a écrit :
[center]Le Kenya désarmé face à la tuberculose[/center]
Dans un bidonville de Nairobi, MSF tente d'endiguer une forme ultrarésistante de la maladie.
Par Stéphanie BRAQUEHAIS
QUOTIDIEN : samedi 24 mars 2007
Nairobi correspondance
Ils sont assis sur deux bancs en bois qui se font face. La bouche recouverte d'un masque hygiénique, les quatre patients attendent comme chaque matin de recevoir neuf pilules et une injection, isolés des autres malades, dans un réduit de deux mètres sur trois, séparé du reste de la clinique MSF (Médecins sans frontières) par une porte en tôle. Dehors, le brouhaha qui signale l'intense circulation à Mathare, le bidonville le plus peuplé de Nairobi, couvre leur toux souffreteuse. Phidélia, la trentaine, est pliée en deux, les deux mains posées sur son torse aux os saillants. Depuis trois mois, un aller-retour deux fois par jour à la clinique constitue l'unique activité de sa vie et sa seule chance d'échapper à la mort. Elle est atteinte, depuis plusieurs années, d'une tuberculose qui, au fur et à mesure de l'échec des traitements, est devenue résistante à au moins deux des quatre molécules utilisées pour soigner la forme classique de la maladie.
«Placés en isolement». Pendant deux ans, comme les trois autres patients traités à Mathare par MSF, elle doit suivre un traitement lourd et toxique. «Au début, j'ai eu peur car je vomissais tous les jours du sang, je perdais l'équilibre. Selon les périodes, je me sens plus ou moins bien, j'ai surtout très mal aux articulations», chuchote-t-elle. Pour le moment, ces patients sont les quatre cas connus de la forme multirésistante de tuberculose (MDR, pour multidrug resistant tuberculosis ) détectée au Kenya à la fin des années 90 sur une estimation de 200 000 cas de tuberculose classique. Scotché à l'un des placards en fer du bureau jouxtant la salle d'attente, un article du quotidien kenyan Daily Nation a pour titre : «Afrique du Sud, les malades de la tuberculose placés en isolement». Le journaliste décrit les cas de patients atteints de tuberculose ultrarésistante, la XDR (extensively drug resistant tuberculosis), mortelle à 95 %, apparue pour la première fois sur le continent africain l'année dernière et qui a déjà fait plus de 100 morts en Afrique du Sud. C'est «une manière de convaincre les patients de ne pas abandonner leur traitement, sinon la maladie prend une forme que l'on ne peut pas guérir», explique Irène Ocebe, une des infirmières.
Contagion.
Plusieurs experts médicaux kenyans ont récemment tiré la sonnette d'alarme, insistant sur le fait que le pays n'était pas préparé à faire face à ce qui peut devenir un véritable désastre. En effet, le taux de prévalence du sida est très élevé au Kenya ; or les séropositifs courent 50 fois plus de risques de développer une tuberculose. Normalement, une hospitalisation de six mois est prévue pour isoler les malades et prévenir les risques de contagion. Mais, à Mathare, suivre scrupuleusement de telles mesures d'hygiène relève de la gageure. «Même si nous avions un bâtiment à part, la densité de population est telle qu'il serait quasi impossible d'empêcher la contamination», poursuit Irène. Déjà, le simple port du masque implique des sacrifices auxquels les patients refusent de se soumettre. Monica, 45 ans, vit dans une pièce minuscule à quelques kilomètres de là avec ses cinq enfants. «A la maison, je ne porte pas le masque, ni pour sortir prendre le bus et venir à la clinique. J'ai peur que les gens me regardent de travers et qu'ils soient effrayés.» Patrick, séropositif, et en traitement contre la tuberculose depuis dix mois, hoche la tête. «J'ai perdu mon travail de docker au centre-ville, et la plupart de mes amis m'ont abandonné. Alors, dans la rue, quand je tente de survivre en vendant des fruits et des légumes, je ne porte pas de masque, sinon je n'ai plus rien pour vivre.» Malgré la lourdeur du traitement, Patrick est en voie de guérison, il résiste à une seule prise de médicaments par jour, le bacille n'est quasi plus détectable dans son organisme. Mais il lui reste encore un an à tenir. S'il flanche, il sait qu'il sera vulnérable à cette forme mortelle de la tuberculose.
Examen des crachats.
«Nous pensons qu'il y a bien d'autres cas au Kenya de tuberculose multirésistante, mais le diagnostic est très long. Deux mois pour obtenir les résultats depuis un laboratoire en Belgique, deux mois pendant lesquels le malade continue à propager la maladie et peut succomber en l'absence de traitement», déplore Florence Okatch, une autre infirmière de la clinique.
L'examen des crachats, une méthode vieille de plus d'un siècle, ne fonctionne pas pour les enfants ni pour les patients très atteints, qui ne sont pas capables d'expectorer. Autre obstacle, et non des moindres en Afrique, le traitement de la tuberculose multirésistante coûte environ 15 000 dollars (11 300 euros) par malade, contre 400 (300 euros) pour sa forme classique. 450 000 cas de tuberculose multirésistante sont recensés chaque année dans le monde. Face à ce risque, l'Organisation mondiale de la santé et l'Union internationale contre la tuberculose ont appelé fin octobre à réunir 95 millions de dollars (72 millions d'euros) pour lutter contre la tuberculose ultrarésistante.