dans le journal du CNRS d'avril:
a écrit :
[center]Les céréales à l'assaut du pétrole[/center]
Biohub est l'un des premiers « grands projets » de l'Agence de l'innovation industrielle. Il vise à développer, avec le soutien de plusieurs équipes du CNRS, des molécules chimiques à partir des céréales et de leurs dérivés.
À Lestrem, dans le Pas-de-Calais, une voie ferrée achemine chaque jour 6 000 tonnes de blé et de maïs au cœur de l'entreprise Roquette Frères, quatrième fabricant mondial d'amidon. En repart une armada de poids lourds transportant une partie de la gamme de l'entreprise, qui raffine pas moins de 650 produits différents : sirop de glucose pour confitures, crèmes dentifrices ou gels douche ; sorbitol destiné à la fabrication de médicaments, de chewing-gum ou de chocolat sans sucre ; amidon entrant dans la composition de la colle des cartons ondulés…
Demain, grâce aux travaux issus du projet Biohub (littéralement « plate-forme du vivant » en anglais), d'autres produits viendront s'ajouter à cette liste. De nouvelles molécules, toujours réalisées à partir de ressources renouvelables, entreront dans la fabrication de solvants verts, de plastiques biodégradables, d'emballages alimentaires, de polymères ou encore de revêtements de routes. Objectif : développer une nouvelle filière, susceptible de remplacer une partie des molécules issues de la pétrochimie, dont les prix ne cessent d'augmenter. Une façon aussi de soutenir l'agriculture française. « Mais notre ambition ne s'arrête pas là, soutient Christophe Rupp-Dahlem, directeur du programme Biohub chez Roquette. Il s'agit également de créer des produits et des procédés industriels qui n'existent pas aujourd'hui. »
Pour réussir de tels sauts technologiques, les 300 chercheurs de la société Roquette (sur 6 000 employés) se sont associés avec des laboratoires publics. Le CNRS est particulièrement bien représenté dans Biohub avec des équipes de l'Institut national des sciences appliquées (Insa) de Lyon1 et de Rouen2 et de l'Institut des molécules et de la matière condensée de Lille (IMMCL)3. « Ces choix illustrent le développement de l'axe chimie-développement durable au sein du CNRS4 », note d'ailleurs Jean-Marc Lefebvre, directeur de l'IMMCL.
Biohub privilégie deux grands axes de recherche : le premier vise à créer des produits chimiques totalement nouveaux à base de céréales. Christophe Rupp-Dahlem cite l'exemple de l'isosorbide, un monomère5 dont les dérivés pourraient servir de nouveaux plastifiants pour PVC (polychlorure de vinyle, un polymère), de nouveaux émollients en cosmétique, ou de nouveaux solvants pour les revêtements routiers. Le second porte sur la mise au point de procédés biotechnologiques innovants plus avantageux en termes économiques que leurs équivalents pétrochimiques. Mais attention à la confidentialité ! « Nous essayons de préserver au maximum nos innovations, notamment face à une concurrence asiatique à l'affût de la moindre information », tient à préciser Christophe Rupp-Dahlem.
Car les enjeux sont énormes. Le projet Biohub est en effet l'un des six premiers programmes retenus par l'Agence de l'innovation industrielle (AII) en 2005, et le premier projet approuvé par la Commission européenne. Conçu pour cinq ans, il est doté d'un budget de près de 92 millions d'euros, dont 42,7 millions financés par l'AII, sous forme de subventions et d'avances remboursables. L'opération est menée par Roquette, en partenariat avec sept autres industriels, dont les chimistes Arkema (France), DSM (Pays-Bas) et Cognis (Allemagne), le concepteur de route Eurovia (groupe Vinci) ou la société Sidel, spécialisée dans les emballages plastiques. Sans oublier Metabolic Explorer, une jeune pousse de Clermont-Ferrand spécialisée dans l'application industrielle des techniques en biotechnologies.
« Dans dix ans, assure Christophe Rupp-Dahlem, 1,3 million de tonnes de céréales, représentant une surface cultivée de 160 000 hectares, devraient être transformées dans les nouvelles bio-raffineries. » Celles-ci seront soit adossées à celles déjà existantes, soit implantées ex nihilo. À la clef : plus de 700 millions d'euros d'investissements industriels et la création de 600 emplois dans les différentes entreprises participant au projet.
Emmanuel Thévenon
1. Laboratoire « Ingénierie des matériaux polymères » (CNRS / INSA Lyon / Université Lyon-I / Université St-Étienne).
2. Laboratoire « Asymétrie, hétérocycles, hétérochimie et bio-organique » (AH2B, CNRS / Insa Rouen / Université Rouen).
3. Unité de catalyse et de chimie du solide (CNRS / Université Lille-I / Éc. nat. sup. chimie Lille /École centrale de Lille) et Laboratoire de chimie organique et macromoléculaire(CNRS / Universités Lille-Iet II / Éc. nat. sup.chimie Lille).
4. Lire notamment Le journal duCNRS,n° 193,février 2006,« La chimie passe au vert ».
5. Substanceorganique utiliséedans la synthèse des polymères.