de l'importance de l'invention de nouvelles formes de vigilance.

 
 
* CNRS-EHESS.

1 Le lanceur d'alerte peut être un groupe ou un individu, riverain, journaliste, médecin, porte-parole d'associations, élu, agent interne au sein d'une organisation. Le processus d'alerte peut traverser un ensemble de configurations : la vigilance, l'alerte, la controverse, la polémique, l'affaire, la crise et la normalisation.

2 Cf. les travaux d'Albert Hirschman et Michael Walzer.

3 Conçu par Francis Chateauraynaud et Jean-Pierre Charriau, le logiciel Prospero a été développé initialement pour l'analyse sociologique des affaires et des controverses. Il a été enrichi et adapté pour cette étude. (© Doxa 1995-1999).

4 Dans un tel monde, la moindre défaillance engage des réseaux de production et de circulation disséminés dans le monde entier. La mise en place actuelle d'opérations de traçabilité tente de limiter les risques liés à une telle organisation.

Le Programme " Risques collectifs et situations de crise " du CNRS

Lancé en 1994 dans le cadre du Département des Sciences de l'homme et de la société du CNRS, devenu un axe interdisciplinaire du CNRS en 1997, ce programme a quatre axes de recherche principaux : Processus d'identification des risques collectifs, de hiérarchisation et de " mise sur agenda " - Traitement des risques collectifs - Développement des dynamiques de crise et gestion des situations de crises - Crise et questions de responsabilité. Quatre thématiques transversales sont privilégiées, correspondant à des enjeux actuels majeurs aussi bien en termes de recherche qu'en termes concrets et opérationnels : Les modes de structuration des relations entre " producteurs de risques ", organismes d'expertise, autorités de contrôle et leurs effets - L'évolution de l'expertise scientifique et technique, ses conditions, ses effets et ses implications - Les modalités de circulation d'informations, de concertation, de participation en matière de risques collectifs et leurs effets - Les procédures de retour d'expérience, d'apprentissage et de vigilance organisationnels.

Ce programme veut également établir des partenariats avec des organismes concernés ou intéressés par ces thématiques afin de faire progresser la réflexion en la matière et l'inscription de la question des risques et des situations de crise sur l'agenda de ces institutions.

Contact : Claude GILBERT,
directeur du programme "Risque collectifs et situations de crise" du CNRS,
Mél / E-mail :Claude.gilbert@upmf-grenoble.fr

 
  Référence   

 
• Francis Chateauraynaud, Didier Torny, Les Sombres précurseurs. Une sociologie pragmatique de l'alerte et du risque, Ed. EHESS, 1999, 476 p., 180 F.

Cette recherche s'est déroulée sur cinq ans (1994-1998) dans le cadre d'un programme du CNRS, dirigé par Claude Gilbert (cf. encadré).

Cf. • Alertes, affaires et catastrophes. Logique de l'accusation et pragmatique de la vigilance. Points de vue de Luc Boltanski, Francis Chateauraynaud, Jean-Louis Derouet, Cyril Lemieux, Didier Torny, Séminaire du Programme " Risques collectifs et situations de crise " du CNRS, 15 février 1996.

• De l'alerte à la crise sanitaire : un modèle de transformation, Points de vue de Francis Chateauraynaud, Cyril Lemieux, Didier Torny, Séminaire du Programme " Risques collectifs et situations de crise ", actes de la onzième séance, 23 avril 1998, pp. 61-165.

Louis
 
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