En ce qui concerne la citation, effectivement, on la trouve un peu partout sur le net, sans référence. De plus, on peut se demander quelle est la compétance apicole de l'Albert... Mais ce qu'il dit est parole d'évangile pour pas mal de gens...
a écrit :Vous pouvez faire un tour sur internet et constater que médias et blogs se préoccupent de l’inquiétante mortalité des abeilles dont il était question dans le billet précédent. Très souvent, les auteurs mettent cette citation en exergue : « Si l’abeille disparaissait de la surface du globe, l’homme n’aurait plus que quatre années à vivre », signé : Albert Einstein. Voici un exemple de citation parmi tant d'autres. Il est évident qu’une telle prédiction de la part du plus grand physicien du XXème siècle ne peut que frapper les esprits (sinon, pourquoi l’écrire?). Si Einstein a dit ça, Einstein, l'homme si intelligent que l'on a conservé son cerveau, c’est que c’est vrai!
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Une telle affirmation de la part d'un tel homme amène forcément des questions, ce qui n'est pas interdit. L’homme serait-il vraiment condamné par la disparition de l’abeille ? Personnellement, j’en doute, et pour les raisons suivantes :
-il existe d’autres pollinisateurs que l’abeille
-les céréales sont pollinisées par le vent
-l’espèce humaine a la peau dure.
Attention ! Je ne dis pas qu’il faut être indifférent aux malheurs de l’abeille! Sa disparition serait une catastrophe écologique et agronomique sans précédent, mais en toute objectivité, il en faudrait plus pour exterminer l'humanité dans leur ensemble, surtout en quatre ans. Une fois que le doute s’est installé sur le fond de cette citation, on commence à s’interroger sur la légitimité d’Einstein en entomologie ou en agronomie. Certes, il était très intelligent, mais pas extra-lucide ; de plus, il ne s’est jamais intéressé de près à la question, et a dit dans toute sa vie quelques bêtises. Pourquoi aurait-il raison au sujet des abeilles?
Mais je lui fais là un faux procès, car au contraire de ce que j'ai très longtemps cru, Albert Einstein n’a jamais prononcé cette phrase, ou du moins personne n’en a la preuve.
En avril 2007, un site internet spécialisé dans le dépistage de rumeurs (www.snopes.com) s’est penché sur le cas « Einstein et abeilles ». Deux rédacteurs ont cherché dans plusieurs sources, dont un recueil de citations du physicien. Ils n’ont trouvé aucune source primaire, et ne purent trouver cette citation avant le mois de janvier 1994. A cette date, elle apparaît dans plusieurs journaux belges, qui eux-mêmes l’ont trouvée dans un communiqué distribué par un syndicat d’apiculteurs, l’Union Nationale de l’Apiculture Française (UNAF), à l’occasion d’une manifestation à Bruxelles contre quelque politique européenne. un peu plus tard, le conservateur des Albert Einstein Archives de Jérusalem, Roni Grosz, affirma dans une interview "qu’il n’y avait aucune preuve qu’Einstein ait jamais dit ou écrit cette phrase", et quand bien même, "qu’Einstein n’avait pas de compétence particulière ni même d’intérêt pour l’écologie, l’entomologie ou les abeilles". Pourtant, le prestige d’Einstein est le gagne-pain de ce monsieur… Depuis, Wikipedia relaie cette citation dans son article sur les CDD (voir dans le billet précédent), mais avec la mention « citation apocryphe », ce qui change tout. J'aurais pu imaginer que la phrase originelle venait bien d'Einstein mais avait été déformée, ou encore qu'elle était d'un auttre physicien... mais jamais je n'aurais pu concevoir qu'elle serait inventée pour une manifestations d'apiculteurs! C'était sous-estimer la place d'Einstein dans la culture collective...
Les apiculteurs ont toute ma sympathie (d’ailleurs, mon unique ruche se porte bien), mais au moins une fois l’un d’entre eux a commis une fraude qui a rendu grand service à ses confrères.
En conclusion, si un membre de l’UNAF possède une source inédite d’Albert Einstein, il est dans l’intérêt supérieur de l’humanité qu’il la communique. Dans le cas contraire, il faudrait à l’initiateur de ce canular un certain courage pour avouer sa fraude, au risque de desservir les intérêts de toute sa profession et de la cause environnementale. Vous pouvez toujours faire jouer vos contacts, mais je crois qu’on n’en saura jamais plus.
*Au hasard de mes recherches sur le net, je suis tombé sur cette page où l'auteur explicite CCD par "science-ese for : we don't know where all these bees have gone". J'ai bien ri tout seul.