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[center]Michel Griffon: "Il faudrait 2 planètes pour remplir les estomacs, les réservoirs et préserver la biodiversité"[/center]
LEMONDE.FR | 02.04.07 |
L'intégralité du débat avec Michel Griffon, responsable du département "agriculture et développement durable" au sein de l'Agence nationale de la recherche et auteur de "Nourrir la planète" (Odile Jacob, 2006). , jeudi 5 avril, à 10 h .
axou : La diminution de l'emploi des engrais (polluant en amont comme en aval) et l'utilisation de surface agricole pour les biocarburants (lutte contre l'effet de serre) sont-ils incompatibles avec une production suffisante pour l'aide alimentaire ? Quelles seraient les conséquences à plus long terme ?
Michel Griffon : Pendant très longtemps le rôle de l'agriculture c'était de produire des aliments. Depuis un peu plus d'un an, on demande massivement à l'agriculture de produire des biocarburants, cela crée ipso facto, une concurrence pour l'espace entre ces 2 productions. Cela va vraisemblablement se traduire par une hausse des prix alimentaires, et une consolidation de prix hauts pour les carburants.
Mais il serait économiquement absurde de consacrer beaucoup d'energie à travers l'usage intensif d'engrais pour produire de l'énergie. En effet les engrais sont essentiellement constitués d'énergies. Les engrais azotés sont essentiellement issus du gaz naturel dont les prix vont augmenter; les phosphates sont des roches fossiles et leur mise à disposition dans les exploitations agricoles représente un coût important de transport.
Daf : Comment intensifier encore l'agriculture dans les pays du Nord pour ne pas avoir à défricher dans les pays du Sud, sans recourir pour cela à plus de pesticides, d'engrais chimiques, de fuel avec leur corollaire de pollution et de non-sens agronomique ?
Michel Griffon : La réponse à cette question suppose un raisonnement complexe : il faut en effet faire fonctionner plus intensivement les écosystèmes en renoncant en partie au forcage que représente l'usage intensif d'engrais et de molécules chimiques. Une intensification écologique est possible. Par exemple les sols fonctionnent depuis plus de 2 milliards d'années en créant une fertilité naturelle et les possibilités d'améliorer le rendement des processus biologiques concernés n'ont pas encore fait l'objet de recherche fondamentale.
Autre exemple ce que l'on appelle la lutte intégrée contre les maladies et ravageurs des plantes cultivées n'en est qu'à ses débuts, et on peut en attendre une réduction importante de l'usgae des molécules chimiques. Au total il s'agit là d'une nouvelle révolution agricole baptisée de plusieurs noms : agroécologie, ou écoagriculture ou encore révolution doublement verte et dans certains cas agriculture de conservation.
sancho : Dans la perspective d'un changement climatique, les OGM pourraient-ils jouer un rôle utile. Si oui, seraient-ils absolument indispensables ?
Michel Griffon : Les OGM de résistance à la sécheresse peuvent être bien sûr très utiles. On n'est cependant pas obligés de recourir à la voie OGM pour inventer des plantes résistantes à la sécheresse : les méthodes modernes de sélection peuvent être très rapides. Mais surtout la résistance à la sécheresse peut utiliser beaucoup d'autres méthodes que la simple adaptation des plantes. Il faut en particulier penser à réaménager assez complètement les paysages écologiques afin d'améliorer leur capacité de rétention en eau. En France cela pourrait devenir indispensable si les perspectives du GIEC prévoyant l'établissement d'un climat de type méditerranéen sur une grande partie de la France se réalisaient.
Christophe : L'agriculture biologique peut-elle nourrir le monde entier ?
Michel Griffon : Non ! C'est bien dommage. Mais la révolution doublement verte s'inspire largement de l'agriculture biologique au sens où elle entreprend d'intensifier les fonctionnements des écosystèmes. Mais elle ne s'interdit pas de recourir subsidiairement aux technologies actuelles pour pouvoir faire face à l'accroissement très important des besoins alimentaires de la planète.
denis91 : Comment réformer la Politique agricole commune (PAC) en France pour rendre l'agriculture moins intensive et la préparer au réchauffement climatique ?
Michel Griffon : L'agriculture française n'est pas prête mais elle a quand même du temps pour s'adapter. L'adaptation va demander beaucoup de travaux de recherche, on peut aujourd'hui penser qu'il y aura migration des espèces sur le territoire, accroissement des surfaces en espèces peu consommatrices d'eau, et comme je l'ai dit antérieurement réaménagemtent des paysages, notamment des bassins versants pour mieux gérer l'eau. La PAC devrait se révéler dans ce nouveau contexte d'une absolue nécessité ; non pas pour compenser les coûts élevés de production en Europe par rapport aux cours mondiaux - qui devraient d'ailleurs augmenter -, mais plutôt pour financer toutes les transitions qui seront nécessaires pour disposer d'une agriculture adaptée au climat mais restant très productive.
Le "deuxième piller " de la PAC devrait donc devenir le fondement de la nouvelle politique. Il ne faut pas non plus oublier que le climat pourrait être plus erratique, donc la production plus risquée, ce qui rendra nécessaire l'établissment d'un nouveau système d 'assurance.
CHEVERRY : Pensez-vous que l'aspiration à une alimentation plus riche en viande et plus diversifée (légumes...) constitue, pour les populations des pays dont l'alimentation est aujourd'hui principalement constituée de sucres lents (riz, tubercules, maïs, haricots), un droit fondamental ? Ou bien faut-il habituer tous les citoyens du monde, riches ou pauvres, à une alimentation pauvre en viande ?
Michel Griffon : On sait que quand les revenus augmentent, la consommation de viande s'accroît dans un premier temps, puis éventuellement se limite au profit d'une diversificiation vers les fruits et légumes. La richesse et la modernité sont donc attachées principalement à la viande. Si le monde entier devait suivre pour cette raison le régime alimentaire nord-américain, il est fort probable que la planète ne suffirait pas à produire une alimentation suffisante. Mais on sait aussi que l'abus de viande provoque des maladies cardiovasculaires, et que l'abus de sucres courts entraine des diabètes du type 2. Il apparaît donc souhaitable dans chaque tradition alimentaire de limiter tout ce qui est générateur de maladies, donc de limiter la viande, les sucres courts et accroître les sucres lents, les légumes et les fruits dans les rations. Ce scénario à l'échelle de la planète rendrait plus accessible l'objectif d'autosuffisance alimentaire tout en diminuant les dépenses de santé.
J'ose avec Bové : Comment imaginer une révolution avec l'OMC, le FMI, la Banque mondiale et les multinationales de l'agroalimentaire ? Quelle démocratie au service d'une l'agriculture saine ?
Michel Griffon : Ces institutions existent et sont nécessaires mais il faut faire évoluer leurs politiques : l'OMC ne doit pas aller contre les objectifs de souveraineté alimentaire ; le FMI ne pas sacrifier l'agriculture aux politiques d'ajustement structurel, et la Banque mondiale lutter efficacement contre la pauvreté en réhabilitant la notion de politique agricole.
C'est d'ailleurs ce qu'elle s'apprête à faire avec le nouveau rapport sur l'agriculture dont la rédaction est en phase finale et qui rompt de façon spéctaculaire avec 10 années d'ajustement structurel. Il ne faut donc pas désespérer des institutions internationales. En revanche l'établissement de monopoles dans la grande distribution et la transformation alimentaire réduit fortement le pouvoir de négociation des agriculteurs et leurs revenus. La seule solution est l'organisation des producteurs de façon à rééquilibrer les pouvoirs sur les marchés. L'établissement de droits de propriété intellectuelle étendus dans le domaine de la génétique reste pour le moment sans solution satisfaisante.
michel veillard : Comment est-ce que l'aval du secteur (Danone, Souflet...) pourrait contribuer à orienter les technologies agricoles et les producteurs vers la vertu (pas d'émissions de gaz à effet de serre) ?
Michel Griffon : Les industries sont émettrices de gaz à effet de serre et l'agriculture aussi mais elle peut aussi contribuer fortement à une séquestration de carbone. On ne pourra pas se dispenser des efforts de l'agriculture pour réduire l'effet de serre, par exemple en réaccumulant du carbone dans les sols sous forme de matière organique. Cette "vertu" pourra s'acquérir soit par l'application des accords de Kyoto, soit par d'éventuelles certifications des produits issus de l'agriculture et de l'agroalimentaire du type "carbone light".
Cependant on peut espérer d'autres transformations qui seraient liées à la nécessité d'améliorer la qualité générale des produits : qualité nutritionnelle, hygiénique, gustative, environnementale... pour cela il est indispensable que la qualité soit améliorée à chaque maillon de la filière: les producteurs, les transporteurs, les industriels de la transformation, la grande distrbution. Il n'y aura donc de la qualité que si chacun est rémunéré en fonction de ses efforts. En un certain sens la qualité suppose donc une distribution plus équitable des revenus dans les filières. C'est donc le rôle des consommateurs que d'exiger que l'équité soit aussi une des qualités du produit.
fosco : Les besoins en énergie agricole de l'Occident et de pays comme la Chine et l'Inde risquent-ils de transformer toutes les terres non habitées de la planète en un vaste champ de maïs transgénique ?
Michel Griffon : Il faudrait deux planètes pour remplir les estomacs, remplir les réservoirs et préserver l'avenir de la biodiversité. Le danger est donc d'une course à la terre pour produire des biocarburants. Pendant une quinzaine d'années ces biocarburants seront produits à partir de plantes alimentaires comme la canne à sucre, le maïs, le blé ou le colza.
Cependant on peut espérer sans recourir à la voie OGM identifier des plantes permettant de produire des carburants de 2e génération ; on peut aussi espérer trouver des bactéries capables de mieux transformer la biomasse en énergie. Mais il faut incontestablement cesser de considérer que la biomasse est le nouveau mirage de la course aux énergies. Les plantes ne peuvent pas donner plus que ce que le soleil, le gaz carbonique, l'eau et les nutriments de la terre peuvent eux-mêmes donner et qui sont en quantités limitées.
Raphaël_Madrid : Quelles ont été les priorités définies par l'Agence nationale de la recherche pour les années à venir en matière de recherche agronomique ?
Michel Griffon : Les priorités essentielles sont l'agriculture durable fondée sur une intensification écologique et sur des biotechnologies s'inspirant du vivant, l'analyse du génome des plantes animaux et microbes de façon à améliorer leurs performances dans le même esprit, l'innovation dans les procédés des industries agricoles alimentaires de manière à améliorer la qualité et satisfaire les nouvelles exigences environnementaeles, et enfin la gestion des écosystèmes, en particulier ceux qui sont fortement transformés par les sociétés, afin de préserver et améliorer la biodiversité et de lutter contre leurs dégradations.
fantasio : Est-ce un sujet tabou que de se demander, avec les connaissances actuelles, combien la Terre peut nourrir d'êtres humains, tout en préservant l'environnement et en offrant une nourriture de qualité ?
Michel Griffon : Non ce n'est pas une question taboue mais les réponses peuvent être dangereuses. La démographie mondiale est en voie de stabilisation, on pense que la population mondiale stagnera dès 2050 à 9 milliards. Les dés sont jetés, les politiques démographiques n'y feront plus grand-chose. Il faut donc se préparer à accueillir deux générations sur la planète dans les meilleures conditions qui soient. Mais cela va amener les gouvernements à avoir des politiques raisonnées de l'usage des écosystèmes et des ressources natuelles et la vraie question n'est plus celle du nombre de personnes mais des techniques et des politiques permettant d'y faire face.
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