
Dans l'excellent BACTERIOBLOG visible ici un article sur Thiomargarita namibiensis, bactérie visible à l'oeil nu
Quelques photos de la bête


Quelques photos de la bête


a écrit :
Au cours de mes études, j'ai suivi un cours intitulé "interactions plantes-micro-organismes". Méfiez-vous des intitulés, ils sont souvent trompeurs. Celui-ci cachait en réalité un cours de phytopathologie, l'étude des maladies (infectieuses) des plantes, à peine saupoudré de symbioses. A ce titre, plusieurs séances étaient consacrées aux nématodes qui s'attaquent aux légumes et dont je me suis empressé d'oublier le nom. L'introduction du professeur relevait du comique : "bon alors, on va étudier les nématodes, parce que bon, hein, ils sont tout petits, on doit les regarder au microscope, donc ce sont des micro-organismes, hein....". Bien sûr, c'est faux. Depuis que la Microbiologie n'est plus la Micrographie, elle ne se préoccupe plus que des bactéries, virus, protozoaires, algues et champignons unicellulaires, pas des animaux énormes que sont les nématodes. Ce n'est donc pas parce qu'un organisme est très petit qu'il rentre dans la catégorie des micro-organismes (ou microbes). A l'autre bout de la lorgnette, si une bactérie était visible à l'oeil nu, ne serait-elle plus un microbe? Heureusement (pour la catégorie dans laquelle rentre ce billet), si! Ce cas n'est pas une expérience de pensée, il se présente avec la bactérie Thiomargarita namibiensis.
Thiomargarita n'est pas un cocktail particulièrement sulfureux, c'est tout simplement la bactérie la plus grosse du monde. Au passage, le nom complet Thiomargarita namibiensis signifie très poétiquement "perle de soufre de Namibie". Alors qu'Escherichia coli, bactérie de taille ordinaire, mesure environ 1 micromètre par 2, T. namibiensis mesure en général 300 micromètres de diamètre, voire souvent un demi-millimètre! un monstre! Il est même fait état de léviathans de 750 microns... Un facteur 100 en diamètre, ça peut ne pas sembler impressionnant, mais il signifie un facteur 10^6 en volume, donc en poids. C'est la différence entre un homme bien portant de 75 kg et un troupeau de 500 grosses baleines. Cette bactérie a été découverte et étudiée par Heide Shulz au cours d'une expédition de microbiologie marine, et placée phylogénétiquement parmi les gamma-protéobactéries (la même classe qu'Escherichia coli, connue pour sa diversité).
Contrairement au billet précédent, je suis en mesure de vous proposer une explication à ce gigantisme. T. namibiensis est une bactérie qui tire son énergie d'une réaction d'oxydo-réduction entre le sulfure d'hydrogène H2S (le réducteur) et l'ion nitrate NO3- (l'oxydant), comme nous de la matière organique et de l'oxygène. L'ion nitrate se trouve en solution dans l'eau, tandis que H2S est un gaz produit par des bactéries en l'absence d'oxygène dans les sédiments. Le carburant et le comburant ne se trouvent donc pas au même endroit*. Lorsqu'elle est en eau libre, Thiomargarita concentre donc le nitrate (jusqu'à 800 mM) dans une immense vacuole , un sac membranaire qui occupe l'essentiel de son volume, et devient alors libre de consommer tout le sulfure d'hydrogène qui passe à sa portée. Ce dernier est réduit en soufre solide S, qui s'accumule dans des granules à l'intérieur de la bactérie, lui conférant cet éclat sous le microscope et du même coup son nom de "perle". La taille de cette bactérie résulte donc de l'accumulation de nitrate, qui est en quelque sorte son oxygène.Il n'est alors pas exagéré de dire que T. namibiensis tient ses colossales dimensions de son adaptation à l'apnée!
Thiomargarita namibiensis enfreint donc deux lois générales relatives aux bactéries: elle appartient au domaine du visible et possède un compartiment intra-cellulaire, sa vacuole, d'ordinaire réservée aux eucaryotes***. Bien qu'abondante dans son écosystème, elle est toujours rétive à la culture. Ceci ne signifie pas qu'elle refuse d'écouter Mozart ou de lire Hugo, mais qu'il est encore impossible de la cultiver au laboratoire, comme la majorité des bactéries "sauvages", ce qui empêche d'en étudier tous les mystères.
*D'autres bactéries apparentées et au métabolisme similaire présentent des filaments qui leur permettent de rester au contact du nitrate et du sulfure d'hydrogène à la fois.
**La réduction du nitrate à des fins de production d'énergie est dite "dissimilatrice", à opposer à la réduction du nitrate pour assimiler de l'azote sous forme organique (réduction "assimilatrice"). Le premier type nécessite beaucoup plus d'ions nitrate que le deuxième, et produit de l'énergie au lieu d'en consommer.
***Epulopiscium fishelsoni (700 micromètres par 80) mériterait un autre billet. D'autre part, on trouve des compartiments chez nombre de bactéries