medecine: qui doit faire les essais cliniques

Et lutte contre les pseudo-sciences et les obscurantismes

Message par canardos » 16 Avr 2007, 13:55

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MARTINE PICART, SPECIALISTE DU CANCER

[center]Martine Piccart : "Il faut assainir les liens entre médecins et industrie"[/center]

LE MONDE | 13.04.07 | 


Dans la revue Nature, vous avez lancé, avec d'autres spécialistes du cancer du sein, un appel sans précédent pour que les intérêts des patients cancéreux participant à des essais cliniques soient mieux défendus. Pour quelle raison ?

Parce que la communauté médicale et scientifique est inquiète face à une certaine évolution que prend la recherche clinique en cancérologie. Quelques messages essentiels doivent, selon nous, être diffusés. Le premier est que sans les essais cliniques on ne pourrait pas faire de progrès dans la lutte contre le cancer. Ces essais se font grâce à la participation de nombreux malades chez lesquels on teste de nouveaux médicaments, d'abord à un stade avancé de la maladie puis, le cas échéant, à des stades plus précoces ; souvent après la chirurgie. Nous parlons ici d'essais cliniques de grande échelle qui concernent des milliers de patients et qui visent à améliorer leurs chances de guérison. Or depuis la mise en oeuvre d'une récente directive européenne sur les études cliniques, le paysage de la recherche clinique est totalement différent.

En quoi l'est-il ?

Cette directive, qui concerne tous les essais cliniques, fait que ces derniers coûtent désormais environ trois fois plus cher qu'auparavant. Ces prix atteignent de tels niveaux qu'il est devenu impossible que ces études puissent être menées par des institutions académiques, des structures publiques. Seules les industries pharmaceutiques concernées peuvent assurer de tels financements. Une autre modification de taille concerne le développement des stratégies de recherche. Il y a quinze ans, nous comparions dans un essai clinique un traitement A à un nouveau traitement B. Si l'efficacité de B était supérieure à celle de A la firme ayant développé B obtenait une autorisation de mise sur le marché de B à un tarif plus élevé que celui de l'ancien médicament A, qui lui était souvent abandonné.

Ce n'est-ce plus le cas aujourd'hui ?

Non, car il nous faut compter avec l'évolution phénoménale de toute une série de technologies de laboratoire qui permettent d'établir des cartographies moléculaires, génétiques et protéiques des cancers. Ces technologies doivent désormais accompagner les études cliniques, ce qui implique la collecte d'échantillons de tumeurs et parfois de sang.

Résumons : le médicament B est toujours, globalement, plus efficace que le médicament A mais, grâce aux "cartographies" tumorales, nous découvrons que certains patients réagissent très bien au traitement A tandis que d'autres, avec une cartographie différente, réclament impérativement le nouveau traitement B. Et d'autres encore ne bénéficient ni de A ni de B. Nous parvenons ainsi, grâce aux essais cliniques accompagnés d'un solide volet de recherche de laboratoire, à déterminer sur des bases objectives le traitement idéal pour de nouveaux sous-groupes. Cette recherche est plus coûteuse mais, à terme, elle peut conduire à des économies importantes en termes de santé publique car les traitements seront "taillés sur mesure".

Quelles conclusions pratiques tirez-vous de ce constat ?

Il faut assainir les liens entre médecins et géants pharmaceutiques. L'inquiétude exprimée dans notre texte du journal Nature résulte de l'évolution des termes de ces équations médicales et économiques. Il y a peu encore, c'était le monde académique qui définissait les règles du jeu. Ce n'est plus le cas. L'industrie possède l'argent et veut des résultats solides et rapides. Elle souhaite donc, naturellement prendre le contrôle des études cliniques et posséder les bases de données contenant les informations moléculaires et génétiques - et les résultats précis de ces études. Il y a là, clairement tous les éléments constitutifs de conflits d'intérêts. Ces conflits n'épargnent pas les médecins qui ont besoin de publications pour avancer dans leur carrière.

Mais peut-on établir des pratiques qui mettent les patients à l'abri des potentiels conflits d'intérêt ?

Oui. En revenant à l'essentiel qui est d'assurer une collecte indépendante des données relatives aux patients qui ont le courage d'entrer dans les essais cliniques. Nous savons qu'il est possible, en pratique, de développer des modèles scientifiquement performants de collaboration qui protègeront pleinement les malades sans pour autant léser les intérêts légitimes des firmes pharmaceutiques. C'est pourquoi nous plaidons pour l'émergence de nouvelles règles, de nouveaux modèles de collaboration, plus sains, entre ceux qui innovent, ceux qui testent et ceux qui souffrent. Dans la recherche clinique en matière de cancer du sein, il existe une longue et solide tradition de collaboration au sein de la communauté scientifique et médicale. Nous sommes les premiers à lancer un signal d'alarme. Espérons qu'il sera perçu par des autres disciplines de la cancérologie et, plus généralement, de la médecine.

Propos recueillis par Jean-Yves Nau
Article paru dans l'édition du 14.04.07

canardos
 
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