a écrit :
[center]Casse-tête en l'air[/center]
Augmentation du trafic, coût du kérosène et émission de gaz à effet de serre obligent l'aéronautique à explorer toutes les pistes de recherche aérodynamisme, procédures d'atterrissage, carburant... pour éviter que l'avion ne redevienne un luxe.
Par Jean-Paul ROUSSET
QUOTIDIEN : samedi 19 mai 2007
C'est un envol qui n'en finit pas. En 2006, plus de deux milliards de personnes ont pris l'avion, selon l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI), soit 5 % de plus que l'année précédente. Et la tendance devrait se confirmer dans les années à venir. L'américain Boeing prévoit une croissance annuelle sur le long terme de 5,2 % du nombre de passagers aéroportés qui passeraient à huit milliards en 2020 ! L'explosion réjouit le monde de l'aviation civile. Et l'inquiète. Ecartelé entre cette croissance soutenue des vols, un pétrole de plus en plus cher, et le souci de maîtriser les rejets de gaz à effet de serre, il cherche fébrilement des solutions d'avenir.
Fini ou presque le temps où l'on s'émerveillait de voir la star Jumbo Jet (le Boeing 747) détrôné par l'Airbus A380, et les porteurs devenir toujours plus gros. L'avion est de plus en plus pointé du doigt comme un pollueur. Un long-courrier actuel (comme l'Airbus A340-600 ou le Boeing B747-400) transportant 400 passagers sur près de 15 000 kilomètres consomme près de 500 litres par passager et rejette 330 kilos d'«équivalent carbone» (1), rien qu'en CO2, et le double si on tient compte des autres gaz à effet de serre (comme les monoxyde et dioxyde d'azote). Certes, chacun des 400 passagers «émettra» en fin de compte la même quantité de gaz à effet de serre que s'il parcourait une distance identique seul au volant d'une grosse voiture. Mais les avions ne font pas tous le plein de passagers. Et surtout, étant de plus en plus nombreux, ils parcourent de plus en plus de kilomètres (voir graphique ci-dessous)...
Un oubli dans le protocole de Kyoto
Quel niveau atteindront donc ces émissions dans les années à venir ? En 1999, le Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (Giec) notait que le trafic aérien rejette plus de 200 millions de tonnes de CO2 par an, produisant ainsi environ 3,5 % des émissions générées par les activités humaines. Le Giec a ensuite présenté plusieurs scénarios prenant en compte deux variables : la croissance annuelle du trafic aérien et une utilisation plus efficace du carburant. Dans le cas d'une croissance de 4,7 % du trafic et d'une légère amélioration des performances de consommation énergétique, les rejets de CO2 imputables aux avions atteindraient 1,5 milliard de tonnes annuelles en 2050 : l'équivalent de ce qu'a rejeté la Russie en 2002 ! Aujourd'hui, les émissions de CO2 du trafic aérien international ne sont pas comptabilisées par le protocole de Kyoto. Mais cet «oubli» pourrait ne pas être éternel : l'Europe envisage de demander aux compagnies de payer leur part de pollution... Alors tout le monde planche sur les améliorations possibles de l'avion, dont les caractéristiques n'ont pas fondamentalement évolué depuis les années 1950. «Les Britanniques ont eu un coup de génie avec le De Havilland Comet, qui a inauguré en 1952 l'ère de l'avion de ligne à turboréacteurs», résume Georges Ville, vice-président de l'Académie nationale de l'air et de l'espace. «Mais depuis, si on a réussi à améliorer beaucoup de choses, la forme générale de l'avion n'a jamais évolué radicalement. »
Avionneurs, mais aussi motoristes et pétroliers s'attaquent chacun à leur spécialité, dans une collaboration très étroite. En Europe, le Conseil consultatif pour la recherche en aéronautique (Acare) les y encourage, en fixant l'objectif de réduire de 50 % la consommation d'ici à 2020 par rapport aux avions mis en service en 2000, avec une répartition bien précise des efforts de chacun : -20 à -25 % pour la partie avion, et -15 à -20 % pour les moteurs. A côté de la technologie, la navigation aérienne est priée de contribuer pour -10 %, en optimisant le trafic ou les distances parcourues. Et aussi en modifiant certaines procédures. Ainsi, l'approche en descente continue est testée depuis quelques années en remplacement de l'approche par paliers lors des atterrissages. Des essais de nuit menés par Boeing et UPS à Louisville, aux Etats-Unis, ont permis, outre la réduction du bruit, une économie de 200 litres par atterrissage. La procédure reste à certifier par la FAA, l'autorité aérienne américaine.
Le retour de l'hélice
Car le transport aérien est soumis à des réglementations très strictes qui rendent les évolutions et les innovations très lentes. Depuis le mythique Comet, la consommation kilométrique par siège a tout de même été divisée par cinq. Airbus ne manque pas de souligner la bonne performance de son A380, plus économe bien que plus volumineux que le Boeing 747, en partie grâce à des réacteurs plus efficaces. Mais chez les motoristes, de Rolls-Royce à Safran-Snecma, on estime que l'amélioration du turboréacteur atteint ses limites et on n'espère pas mieux qu'un gain de15 % sur les performances d'ici 2015.
Les avancées pourraient venir... du retour de l'hélice. Dans les années 1980, le constructeur américain McDonnell Douglas avait obtenu une réduction de 30 % de la consommation avec un de ses prototypes équipés de turbopropulseurs, moteurs à hélices classiques. La chute du prix du pétrole avait tué ce projet, mais d'autres sont aujourd'hui relancés. On est parvenu à réduire le bruit des turbopropulseurs et à dépasser leurs limites avec les «propfans» utilisant des hélices à haute vitesse, voire deux rangées d'hélices contrarotatives.
Ailes volantes et plans canards
Chez Airbus, Philippe Jarry, directeur des marchés des projets futurs, l'affirme : «L'industrie du transport aérien a toujours connu des contraintes, de bruit, d'énergie... Avec la prise de conscience du réchauffement climatique, les critiques se font plus vigoureuses : il est clair que le dessin des futurs avions se fera sur leur signature environnementale.» Pour réduire la masse, on abandonne l'aluminium pour la fibre de carbone : le futur long-courrier A350 XWB en contiendra 52 %. Question aérodynamique, les fuselages sont ciselés, et chez Boeing, les derniers modèles, comme le 787 Dreamliner, sont équipés de curieuses ailes, très incurvées. On a vu apparaître les winglets , petits ailerons verticaux en bout de voilure. Les «plans canards» placés sur le nez et les ailes en V inversé pourraient aussi se développer. Mais le frein à ces innovations est souvent d'ordre économique, et les changements restent discrets, voire invisibles. «La géométrie variable, ce serait l'idéal, mais qui peut encaisser les surcoûts techniques ? analyse Philippe Jarry. Une aile volante ? Très bien, mais comment gérer l'accessibilité au sol d'un tel engin ? Le Sonic Cruiser [avion de ligne à très grande vitesse proposé par Boeing début 2000, ndlr] a été rattrapé par la réalité : les projets trop originaux sont incompatibles avec le principe industriel de la famille d'avions.»
En attendant l'avion supersonique volant à l'hydrogène dont rêvent certains, il faudra se résoudre à voler moins vite, avec des hélices géantes, par exemple. Drôle d'avenir pour l'aviation, curieusement «rétrofuturiste». Pour Jean-Marc Jancovici, expert des questions énergétiques, il est même très sombre : «S'il y a urgence à augmenter les prix du transport aérien et à utiliser des techniques moins gourmandes, l'idée de garder 5 % de croissance annuelle est des plus naïves .» Et de résumer les perspectives : «Il y a cinquante ans, le transport aérien était un très grand luxe. Dans cinquante ans, ce sera à nouveau le cas.»
(1) L'équivalent carbone est l'unité de mesure des gaz à effet de serre, dont l'étalon est le CO2 ; elle permet une comptabilisation unifiée de ces gaz aux caractéristiques très variables.
a écrit :
Xavier Montagne, de l'Institut français du pétrole:
[center]«Les évolutions sont possibles, mais les contraintes sont immenses»[/center]
Par Jean-Paul ROUSSET
QUOTIDIEN : samedi 19 mai 2007
Existe-t-il pour l'aviation des substituts aux carburants actuels ?
Il y a des voies de substitution aux hydrocarbures, comme les procédés «Fischer-Tropsch» utilisés depuis les années 1930 et qui permettent de produire un carburant de synthèse à partir du charbon ou du gaz. On peut aussi envisager d'utiliser de la biomasse ou même de l'hydrogène. Le problème principal vient des contraintes très sévères de la formulation du carburant aérien. Son «contenu énergétique» doit être irréprochable. Il doit être dense pour utiliser au mieux les réservoirs, ce qui est important pour garantir un certain rayon d'action. Par ailleurs, il doit être absolument stable dans une fourchette de températures de -50°C à +50°C pour éviter la surchauffe au sol ou la congélation en altitude. Ces critères de qualité sont tels que le délai entre la formulation d'un nouveau carburant et sa validation par le secteur aérien est très long. Les évolutions sont possibles mais très difficiles : seul Sasol, en Afrique du Sud, a pu faire valider l'année dernière certains carburants de synthèse pour l'aviation.
Quelle est la part de l'aviation dans la consommation mondiale de carburants destinée aux transports ?
Elle est assurément importante. Vers 1990, elle était de 10,7 % au niveau mondial et de 13,5 % en 2000. Avec l'accroissement prévu du transport aérien, le pourcentage de consommation de kérosène ce qu'on appelle «jet fuel» dans le monde de l'aviation va naturellement augmenter.
Le jet fuel est un carburant cher. Pourquoi ses fluctuations ont-elles une incidence directe sur le prix des vols ?
Le jet fuel est un carburant non taxé, depuis la convention de Chicago, en 1944. A l'origine, il s'agissait de favoriser le développement aérien. Mais cette exemption se traduit par un impact très important du prix du baril de brut sur celui de jet fuel, et un écart qui va croissant. En 2005, le baril de jet fuel était à plus de 17 dollars au-dessus du baril de brut.
Est-ce qu'une taxe sur le carburant réglerait le problème ?
Une telle taxe n'est pas à l'ordre du jour. Les débats portent plutôt sur une «taxe carbone», les dépassements de quotas d'émission devenant payants pour le secteur aérien.