a écrit :L’utilisation irréfléchie de biocarburants pour les transports, comme alternative au pétrole, est un choix dont les consé¬quences sociales et écologiques sont dangereuses. Nous reproduisons ci-dessous des extraits d’un article de François Iselin paru dans la revue suisse « Solidarités », dont l’intégralité paraîtra dans « Critique Communiste ».
Crise énergétique, catastrophes climatiques, l’industrie automobile n’en a cure. Toutes les marques se mettent au bioéthanol ou au bioester, issus de cultures de colza, tournesol, maïs, canne à sucre, betterave, manioc... pour continuer à vendre leurs engins décriés. « Un seul plein d’éthanol pour un gros 4X4 nécessite autant de céréales qu’il en faut pour nourrir une personne pendant une année entière. »1 Il ne fait plus de doute que l’humanité entre dans une phase critique et sans précédent. Parmi tous les malheurs qui la menacent, la faim, cette plaie que le capitalisme promettait d’éradiquer à coup de recherches scientifiques, d’innovations industrielles, de développement économique et de croissance du marché. Alors que dans le monde, un enfant sur trois et un adulte sur sept souffrent de malnutrition, les besoins alimentaires ne cessent d’augmenter et, d’ici 2050, « la production agricole mondiale devra doubler »2. Or, « nous allons vers une agriculture au coût énergétique élevé, disposant de peu d’engrais et devant économiser l’eau », trois ressources qui se raréfieront. Comment ose-t-on proposer d’affamer des êtres humains pour alimenter les moteurs à explosion de l’après-pétrole ? Les opportunistes d’écologie libérale feraient bien de s’en expliquer.
Pétrole contre nourriture
L’industrie automobile veut cultiver des biocarburants pour pouvoir continuer à vendre des pleins « bio » qui brûleront dans les moteurs de leurs voitures à carburant mixte. Les pots d’échappement de ces voitures crachent autant de gaz à effet de serre que n’en émettent les carburants fossiles qui sont, rappelons-le, tout autant « bio » ! La différence est que la croissance de la matière première végétale du « bio » absorbe autant de CO2 que sa combustion n’en dégage. Mais ce bilan, apparemment neutre, est négatif puisqu’il faut impérativement, non pas équilibrer l’absorption et l’émission de CO2, mais la réduire de façon draconienne. De plus, de sérieux doutes subsistent quant à l’innocuité de ces carburants pour la santé des humains, de la nature et du climat. « Les biocarburants peuvent présenter un bilan global en gaz à effet de serre qui n’est pas satisfaisant, car d’une part il faut le plus souvent consommer de l’énergie fossile pour cultiver les plantes (essence du tracteur et fabrication des engrais par l’industrie chimique), ensuite il y a des émissions de protoxyde d’azote lors de l’épandage des engrais, et enfin il peut y avoir des émissions de méthane et d’oxyde d’azote lors de la combustion des biocarburants qui sont supérieurs à celles obtenues en brûlant du pétrole. »3. Bien qu’elles soient étouffées dans le brouhaha du politiquement correct et tuées par les « écosocialistes » qui devraient les amplifier, les voix autorisées, mais discordantes, ne manquent pas : « L’agriculture mondiale ne pourra assurer à la fois l’alimentation, la production en carburants et la préservation de la biodiversité. [...] La montée des biocarburants va se traduire par une compétition pour la terre entre cultures alimentaires et cultures énergétiques. La rareté de l’énergie risque de créer une rareté alimentaire »4.
Comme pour les OGM, l’éthanol a été lancé par les USA et le Brésil qui en produisent les trois-quarts. Les oppositions les plus vives montent du Sud, menacé de pallier la pénurie énergétique dont souffrira le Nord. Les dirigeants cubains et vénézuéliens, appuyés par les mouvements sociaux, doutent fort que Lula puisse concilier son objectif alimentaire « faim zéro » tout en poursuivant l’extension de ses cultures d’éthanol. Mais le bradage des cultures vivrières n’est pas la seule crainte : cette production implique nécessairement la « concentration de la propriété de la terre, la déforestation, la contamination des sols, de l’air et de l’eau et l’expulsion des paysans. »5
En réaction aux prévisions alarmantes des climatologues et pétroliers, les entreprises capitalistes explorent et s’égarent dans les voies sans issue de la substitution des carburants fossiles, polluants et en voie d’épuisement. À voir les résultats « prometteurs » de leurs recherches, annoncées à grand renfort de publicité, toutes les solutions de sortie de crise auraient été trouvées, et ceci, en moins d’une décennie ! Avec son « développement durable », le capitalisme veut nous faire croire que son système productiviste, qui a épuisé les ressources naturelles, détruit le climat et trahi ses promesses de satisfaire les besoins élémentaires de l’humanité, serait tout à coup capable de réparer ses dégâts et de poursuivre sa mission.
Oser dire la vérité
Confronté à son échec, le capitalisme, pris à son propre piège, préconise des remèdes pires que le mal dont il faut dénoncer le déguisement « éco ». Le capitalisme productiviste a fait son temps et causé beaucoup de dégâts à la planète, que les générations qui nous succéderont devront subir et tenter tant bien que mal de réparer. Le meilleur service que nous puissions leur rendre est de l’empêcher de nuire davantage en entraînant l’humanité dans de nouvelles aventures agricoles et industrielles aussi absurdes que dangereuses. Pour ce faire, il faut élaborer collectivement des solutions alternatives, les propager en revendications et mobiliser les opprimés et exploités pour les mettre en œuvre, sachant que rien ne pourra se faire sans avoir licencié préalablement les maîtres autoproclamés du monde pour leur incapacité « durable » à respecter l’humanité et la nature.
Le développement capitaliste a eu comme conséquence que les sociétés nanties ne peuvent fonctionner qu’approvisionnées en pétrole, comme de grands malades nourris au sérum vital qu’injectent leurs canules. Le chauffage, l’éclairage, les soins, les transports, la production tomberont en panne dès l’arrivée des premières bulles d’air dans les oléoducs. Les revendications traditionnelles de la classe ouvrière doivent être étendues et combinées à des revendications d’urgence telles que la réduction radicale de la consommation d’énergies fossiles, la constitution de réserves pétrolières destinées exclusivement aux transports urgents, aux équipements sociaux, au chauffage hivernal des habitations et à la production des biens qui nous sont nécessaires, quitte à ce qu’ils ne procurent plus de profits au capital. Nécrocapitalisme ou écosocialisme, il faut choisir... et vite !
François Iselin
1. Lester Brown, cité par Geoffrey Lean, The Independent on Sunday. 2. Hervé Kempf, « Nourrir 9 millions de Terriens », Le Monde, 12 mars 2007. 3 Jean-Marc Jancovici, Existe-t-il des énergies sans CO2 ? . 4. Michel Griffon, « Une compétition entre cultures alimentaires et énergétiques », Le Temps, 3 avril 2007. 5. Mario Asava, « El alcohol desata pasiones », IPS, Rio de Janeiro, 2 avril 2007.